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L’art en marge de l’art
Claire von Martini (à g.) et Ariane Honegger ont fait des cadres l’œuvre de leurs vies.

L’art en marge de l’art

3 juin 2025 | Texte: Robin Badoux | Photos: Michel Duperrex
Edition N°3953

Cela fait dix ans que les encadreuses Claire von Martini et Ariane Honegger travaillent dans les marges d’œuvres diverses pour les mettre en valeur et les protéger. Un artisanat méconnu, et pourtant essentiel.

Qui arrive, de tête, à décrire le cadre qui entoure Mona Lisa? Bien souvent, lorsqu’on observe une œuvre, l’œil se contente de regarder son contenu. Il analyse ses couleurs et ses formes, mais ne s’aventure que rarement au-delà. Et pourtant, tout autour, un élément essentiel vient magnifier et protéger ce dessin, cette photographie ou cette gravure: son cadre.

Pour Claire von Martini et Ariane Honegger, il y a fort à parier que leurs regards parcourent le chemin inverse, du cadre vers son contenu. Et pour cause: elles travaillent depuis plus de dix ans à la fabrication de ces encadrements, parures essentielles des œuvres bidimensionnelles de valeur.

Goûts pour la conservation

Ce sont, d’abord, des parcours de vie similaires qui ont amené les deux femmes à se rencontrer et à se lancer dans l’aventure de l’encadrement. Toutes deux ont grandi entourées d’œuvres de papas artistes avant de se lancer dans des formations différentes. Claire von Martini devient alors ébéniste et travaille un temps dans une manufacture d’orgues sur Fribourg. De son côté, Ariane Honegger suit une formation de photographe et travaille dans un laboratoire traitant des photos anciennes à Neuchâtel.

Elles se rencontrent par la suite à la Galerie de l’Hôtel de Ville – désormais le Centre d’art contemporain d’Yverdon, CACY – où elles collaborent à l’élaboration des expositions. «C’était une bonne école qui nous a appris à approcher une œuvre d’art, comment la mettre en valeur, l’exposer et la conserver», relate Claire von Martini.

Après ce travail en commun au CACY, elles décident de se lancer ensemble dans le métier d’encadreuse. Une transition facilitée par leur goût commun pour la conservation et la mise en valeur des œuvres. «On avait cette idée en tête depuis longtemps. Après, ça s’est fait naturellement.»

Elles rachètent du matériel d’atelier à la Chaux-de-Fonds et s’installent à Yverdon. «En tant qu’ébéniste et photographe, nous avons des compétences complémentaires, mais il fallait qu’on en apprenne plus. Nous nous sommes alors formées en Italie sur l’art de l’encadrement», décrit Ariane Honegger.

Elles apprennent ainsi à façonner les différentes parties d’un bon cadre: le passe-partout, une bordure en carton ou papier placée entre l’œuvre et le cadre, le fond, la vitre et, bien sûr, le cadre lui-même. «Le but est de mettre en valeur une œuvre, la faire ressortir et la protéger sans qu’on remarque le cadre», explique Claire von Martini.

Du cadre aux passe-partout, les possibilités sont infinies.

Picasso et dessins d’enfants

Des cadres, les deux femmes en proposent de toutes tailles et couleurs, principalement en bois ou en alu. «Ce n’est pas toujours facile de trouver le cadre qui va avec une œuvre.» Leur atelier regorge ainsi d’échantillons exposés un peu partout, sur les murs, sur les escaliers. Nombreuses aussi sont les œuvres accrochées et encadrées çà et là, comme autant d’exemples du savoir-faire des deux artisanes.

À l’étage, papiers et cartons colorés sont exposés en nombre, et permettent de se faire une idée de la myriade de possibilités à choisir pour former le cadre idéal qui ira avec le bon passe-partout. «Une part du travail consiste à partager avec le client et discuter du choix des matières en fonction de ses goûts et envies.»

Jusqu’à présent, elles ont principalement travaillé pour des particuliers, mais sur des projets très divers: cadres pour estampes, des lithographies de Picasso, des broderies, des parchemins anciens, pièces de monnaie, éventails et même des dessins d’enfants. Ces derniers «arrivent parfois tout froissés ou déchirés, mais une fois encadrés, le résultat peut devenir extraordinaire. Les gens mettent souvent en valeur des objets personnels chargés de sentiments», glisse Ariane Honegger.

Les idées et les projets ne manquent donc pas dans ce métier, qui reste avant tout une passion pour Claire von Martini et Ariane Honegger. «Ce n’est pas un métier qui nous permet d’en vivre. Il faudrait se trouver au cœur d’une ville comme Genève ou Lausanne. Il y a tout de même beaucoup d’encadreurs qui arrivent à la retraite et qui ne trouvent pas de repreneur. C’est un vrai métier-passion», expriment les deux artisanes, dont l’art de l’encadrement reste en marge par rapport à leurs vies professionnelles respectives. Mais on comprend facilement que pour elles, c’est bien ce qui se trouve dans les marges, le cadre, qui compte.

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