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Le cri de désespoir d’une maman
Le Centre de psychiatrie du Nord vaudois accueille des patients avec tout type de pathologie psychiatrique et n’est pas un lieu spécialisé dans les addictions. gabriel lado

Le cri de désespoir d’une maman

19 juin 2025 | Textes: J.-Ph. Pressl-Wenger
Edition N°La Région Hebdo No 16

Ce témoignage poignant d’une mère qui voit sa fille s’enfoncer dans l’enfer de la drogue incarne de manière terriblement réelle toutes les difficultés rencontrées dans la lutte contre ce fléau dans la Cité thermale. Loin des assises et des tables rondes sur le sujet.

Voir son enfant se battre contre une addiction, et ne pas réussir à s’extraire de la spirale infernale de la drogue. L’image est forcément révoltante. C’est malheureusement devenu la réalité d’une maman, qui a vu sa fille, jeune adulte, se démener contre une addiction au cannabis avant de tomber dans le crack. Ici, à Yverdon-les-Bains.

C’est à l’âge de 16 ans que Caroline* développe une addiction au cannabis. Après plusieurs années de suivi psychologique, et aujourd’hui dans sa vingtaine, elle est prise en charge sur site par le Centre de psychiatrie du Nord vaudois (CPNVD), connu aussi sous le nom de «Maison Rouge», à l’avenue des Sports. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Cinq semaines après le début de sa thérapie, sa mère découvre qu’au lieu d’aller mieux, son état s’est empiré. Pire, Caroline a découvert le crack, ce dérivé de cocaïne extrêmement addictif. «Je ne comprends pas, explique la maman, quand on va à l’hôpital, c’est pour se faire soigner, non ? Je suis allée à la «Maison Rouge» pour parler aux médecins. On m’a envoyée vers un responsable de garde qui m’a répondu qu’il ne connaissait pas le dossier de ma fille. Je voulais savoir pourquoi ils la laissaient sortir entre 14h et 23h ? Pourquoi ils ne la gardaient pas loin des dealers?» Les prises en charges thérapeutiques sont diverses et dépendent de chaque cas (lire encadré ci-contre).

Crack et violence

Loin de baisser les bras, cette maman de la région propose alors à sa fille de revenir passer du temps à la maison. Mais les épisodes de manque liés au crack ne font qu’empirer et plongent le foyer dans une extrême violence. «À une reprise, lors d’une période de manque, Caroline* s’est scarifiée les bras et le visage avec une fourchette, se souvient sa maman en larmes. Elle s’est ensuite montrée menaçante et nous avons dû faire appel à la police pour la faire sortir de chez nous. Mais quel parent appelle la police pour faire évacuer son enfant du domicile familial? sanglote-t-elle, désespérée. Et chaque jour, je la vois qui va de plus en plus mal. Si moi, sa maman, je ne l’aide pas, qui va le faire ? »

Beaucoup de questions en suspens

Cette situation dramatique ne constitue malheureusement pas un cas isolé. Et pour les proches, la recherche des responsabilités prend parfois l’image d’un combat, d’une nécessité pour comprendre comment les événements se sont enchaînés pour mener à une telle détresse. «Je ne comprends pas, poursuit la maman de Caroline. Nous n’avons pas de problème en famille, sa sœur va tout bien dans sa vie… Mais elle… Pourquoi?» L’émotion la submerge, et la question reste sans réponse, comme suspendue.

Elle ne s’explique pas non plus le développement de l’addiction de Caroline au cannabis: comment a-t-elle a pu passer au crack? Une connaissance? Une mauvaise rencontre? Un dealer insistant? Et le plus important: comment faire pour qu’aujourd’hui, Caroline sorte de cet enfer?

*Prénom d’emprunt


Quels moyens sont mis en œuvre?

L’hospitalisation liée à l’addiction peut répondre à deux situations : soit l’addiction est le motif principal (demande de sevrage, consommation mettant la santé en danger immédiat), soit elle est associée à un autre trouble (crise suicidaire, épisode psychotique, etc.), nous apprennent les équipes médicales du Centre de psychiatrie du Nord vaudois (CPNVD). La nature de la substance consommée influence aussi la prise en charge. Quand l’addiction est le motif central, le patient est accompagné dans un sevrage, parfois même sous contrainte (PLAFA), souvent à la demande d’autres services ou de la justice. Si elle est secondaire, une évaluation permet de déterminer la priorité du traitement. Si l’addiction aggrave l’état psychique, elle devient une cible thérapeutique. Sinon, elle est renvoyée à un suivi ambulatoire.

Enfin, en règle générale, les séjours au CPNVD sont courts (2-3 semaines) et visent à stabiliser des crises psychiatriques aiguës. Le traitement des addictions, souvent long, est assuré par d’autres structures (consultations spécialisées, équipes mobiles, etc.)

Le traitement, lui, va dépendre de la situation et de ce que souhaite le patient. S’il ne souhaite rien entreprendre et que sa capacité de discernement demeure conservée, alors l’intervention se limitera à une psychoéducation sur les risques encourus, et à une information sur les structures existantes dans le Nord vaudois dédiées au traitement des addictions. Il n’est en effet pas rare que l’avis des patients évolue sur cette question.

Finalement, il faut rappeler que le CPNVD demeure un lieu ouvert, où les patients ont la possibilité de se mouvoir librement. La consommation de substance y est par ailleurs prohibée. La plupart des personnes hospitalisées ont la possibilités d’effectuer des congés à l’extérieur de l’hôpital lorsque leur état de santé le leur permet.


Cannabis: porte d’entrée pour les drogues dures

Combattre les addictions passe aussi par un volet répressif. Et les polices locales se retrouvent ainsi très souvent en première ligne pour faire face au trafic de rue et à ses conséquences directes. Insécurité, violence ou encore prostitution sauvage. «Le cannabis est un marché sous-évalué, rappelle Marc Dumartheray, commandant de Police Nord vaudois à Yverdon-les-Bains. Il est pourtant très présent et très lucratif. Le cannabis représente la porte d’entrée pour les drogues dures. Et ce sont souvent les mêmes dealers qui fournissent les différents produits.»

Le trafic de cocaïne s’est transformé il y a quelques temps déjà avec l’arrivée fracassante du crack sur le marché, un dérivé de la cocaïne. «À Yverdon, les trafiquants proposent le caillou de crack directement prêt  à l’emploi, contrairement à ce que l’on peut trouver dans d’autres villes, détaille encore le commandant nord-vaudois. Le crack produit un effet de 30 à 40 minutes, ensuite le manque arrive et les toxico-dépendants se lancent alors à la recherche de l’argent nécessaire pour se procurer la prochaine dose. Parfois jusqu’à devenir violents.»

Aujourd’hui, les réseaux illégaux produisent et distribuent trop de cocaïne dans le monde. Deux conséquences en découlent: premièrement, la pureté du produit a drastiquement augmenté par rapport à il y a vingt ans lorsqu’il était largement coupé. Deuxièmement, le prix du gramme de cocaïne ou de crack a chuté. Aujourd’hui, un caillou de crack ou une boulette de coke (entre 0,6 et 1g) se négocie autour de 20 francs pour une boulette ou un caillou (entre 0,6 et 1g).

À Yverdon-les-Bains, la pression est régulièrement mise sur les trafiquants, et porte partiellement ses fruits grâce aux efforts communs de tous les acteurs de la lutte contre les addictions. «Nous avons atteint un certain plateau, l’intensité du trafic n’augmente plus, explique Marc Dumartheray. Grâce à nos actions et à l’installation des Jardins du Casino, la pression induit une dilution du trafic de rue ou tout du moins son déplacement.»