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La résistance avance
@Jorge Fernandez

La résistance avance

8 avril 2021

Une bonne trentaine d’habitants des villages qui jouxtent la place de tir ont manifesté la semaine dernière, après que l’armée a tiré pendant près d’un mois quasiment sans arrêt. Faisant part de leur ras-le-bol, ils espéraient bien rencontrer sur place l’un ou l’autre gradé. Mais les militaires avaient déserté les lieux et renvoyé les tirs de nuit programmés ce jour-là…

Le serpent de mer de la place de tir de Vugelles-La Mothe a ressurgi juste avant les fêtes de Pâques. Exaspérés par les tirs à l’arme lourde et les explosifs qui ont tonné pratiquement pendant tout le mois de mars, des habitants ont fait une manifestation de protestation mercredi en fin d’après-midi.

Réunis au milieu du village, une partie d’entre eux sont montés à pied et avec des pancartes de réprimande jusqu’aux bâtiments situés à proximité des terrains d’entraînement et de tir utilisés par les soldats. Ils étaient notamment accompagnés par le député yverdonnois Vassilis Venizelos (Les Verts), qui déposera prochainement une interpellation au Grand Conseil (lire encadré), et ils espéraient rencontrer un ou deux membres de l’état-major et faire part de leur récrimination.

«Trop c’est trop, nous en avons assez, cela ne peut pas continuer ainsi», ont-ils lancé en cœur à plusieurs reprises lorsqu’ils arpentaient la colline, puis une fois arrivés sur place. Cette manifestation était organisée de manière impromptue et le but était de pouvoir rencontrer et échanger avec un chef d’état-major de l’école de recrues de Chamblon, dont la place d’armes est intimement liée à la place de tir de Vugelles. Mais il n’y avait plus aucun militaire lorsqu’ils sont arrivés, quand bien même des tirs devaient avoir lieu dans la soirée. Il faut donc croire que l’armée avait été informée et s’est défilée…

«Nous avions discuté en 2017 avec les responsables directement concernés du Département militaire fédéral. Il avait alors été décidé qu’on devait revoir la convention en vigueur entre l’armée et les communes et cela n’a jamais été fait, indique Claude-Alain Briod, ancien syndic de Grandevent et président de la commission place de tir. Voilà quasiment un mois qu’ils ferraillent à raison de quatre jours par semaine, sans oublier les tirs de nuit, soit cinq fois de 7h à 21h30 environ. Et la sixième nuit était justement prévue ce soir. En 2020, l’école de recrues avait été un peu perturbée par la pandémie et ils avaient moins tiré, mais tout de même 53 jours. Cette année, si ça continue, ils vont battre tous les records!»

Et d’ajouter: «J’ai écrit deux fois à Madame Viola Amherd, la cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), ainsi qu’à son service de la communication, pour spécifier qu’il y avait un dépassement des limites du supportable et que ce n’était plus acceptable.»

Claude-Alain Briod a mis en évidence les réalités suivantes: «Psychiquement, et qui plus est en cette période de Covid, cela détruit le moral des personnes qui habitent à proximité; cela nuit en outre à la guérison des gens qui se rétablissent chez eux; à la suite des réclamations que j’ai moi-même reçues en tant que président de la commission, la capacité des personnes contraintes de faire du télétravail à domicile s’en trouve réduite; enfin, ces tirs, souvent en rafale, nuisent au sommeil et à la sérénité des enfants.»

Claude-Alain Briod a aussi relevé que sa commission était toujours sans réponse à propos de la pollution des terrains générée par le cuivre et le plomb dans un vallon qui se trouve dans une zone de protection des sources.

Faute de «combattants, la manifestation a pris fin sur la colline de Vugelles, lors d’une soirée ou les tirs n’ont donc pas crépité…

 

«La population a suffisamment payé»

 

Le député yverdonnois Vassilis Venizelos (Les Verts), sans doute averti par un ami, était présent lors de cette manifestation. Annonçant le prochain dépôt d’une interpellation, il a fait part de son sentiment: «Il faut en effet qu’on puisse parler de l’avenir de cette place de tir au Grand Conseil, car elle alimente la chronique depuis bien des années et il faut bien constater qu’aucune solution n’a été trouvée. En particulier pour la population des villages de la région qui a suffisamment payé. Je pense qu’il est temps de mettre fin à ces nuisances dans un lieu où les habitations sont vraiment proches des tirs, ce qui n’est pas le cas dans le reste de la Suisse, à ma connaissance. Qui plus est, les tirs sont ici très bruyants.»

Le député a également évoqué le dépassement des normes de pollution au plomb et au cuivre.

 

«Nous sommes démunis face à l’ogre»

 

Parmi les manifestants, Katia Schneider, de Grandevent, tenait à souligner que cette place de tir n’était plus adaptée, en particulier parce qu’elle est trop proche des habitations: «La région s’est densifiée avec pas mal de nouveaux habitants et c’est une des raisons pour lesquelles ces tirs presque continuels sont exagérés. Quelle arme a le citoyen pour se défendre et se faire entendre face à l’armée qui, en l’occurrence, est un ogre? Aucune, si ce n’est un rassemblement comme celui d’aujourd’hui. Nous sommes donc démunis et nous avons l’impression que les autorités abandonnent notre petite région, par ailleurs si accueillante.»
De son côté, Jean-Marc Cerantola, de Vugelles-La Mothe, dont la maison est située au pied de la place de tir, tenait à relever que ce mois de mars avait été infernal avec ces salves continuelles et quasi quotidiennes: « Oui, on en a marre, c’est un manque de respect à l’égard de la population. Il me semble que cela va trop loin». Sur le Balcon du Jura, même des habitants de Bullet relevaient que ça avait beaucoup canardé et que ça s’entendait jusque là-haut!

 

Quelques épisodes d’un interminable bras de fer

 

Octobre 2009 Une nouvelle convention tente de concilier au mieux la tranquillité des habitants et les besoins des militaires. «L’armée nous a fait une proposition, relève Claude-Alain Briod, syndic de Grandevent, qui est également le délégué des neuf communes concernées: Vugelles-La Mothe, Grandevent, Novalles, Orges, Fiez, Giez, Fontaines-sur-Grandson, Villars-Burquin et Bullet. Une réunion est prévue pour trouver la meilleure solution et tenter de mettre fin à ce bras de fer vieux de huit ans.

Décembre 2013 Situation toujours bloquée: une rencontre entre l’armée et les communes n’a abouti qu’à un désaccord concernant la procédure de mesure des nuisances sonores. Le syndic de Vugelles-La Mothe, Michel Jeckelmann, conteste les mesures de décibels effectuées par l’armée, car son expert a pris la valeur moyenne sur une journée et arrive à 60 décibels. «Alors forcément, comme il y a des moments où les militaires ne tirent pas… De notre côté, nous avons enregistré des pics à 100 décibels lors de ces tirs.» Les autorités des villages demandent une diminution du nombre des jours de tir (100 par an).

Mai 2014 «Il faut fermer la place de tir, déclare le conseiller aux états Luc Recordon. Je vais m’approcher du Canton pour réclamer l’arrêt des tirs. Je trouve toujours incroyable la manière détachée avec laquelle l’armée aborde la question. Ce qui me choque le plus dans cette affaire, c’est que si nous nous trouvions sur l’arc lémanique, cela fait longtemps que l’on aurait trouvé une solution. Là, il ne s’agit que de quelques petites communes du pied du Jura et elles sont un peu oubliées… »

Décembre 2015 Grave pollution à la place de tir, où des prélèvements de terre ont démontré que les dépôts de cuivre et de plomb dépassent largement les normes. Dans la zone des mitrailleuses, les mesures ont été faites à 10 centimètres de profondeur et ont décelé 21 291 milligrammes de plomb par kilo, alors que la norme à ne pas dépasser est fixée à 50 mg/kg! «C’est quand même 425 fois plus, et il y a de quoi s’affoler un peu. D’autant plus que le chiffre prend l’ascenseur plus en profondeur», indique un élu de la région. 534 mg de cuivre par kilo ont aussi été mesurés, alors que la norme est fixée à 40 mg/kg.

Février 2017 «Nous nous interrogeons sur la nécessité de maintenir la place de tir, au vu des futurs développements de l’armée»: paroles du Conseil d’état vaudois. Denis Froidevaux, chef du Service cantonal de la sécurité civile et militaire, enchaîne: «Il serait opportun d’étudier si une possibilité de déplacer les activités sur une autre place de tir moins génératrice de nuisances existe.»

Avril 2020 La place de tir continue de diviser! Le lieu d’entraînement n’a pas cessé ses activités malgré la pandémie. Plusieurs habitants expriment leur étonnement en cette période de crise sanitaire. Telle cette habitante d’Orges: «Nous vivons des temps difficiles, estime-t-elle. Et entendre ces tirs, plusieurs jours d’affilée, je trouve ça inapproprié. D’habitude, je ne me plains pas de la place de tir, mais là, on a l’impression que cette énergie pourrait être utilisée dans d’autres domaines.» Une activité pourtant jugée nécessaire par l’armée, qui baissera toutefois la cadence car des jours de tir seront supprimés.

Roger Juillerat