«L’ambiance est belliqueuse»
12 juin 2025 | Entretien: Jérôme ChristenEdition N°La Région Hebdo No 15
C’est plus que jamais le bras de fer entre les milieux qui défendent les locataires et ceux qui soutiennent les propriétaires. Dans un entretien, le directeur de la Chambre vaudoise immobilière et conseiller national PLR Olivier Feller se dit ouvert à des propositions d’améliorations, mais déplore une ambiance belliqueuse qui empêche toute négociation sereine.
Le Parti socialiste vaudois se prépare à lancer une initiative cantonale dont nous avons parlé dans notre édition du 27 mars lors d’un entretien avec Xavier Fischer du PS d’Yverdon. Au niveau suisse, l’Association de défense des locataires prépare également une initiative populaire fédérale en faveur d’un contrôle plus strict des loyers. Le directeur de la Chambre vaudoise immobilière et conseiller national PLR, Olivier Feller, explique le danger qu’il voit dans ces différentes propositions.
Olivier Feller, la CVI estime que les mesures envisagées par le PS dans son initiative en faveur du logement risque de produire des effets néfastes pour la communauté vaudoise. Est-ce un problème de calculer le taux de pénurie sur l’ensemble du canton, plutôt que par district, dès lors qu’il y a de grosses différences en particulier entre les communes urbaines et celles de montagne et des régions périphériques?
Le périmètre pris en compte pour mesurer la pénurie n’est pas sans importance. Mais ce qui me gêne, c’est l’inconstance du PS. En 2019, lors d’une révision de la loi cantonale sur l’utilisation d’une formule officielle au changement de locataire, il s’était battu pour que la pénurie soit définie non plus au niveau du canton, mais au niveau de chacun des districts. Aujourd’hui, il propose l’inverse. Ce n’est pas très sérieux. Pour ma part, j’estime que le district constitue un ensemble assez cohérent en termes socio-économiques, démographiques et géographiques. Dans les faits, la situation n’est pas la même dans l’Ouest lausannois, où la pénurie est sévère, et dans le district d’Aigle, où il n’y a pas de pénurie.
Le PS dénonce aussi le fait que les rénovations à but d’efficience énergétique sont utilisées comme prétexte à la réalisation d’autres travaux visant à augmenter le luxe des appartements pour les pousser à partir et en profiter pour augmenter les loyers. Il souhaite que les projets soient dimensionnés pour maintenir les locataires dans leurs logements ou en tout cas d’impossibilité de prévoir des obligations de relogement. En quoi cette proposition n’est-elle pas soutenable?
La réalité est nuancée. Il y a parfois des bailleurs, encore récemment à Zurich, qui se comportent mal en résiliant en masse des baux à loyer d’un immeuble sans que cela soit nécessaire. Mais la plupart des propriétaires sont responsables et agissent correctement. Il faut savoir que lorsque vous êtes propriétaire d’un immeuble ancien, il peut être incohérent de le rénover sur le plan énergétique sans améliorer simultanément l’isolation phonique dans le bâtiment ou de l’équiper d’un ascenseur ou d’une cuisine moderne. En outre, selon le droit du bail, les locataires peuvent faire interdire des travaux qui seraient disproportionnés. Il y a donc des mesures de protection qui existent. Mais en créant une obligation générale de relogement, on ralentira les procédures. Or, la loi cantonale sur l’énergie en discussion veut imposer l’obligation de rénover sur le plan énergétique les immeubles énergivores d’une surface énergétique de référence de plus de 750 mètres carrés d’ici 2035. Cet objectif ne pourra pas être atteint si l’on multiplie les contraintes.
Le PS souhaite étendre le droit de préemption à toutes les communes vaudoises, partant du principe que le cadre actuel en pénalise certaines. Les milieux immobiliers multiplient, de leur côté, les attaques contre le droit de préemption. N’est-ce pas pourtant un bon moyen de permettre aux communes de contribuer à détendre le marché du logement?
Le droit de préemption est en vigueur depuis le 1er janvier 2020 dans le canton de Vaud. Or, à ma connaissance, il n’a permis de créer aucun logement supplémentaire. Ce n’est pas étonnant : un texte de loi n’a jamais produit un seul logement de plus. À Prilly, le dossier est dans un embrouillamini juridique sans précédent. À Lausanne, le droit de préemption n’a été exercé qu’en lien avec des immeubles existants qui comprennent des logements qui sont déjà loués à des loyers raisonnables par leurs propriétaires. Les communes peuvent imposer leurs vues au travers des plans d’affectation en imposant un certain nombre de logements d’utilité publique.
Le PS aimerait également augmenter la durée du contrôle des loyers à dix ans au lieu de cinq ans actuellement pour limiter un peu plus le risque d’augmentations de loyers au changement de locataire ou pour toutes sortes de motifs. Sur le plan fédéral, l’ASLOCA annonce par ailleurs une initiative fédérale sur le contrôle des loyers. Vous allez bien sûr combattre ces propositions, mais que proposez-vous pour contenir l’augmentation du prix des loyers?
En cas de pénurie prononcée, la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) autorise déjà un contrôle des loyers pendant dix ans. Et le droit du bail permet aux locataires de contester le loyer initial ou une hausse de loyer. Nous sommes loin de vivre dans un no man’s land juridique. Pour tempérer les loyers, il faut remédier à la pénurie et donc construire davantage de logements.
Pourriez-vous entrer en matière sur d’autres améliorations en faveur des locataires?
Il y a peut-être des modifications ponctuelles du droit du bail qui mériteraient d’être négociées dans l’intérêt de tous. Mais lorsqu’on lance une initiative populaire fédérale qui vise à instaurer un contrôle étatique automatique des loyers, on crée une ambiance belliqueuse qui empêche toute négociation sereine.
Est-ce à dire que la législation actuelle en matière de droit du bail est suffisante?
Il y a des dispositions en droit du bail qui contrarient les milieux des locataires, il y en a d’autres qui gênent les milieux des propriétaires. Si l’on devait créer un droit du bail aujourd’hui, ex nihilo, je pense qu’on s’y prendrait autrement. Mais globalement, le droit actuel, concrétisé par une jurisprudence abondante et évolutive, est relativement équilibré.
Tout de même, selon le PS, entre 2000 et 2025, le coût des loyers des logements mis sur le marché, neufs ou après rénovation, a augmenté de 86% soit largement plus que les salaires. De nombreuses études font état de fortes augmentations. Même dans les régions où de nombreux logements sont construits. Comment l’explique-t-on et quelles mesures préconisez-vous pour stopper ou au moins ralentir cette progression?
Selon une récente étude commandée par l’Office fédéral du logement, les loyers ont augmenté de près de 25% en moyenne en Suisse depuis 2006. Mais il y a un écart énorme entre les locataires qui occupent leur logement depuis longtemps et ceux qui ont conclu un nouveau bail. Ce décalage est le problème essentiel posé par le droit du bail actuel. Il est donc impératif d’augmenter le rythme de production de nouveaux logements.
Les milieux immobiliers préconisent la construction de nouveaux logements pour détendre le marché et modérer les prix des loyers. Mais on sait que l’augmentation du parc immobilier est une vue de l’esprit. Statistique Vaud le confirme. Aussi bien la contestation que les échecs des projets immobiliers sont croissants. Comment y remédier?
On est face à une contradiction fondamentale. La loi fédérale sur l’aménagement du territoire, la LAT, vise à densifier les zones urbaines. Mais dans les quartiers et les agglomérations, les populations locales ont tendance à rejeter les projets de construction qu’on leur présente. On peut les comprendre. Mais je pense qu’on ne résoudra pas cette contradiction par un coup de baguette magique.
Le principal problème n’est-il pas en fin de compte la croissance démographique mise en cause par l’UDC avec son initiative qui vise à limiter la population suisse à dix millions d’habitants?
Cette initiative doit être prise au sérieux. On a besoin de main-d’œuvre étrangère pour faire fonctionner notre économie. Mais les logements et d’autres infrastructures, comme dans le domaine des transports, ne sont pas à jour.
Depuis quinze ans à la CVI
Olivier Feller est titulaire d’un Master en droit et d’un certificat d’études de piano du Conservatoire de Lausanne.
Il a été nommé directeur de la Chambre vaudoise immobilière et secrétaire général de la Fédération romande immobilière il y a quinze ans. Élu au Grand Conseil vaudois en 1998 à l’âge de 24 ans, il en fut le benjamin. Il l’a quitté en 2011, ayant été élu au Conseil national. Il y a été réélu en 2015, 2019 et 2023.
Il a siégé de nombreuses années à la commission des finances qu’il a présidée, puis à la commission de l’économie et des redevances.
Il fait actuellement partie de la commission des transports et des télécommunications.