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Le «blues» de la cinquantaine
Roger Baudraz (à gauche), en compagnie de Jérôme Rudin.

Le «blues» de la cinquantaine

21 mars 2025 | Textes et photo: I. Ro.
Edition N°3914

Jérôme Rudin a présenté un échantillon de ses œuvres lors d’un événement privé dans la Cité thermale.

Qui se souvient de Jérôme Rudin? Ce peintre autodidacte a défrayé la chronique il y a une vingtaine d’années par son audace et son extravagance, devenant l’un des rares artistes suisses affublés du qualificatif de «jet-setter». Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et l’homme s’est assagi. Il était de passage il y a peu dans le Nord vaudois pour présenter quelques-unes de ses œuvres récentes, répondant ainsi à l’invitation de Roger Baudraz, l’un de ses fidèles soutiens.

Jérôme Rudin ne le cache pas, il vit une passe difficile, une forme de traversée du désert. Peut-être aussi la crise de la cinquantaine, ce moment où l’humain remet en doute ses certitudes et où l’horizon semble bouché.

Une vie flamboyante

Alors, dans ces moments-là, l’évocation de souvenirs réchauffe l’esprit. On le voit encore emmener les reporters de L’Illustré à la rencontre de Françoise Sagan et de Gina Lollobrigida, ou encore monter à bord du yacht d’Ivana Trump amarré le temps d’une escale à Monaco. Il lui offre une toile grand format très colorée qui la séduit immédiatement. Le voilà, le temps de quelques heures, engagé dans un monde qui n’est pas le sien, mais dans lequel il nage comme un poisson dans l’eau.

A cette époque, l’artiste en quête de reconnaissance a décidé de frapper fort et haut. Et ça marche. Il n’hésite pas à engager un chauffeur pour se rendre aux événements auxquels il est invité. Il faut bien afficher un certain niveau.

L’homme, il ne l’a jamais caché, est un séducteur. Sa vie d’alors est un roman. Et dans les milieux où l’argent coule à flots, le jeu est un art de vivre. Pourquoi s’en priver?

L’homme est bien conscient que tout cela aura une fin. Mais lorsqu’on est jeune, cela n’a aucune importance. D’autant moins que sa fidèle compagne est toujours là pour le tirer des mauvais pas.

Les années ont passé et, dans le domaine artistique comme dans pratiquement tous les autres, la globalisation a exacerbé la concurrence. On devient (trop) vite un artiste reconnu pour plonger presque aussitôt dans les abîmes de l’anonymat. A vrai dire, l’immédiateté des réseaux sociaux passe à la moulinette les vraies relations, celles qui se tissent dans le temps.

Enfin une éclaircie

C’est justement une de ces relations établies sur la durée qui explique la présence de l’artiste à Yverdon-les-Bains. «Je connais Roger Baudraz depuis plus de dix ans. C’est un ami fidèle et un mécène. Nous nous sommes toujours bien entendus et il s’en fout de mon passé de jet-setter», explique l’artiste.

C’est dans ces circonstances, à un moment où l’artiste a besoin d’être relancé, que Roger lui a proposé de présenter ses œuvres récentes dans un cercle privé. «Je voulais répondre à sa gentillesse et je me suis dit: pourquoi pas?» ajoute Jérôme Rudin.

Ses tableaux, des formats bien plus petits que ceux de l’époque de sa splendeur, sont mieux travaillés. On découvre des coins connus des Alpes, avec, à chaque fois, des mazots. Ces œuvres symbolisent à la fois son attachement au pays, mais aussi, par le flou et des couleurs sombres, l’humeur du moment.

Heureux de cette présentation, l’artiste aimerait la voir comme le début d’une renaissance: «L’amitié me donne des ailes. Jean-Claude (ndlr: Vagnières) m’a ouvert des portes. Nous sommes restés en contact tout le temps», relève-t-il pour rendre hommage à son autre soutien yverdonnois. L’éditeur de La Région n’hésite d’ailleurs pas à le gronder, comme le ferait un père: «Tu as du talent, mais tu dois travailler plus!»

«C’est vrai, peut-être suis-je un feignant. Je l’ai rencontré à Vétroz et il m’avait déjà dit que je devais plus travailler ma peinture», sourit l’artiste.

L’amour pour se relancer

Jérôme Rudin confie qu’il passe une période difficile, un peu comme s’il était en panne d’inspiration. «Cela fait 33 ans que je peins. Quand tu passes à côté des tableaux du matin au soir, tu as envie d’en échapper.»

Et d’ajouter: «Je suis tributaire de mes émotions, de mes états d’âme. Je ne suis pas un homme heureux aujourd’hui. La Suisse romande est trop petite pour moi. J’ai 51 ans, j’ai tout eu. J’ai de la difficulté à me battre, à vendre mes tableaux. J’ai dû réduire la voilure.»

Que faudrait-il alors pour combattre ce vague à l’âme? «J’aimerais retomber amoureux d’une femme qui me comprenne et me stimule. J’aimerais mettre mon épaule sur une épaule douce», déclare-t-il, tel un médecin convaincu de l’efficacité du remède.

Et d’évoquer, avec un sourire nostalgique, une belle époque: «Avec Marianne, je pouvais me confier. Nous avons vécu seize années fantastiques. Aujourd’hui, je me sens un peu seul.»

Mais l’artiste croit que la roue va tourner: «Il y aura des déclics. Parfois j’ai envie de pleurer. Je ne vois pas pourquoi je devrais sourire toute la journée. Je n’ai ni rancune ni regrets.»

Cette période de doute, Jérôme Rudin en sortira renforcé. Le jet-setter, devenu dandy, a bien le droit de croire en sa bonne étoile.

L’exposition est ouverte sur rendez-vous au 079 210 65 84.


Un jeune artiste qui avait du culot

Peintre autodidacte, Jérôme Rudin avait 18 ans à peine lorsqu’il a exposé ses toiles pour la première fois dans la galerie de Catherine Mermod, rue de la Mercerie à Lausanne, en 1992.

Grand et séduisant, l’artiste rêvait de grandeur et d’un monde qui fait le quotidien des revues du cœur. Jérôme Rudin est très vite devenu l’ami qu’il fallait inviter. D’Ivana Trump à Adnan Khashoggi, il a vendu ses toiles à de nombreuses personnalités qui fréquentaient les grandes soirées à Cannes et à Ibiza. Mais il y a un temps pour tout. Certains de ses célèbres amis ont disparu et l’artiste doit se réinventer. La crise de la cinquantaine a parfois du bon.