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La sauce Hilcona laisse un goût amer

16 novembre 2018 | Edition N°2376

Orbe – Plusieurs voix dénoncent les conditions de travail précaires au sein de l’entreprise spécialisée dans la production alimentaire. En cause: les salaires des ouvriers temporaires, la planification du travail, la santé et la sécurité.

«Nous sommes des ouvriers traités comme des esclaves. Au fil des années, les conditions se sont dégradées. Si je me bats aujourd’hui, c’est pour faire bouger les choses.» Comme d’autres employés de l’entreprise Hilcona Gourmet S.A. à Orbe, Jean-Claude* dénonce les conditions précaires dans lesquelles il travaille depuis plusieurs années déjà. Père de quatre enfants, il préfère garder l’anonymat. «J’ai accepté ce boulot de nuit parce qu’il me fallait à tout prix un permis pour rester en Suisse avec ma famille, confie-t-il. Mais c’est très difficile de vivre ici avec un salaire misérable inférieur à 4000 francs et d’avoir un semblant de vie privée quand on travaille chez Hilcona.»

Spécialisée dans la production de pizzas, de sandwichs, de produits frais et de surgelés, la société liechtensteinoise emploie près de 2000 collaborateurs, dont 350 sont répartis sur le site urbigène. En 2017, elle a été rachetée par le groupe Bell, qui appartient à Coop.

Salaires précaires

Le syndicat Unia dénonce le salaire horaire brut des employés temporaires, qui est déjà passé de 15,69 à 17,11 francs au début de cette année, mais qui ne respecte toujours pas le salaire d’usage selon la convention collective de travail (CCT). «Ce montant devrait s’élever à 18,66 francs de l’heure», constate Nicole Vassali, secrétaire syndicale chez Unia.

Contacté, le groupe Hilcona Gourmet S.A. affirme par écrit qu’il «rémunère ses collaborateurs conformément aux pratiques de la branche». Depuis le début de cette année, l’entreprise a gonflé la rémunération horaire des travailleurs temporaires et «effectuera une nouvelle augmentation en janvier 2019». Ses responsables assurent par ailleurs que le «salaire actuel du personnel temporaire est conforme à la convention collective de travail actuellement en vigueur».

Travail sur appel

Hormis les conditions salariales, la planification des horaires est aussi pointée du doigt. Selon la loi sur le travail, le planning des employés devrait être fixé au moins deux semaines à l’avance. «On ne sait jamais quand on doit travailler et c’est compliqué pour organiser une vie familiale, dénonce Stéphane*, un autre collaborateur de l’entreprise. On doit être constamment à disposition, 24h sur 24, parce qu’on n’est pas prévenu quand il y a des changements. Et si on ose se plaindre, on le paiera tôt ou tard.»

Hilcona affirme, de son côté, informer ses «collaborateurs au moins deux semaines avant leur affectation». Cependant, en fonction de la demande, «il peut arriver que des collaborateurs soient mis en congé malgré le fait qu’ils étaient planifiés pour un engagement». Le groupe ajoute qu’il œuvre actuellement à la mise en place d’un système de planification du personnel.

Augmentation des accidents

Selon plusieurs témoignages, le nombre d’accidents serait en constante augmentation. «Les temporaires ne reçoivent aucune formation quand ils commencent à travailler ici et l’un des employés s’est coupé les doigts en manipulant une machine, s’alarme Stéphane. Et si on est malade et qu’on a fourni un certificat médical, les chefs nous harcèlent par téléphone pour savoir quand on reviendra au boulot.»

Hilcona répond que chaque collaborateur reçoit une «formation spécifique, identique pour tous les employés, temporaires et fixes» et que les processus RH sont conformes aux directives légales en matière de maladie.

La Suva, qui est chargée du domaine des maladies professionnelles pour les entreprises en Suisse, ne souhaite pas communiquer sur le nombre d’accidents, affirmant que ces informations relèvent «du domaine de la protection des données». Propriétaire d’Hilcona Gourmet S.A., la société Coop se refuse, pour sa part, à tout commentaire.

*Prénoms d’emprunt

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L’inspecteur du travail est passé trois fois

Contacté vendredi dernier, le chef du Service de l’emploi (SDE) du Canton de Vaud, François Vodoz, est «surpris» d’apprendre que des employés dénoncent les conditions de travail précaires chez Hilcona en matière de planification, de santé et de sécurité. «Aucune de ces thématiques n’a été abordée lors des discussions que nous avons eues avec Unia», déclare le responsable.

Il précise qu’un inspecteur du travail s’est rendu à trois reprises à Orbe, en mars, en avril et en mai, et qu’il n’a pas détecté de «problèmes majeurs». De plus, un audit sur les risques psychosociaux (RSP) a été mené auprès des travailleurs fixes et n’a relevé aucun phénomène étrange. En ce qui concerne le salaire  d’usage des temporaires, la commission tripartite, composée du SDE, des employeurs et du syndicat Unia, fait actuellement l’objet de pourparlers. «D’ici à la fin de l’année 2018, nous souhaitons établir un salaire qui soit indiscutable pour les employés temporaires», affirme François Vodoz.

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«A un moment donné, mon dos a craqué»

Mère de deux enfants, Sandra* a travaillé pendant deux ans pour Hilcona comme employée temporaire avant de démissionner de son plein gré, l’été dernier. «Je travaillais dans les réfrigérateurs par moins deux degrés. L’équipe était constamment sous pression, explique-t-elle. A un moment donné, mon dos a craqué. Je ne pouvais plus travailler dans de telles conditions.»

Sandra est au courant qu’un audit a été mené auprès des employés fixes, mais déplore qu’aucune étude similaire n’ait été menée parmi les temporaires. «Je n’ai pas peur de dire ce que je pense, poursuit-elle. Mais la plupart des femmes qui travaillent chez Hilcona craignent de perdre leur job. Elles n’ont pas confiance en elles et préfèrent se taire parce qu’elles considèrent que c’est normal. La loi du silence règne.»

Si elle est actuellement au chômage, Sandra reste optimiste: «Quand une porte se ferme, il y en a une autre qui s’ouvre ailleurs.»

Valérie Beauverd