Laurent et Thierry Guignard se sont rendus sur le site très prisé de Krushevo, en Macédoine, pour passer deux semaines dans les airs. Récit d’un voyage pas tout à fait ordinaire.
«J’ai 62 ans, mon frère Thierry 65 et… on a encore envie de profiter de la vie et de découvrir des choses.» Un goût prononcé pour l’aventure: il n’en fallait pas plus à Laurent Guignard et son aîné pour ressortir leur minibus, le charger à ras bord et avaler les quelque 2000 km qui séparent Suscévaz – lieu de résidence du premier – de Krushevo, en Macédoine.
Derrière ce périple de deux semaines, une idée: voler, encore voler, toujours voler. Les deux hommes pratiquent le deltaplane depuis 45 ans. «On s’était inscrits à l’école de vol libre d’Orbe à l’époque. Lorsque le parapente est arrivé en Suisse, une dizaine d’années plus tard, on s’y est également essayés», lance le cadet. Depuis, tous deux gardent en permanence une aile et une voile à portée de main, avec une certaine préférence pour la première.
Economie du vol libre
Après une journée de voyage à sillonner les routes d’Europe, les voilà arrivés à Krushevo, à environ 150 km au sud-est de Skopje, la capitale. «L’endroit semble avoir été figé cent ans en arrière, à l’ère soviétique. Cela se repère surtout aux voitures et à l’agriculture. Dans les rues, les gens transportent leurs marchandises avec des charrettes. Ce n’est pas non plus le tiers-monde, hein. Certains enfants se baladent avec des smartphones. Parfois, des belles bagnoles passent à toute allure. Mais c’est l’exception, on comprend vite que ces gens-là ne travaillent pas dans les champs de tabac juste à côté. A ma connaissance, le salaire moyen tourne autour de 300 euros», précise Laurent Guignard.
Ce contexte de pauvreté représente une aubaine pour le développement du vol libre. «Soyons clairs: la ville vit en grande partie du deltaplane et du parapente. Elle joue de cela. Les pensions, les taxis: toute une économie est née autour.» Il faut dire que les touristes affectionnent le lieu, réputé pour ses conditions de vol. Une piste de décollage a spécialement été aménagée pour le confort des voyageurs.
Pas ce genre de vol
D’une certaine manière, Krushevo est devenu un passage obligé pour les aficionados du vol libre. A tel point que l’endroit est devenu victime de son succès. «A notre arrivée, une compétition était en train de se dérouler. Ils devaient être près de 200 parapentistes à tourner autour du même cumulus. Lorsque je me suis élancé, mon premier réflexe a été de m’écarter un maximum. A la fin de la journée, on a appris que deux d’entre eux s’étaient tués. L’un aurait perdu le contrôle et percuté un concurrent dans sa chute. A peine arrivé, ça met un petit coup au moral…», souffle le Nord-Vaudois.
Pour rallier leurs points d’atterrissage avec leur minibus, garé à l’endroit où ils s’élançaient quelques heures plus tôt, les deux frères avaient embarqué une moto. «On la posait le matin à l’endroit où on avait l’intention d’atterrir, puis on effectuait le trajet en bus jusqu’au sommet.» Dans l’esprit, l’idée est ingénieuse. Dans les faits… «On nous l’a volée dès les premiers jours, peste Laurent Guignard. Résultat, on a fait du stop durant dix jours. Les gens ne sont pourtant pas méchants, au contraire. Il n’y a aucune hostilité. A vrai dire, on se sent bien plus en sécurité à Krushevo que dans n’importe quelle grande gare en Suisse.»
Un peu de Martigny au poste
Ce vol, les deux hommes ont choisi d’aller le déclarer au poste de police le plus proche. «On s’attendait à devoir y passer des heures, à ce que personne ne nous écoute. En fait, le gendarme qui nous a pris en charge avait vécu cinq ans en Suisse, au début du siècle. Il travaillait comme couvreur sur les toits à Martigny. Il était tellement heureux de pouvoir à nouveau parler français, tout a été réglé en un temps record. Il nous a même invités à une grande fête avant notre départ.»
Au contraire de Krushevo, ville orthodoxe, la région qui l’entoure est en partie musulmane. «Le but premier en allant en Macédoine était de survoler des paysages différents de ceux qu’on trouve en Suisse, poursuit Laurent Guignard. A force de surplomber ces immenses champs de tabac, on a aperçu un certain nombre de mosquées. Le gendarme qu’on a rencontré venait d’ailleurs d’une de ces zones musulmanes. Aujourd’hui, il semblerait que tout le monde se trouve sur un pied d’égalité. Mais on sent bien que cela n’a pas toujours été le cas, et que la minorité musulmane en a souffert, notamment au niveau de l’éducation.»
Au total, Laurent et Thierry Guignard auront volé plus de vingt heures, réparties sur onze sessions. Et pourtant, le retour sur terre s’est passé sans accroc. «En fait, la seule chose qu’on aurait gagné à ne pas partir, c’est de toujours avoir une moto dans notre garage.»