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Le champ qui divise

5 novembre 2020

Deux agriculteurs de la localité d’Essert-Pittet se sentent lésés par la répartition de ses terres par la Commune de Chavornay. L’affaire se réglera au tribunal.

En rangeant une dernière fois ses outils avant sa retraite, Jean-Marc Berger, agriculteur originaire d’Essert-Pittet, n’imaginait peut-être pas les tensions qui allaient découler de la répartition des terres qu’il louait à la Commune. Et pourtant, depuis son départ, Chavornay et deux paysans du village fusionné s’opposent.

L’objet de la discorde: 13,5 hectares répartis sur plusieurs parcelles aux mains de la Commune. D’un côté, la Municipalité souhaiterait les partager entre plusieurs paysans originaires des trois localités que compte le Grand Chavornay (ndlr: Chavornay, Corcelles-sur-Chavornay et Essert-Pittet). De l’autre, David Miéville et Mathieu Marendaz, les deux agriculteurs d’Essert-Pittet, estiment qu’ils doivent être les seuls à pouvoir réclamer ces parcelles, comme l’indique la convention de fusion. Ils ont déposé un recours auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal, contre la décision de la Municipalité.

Pour justifier cette action, le duo se base sur l’article 16 de la convention. Ce dernier semble effectivement on ne peut plus clair au sujet de la répartition: «Lorsqu’une parcelle communale devient libre, elle est proposée en priorité aux agriculteurs domiciliés sur le territoire de l’ancienne commune à laquelle elle appartenait, puis aux agriculteurs des autres localités de la nouvelle commune.»

Alors pourquoi ne pas respecter à la lettre ce texte? «La convention n’est pas prévue pour durer une vie entière, estime Christian Kunze, syndic de Chavornay. Certes, je comprends leur position, mais en tant que Municipalité, nous sommes censés traiter nos agriculteurs de façon similaire. Or l’application stricte de la convention favoriserait à terme un paysan d’Essert-Pittet qui s’occuperait d’énormément de parcelles. Ce n’est pas tenable.»

Une argumentation qui ne convainc pas vraiment les deux paysans: «Je comprends la problématique liée au nombre d’hectares de commune par agriculteur moins élevé à Chavornay qu’à Essert-Pittet. Mais cette problématique n’est pas nouvelle. Au moment de rédiger la convention, nous étions déjà peu nombreux. Si ce fait constituait un problème, il fallait en discuter avant, anticiper ce souci. C’est une question de principe.»

Agriculteur exerçant son métier à Chavornay, Eric Känel estime lui aussi que la Commune devrait traiter de façon équitable tous ses paysans. «Je ne connais pas les détails politiques du dossier, tient-il à préciser. Mais cette équité est nécessaire pour éviter la jalousie entre agriculteurs. Elle n’existe pas actuellement, mais pourra naître sur long terme. La commune d’Essert-Pittet n’existe plus et on paie les mêmes impôts. Alors pourquoi auraient-ils droit à plus de terrain que nous?»

«Pas de retour sur la convention»

Alors qu’ils se partagent déjà plus de terres que les autres paysans de la commune en moyenne, les Fouette-grenouilles ne pourraient-ils pas «partager» les parts du gâteau communal? «Là n’est pas la question, insiste Mathieu Marendaz. La convention de fusion est claire: le terrain doit être remis en priorité à un agriculteur de l’ancienne localité s’il y en a un qui souhaite le reprendre. Encore une fois, si cela n’était pas convenable, il fallait le signaler avant l’établissement de la convention. Revenir sur ce qui est écrit dans cette convention, ce serait mentir à la population.»

Comment réagira cette dernière? Premiers éléments de réponses ce soir, lors du Conseil communal.

 

 

Un échec pour la fusion?

 

Un point litigieux de la convention de fusion qui se termine devant la justice: est-ce la preuve de l’échec du mariage entre les trois villages? Pas pour le syndic de Chavornay. «Cette affaire montre qu’il faudra apprendre à vivre en tant que commune fusionnée. Lorsqu’on entreprend une action, on ne le fait pas en prenant en compte la localité où elle a lieu. C’est ça la réussite de la fusion.»

Pour les deux agriculteurs non plus, le problème ne remet pas en cause l’union des trois villages. «Nous ne sommes pas anti-fusion, assure David Miéville. D’ailleurs nous ne combattons pas contre les autres agriculteurs, nous n’avons rien contre eux. Nous nous battons simplement pour que la convention soit respectée.» Et son confrère Mathieu Marendaz d’ajouter: «Ce combat aurait d’ailleurs pu être évité, puisque la Municipalité nous a dit qu’aucun agriculteur n’avait réclamé ces terrains. On a vraiment l’impression que des problèmes sont créés artificiellement.»

Massimo Greco