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Le fabuleux destin du nouvel homme fort de l’entreprise Leclanché

25 août 2015

Yverdon-les-Bains – Le directeur général de la société yverdonnoise, qui aligne les contrats depuis plusieurs mois, veut faire d’elle un leader mondial dans son domaine. Lumière sur le parcours d’un entrepreneur né.

Le directeur général de Leclanché s’exprime dans la langue de Shakespeare, même si ses années parisiennes l’ont doté de connaissances en français. © Nadine Jacquet

Le directeur général de Leclanché s’exprime dans la langue de Shakespeare, même si ses années parisiennes l’ont doté de connaissances en français.

Un constat s’impose: depuis qu’Anil Srivastava a pris le poste de chief executive officer (CEO) de Leclanché, en juin de l’année dernière, les annonces de contrats, signes de redressement et de développement des activités de la société spécialisée dans les technologies de stockage sur batterie, s’enchaînent. Le nouvel élan de cette entreprise, au bord du gouffre il y a quelques années, ne peut, certes, pas être entièrement attribué au stratège indien, qui n’a d’ailleurs pas manqué de saluer «la base solide» façonnée par ses prédécesseurs. Cependant, son arrivée à la tête de Leclanché pousse à l’optimisme, au vu de son impressionnant curriculum vitae.

La première constante du parcours d’Anil Srivastava, la mobilité, surgit dès les premières années de sa vie, en Inde. En tant que contrôleur financier, son père voyage dans tout le pays. Une nation surpeuplée, où la clé est de «travailler dur pour être récompensé. J’ai mis l’accent sur l’éducation, en étudiant beaucoup. Mes parents se sont sacrifiés pour moi», indique le leader de Leclanché. La compétition est rude, mais le jeune homme est parmi les plus compétents. Il se fraie un chemin dans la meilleure école indienne, à savoir le National Institutes of Technology. Et obtient, à 21 ans, son visa pour les Etats-Unis par le biais d’une bourse octroyée par Hewelett-Packard (HP). Le but? Y réaliser son Master of business administration (MBA) dans l’institution la mieux cotée, soit la Wharton School of Business, en Pennsylvanie. «J’ai déposé ma candidature dans cinq établissements, et les cinq m’ont admis. Alors, j’ai regardé les classements dans les journaux et j’ai choisi le meilleur», commente Anil Srivastava. L’atterrissage au pays de l’Oncle Sam, dans l’impressionnant aéroport JFK, reste gravé dans sa mémoire. Son premier réveil américain aussi. «C’était en septembre et il n’y avait pas de feuilles aux arbres. Je n’avais jamais vu cela, car en Inde, j’ai essentiellement vécu à Hyderabad, dans la partie méridionale du pays, où le climat est plutôt de type méditerranéen, déclare-t-il. Avant de se fendre d’un commentaire qui respire la sagesse: ce sont ces petites choses qui font de vous un homme».

Le deuxième fil conducteur de sa carrière se manifeste peu de temps après, lors de l’entretien avec le conseiller pédagogique de Wharton: il s’agit de sa propension à bousculer l’ordre établi. Ingénieur électricien de formation, il choisit de s’orienter dans la finance, le domaine de compétences de son père, malgré la perplexité de son interlocuteur, qui lui fait remarquer, à juste titre, qu’il n’a aucun bagage en la matière. «Donnez-moi six mois», lui répond l’étudiant. Son obstination lui vaut de travailler jour et nuit, au mépris des fêtes qui rythment la vie du campus.

«Les trois premiers mois ont été un vrai cauchemar, mais cela a été l’une de mes meilleures décisions. La connaissance de l’ingénierie et de la finance ouvre de nombreuses portes». Son diplôme en poche, après 21 mois de labeur, l’épisode HP peut commencer. D’abord à San José, au coeur d’un programme réservé aux «jeunes gens talentueux». Tous les aspects du business y sont abordés. Puis à Atlanta, où il débarque, huit ans plus tard, avec la casquette de manager. Plusieurs centaines de personnes, dont une bonne partie plus expérimentée que lui, sont sous ses ordres. Il n’en mène pas large, mais a sa formule pour obtenir leur confiance. «La position hiérarchique est une opportunité pour gagner le respect. Il serait toutefois stupide de penser qu’on le gagne d’office. Les discours font illusion au début, mais il est préférable de moins parler et d’agir», déclare Anil Srivastava. Sa façon de mettre en oeuvre sa dernière observation fait des vagues dans la ville siège de Coca-Cola. A la grande stupéfaction de la direction des ressources humaines, il «raccroche» le système du téléphone arabe habituellement utilisé pour transmettre les objectifs annuels à travers les échelons hiérarchiques de l’entreprise.

Le dynamique quinquagénaire Anil Srivastava est bien décidé à prendre en main l’avenir de Leclanché. © Nadine Jacquet

Le dynamique quinquagénaire Anil Srivastava est bien décidé à prendre en main l’avenir de Leclanché.

Tous les collaborateurs sont convoqués à une séance dans un centre de congrès, où leur nouveau dirigeant expose les cinq objectifs annuels en quinze minutes. L’assemblée est répartie en cinq groupes de cent personnes, qui ont quinze minutes pour travailler sur la question. Un représentant de chacun d’eux est ensuite appelé à exposer en cinq minutes les résultats de la concertation devant la salle. Anil Srivastava ne le savait pas, mais un des membres fondateurs d’HP était présent. «Il m’a dit: bien joué, continue! C’est l’un des plus beaux compliments que j’aie reçus à ce jour», s’enthousiasme le CEO de Leclanché, pour qui «le changement doit intervenir lorsque la conjoncture est favorable». Sa période américaine prend fin en 1994. On vient le débaucher pour devenir le leader de la division Asie-Pacifique du fournisseur de services téléphoniques AT&T, avant de rejoindre les rangs de Lucent Technologies. Sa femme -ils se sont mariés en 1992- qui travaillait aussi chez HP, le suit à Singapour. «Elle m’a fait le cadeau de quitter son emploi pour se consacrer entièrement à notre famille», commente ce père de deux garçons, dont l’un s’oriente actuellement dans l’ingénierie et l’autre dans la finance, cela ne s’invente pas.

Cap sur la Hollande

En 2000, Anil Srivastava déménage en Hollande avec les siens en raison de son accession au statut de président du volet international de Lucent Technologies. «Nous habitions à Bruxelles, car la société était implantée près de la frontière et nous y avions inscrit notre fils aîné dans une école internationale», précise le manager. En pleine bulle internet, les temps sont durs, mais riches en enseignements. Un souci d’efficience le pousse à fermer les huit usines situées en Europe et en Asie. Il trouve de l’embauche dans d’autres sociétés de télécommunications pour la grande majorité des collaborateurs. Il s’agit, en fait, d’une première en matière de management en termes de restructuration: faire engager les collaborateurs directement par les clients.

La fascination de Paris

Des discussions entre son enseigne et Alcatel ont lieu en 2003. La fusion avorte, mais Anil Srivastava passe chez le concurrent français, pour le plus grand bonheur de son épouse, qui se langui de découvrir Paris. Lorsqu’il est à nouveau question, quelques années plus tard, d’un rapprochement entre les deux entités, l’Indien prodigue estime que trop peu de synergies sont possibles. Il cède à un «appel intérieur» et met le cap vers d’autres horizons. La coupure avec l’IT et les télécommunications est drastique. Ses terres d’accueil? Le Sahara et d’autres régions d’Afrique. Il y travaille plusieurs mois comme volontaire dans le cadre de projets liés, notamment, à l’acheminement d’eau. Les jalons de sa reconversion dans le domaine de l’énergie sont posés. Il rebondit en France début 2009, à la tête du département énergies renouvelables d’Areva. «C’était comme un rêve. J’étais payé pour apprendre», indique-t-il. De quasi zéro, son business pèse quasi 3,8 milliards d’euros en 2012. Le solaire en Californie, l’éolien en Allemagne, le stockage d’énergie dans l’Hexagone: les débouchés sont nombreux.

Le virage de l’énergie

Anil Srivastava l’avoue, il y serait sans doute encore si aucune divergence d’ordre stratégique n’était intervenue. Après un court passage à la tête d’une entreprise développant des parcs éoliens maritimes en Allemagne, on le retrouve au sein du Conseil d’administration du fabricant américain de batteries Oak Ridge Energy Technologies, contrôlé par le fonds australien Precept, l’actionnaire majoritaire de Leclanché.

Le stratège indien, qui ne connaissait pas l’entreprise yverdonnoise avant de s’y être vu proposer le poste de CEO, a été bluffé par la qualité de ses collaborateurs et de sa technologie. Il se consacre, aujourd’hui, entièrement à son développement et peut déjà se targuer d’avoir obtenu quelques contrats de référence, comme la participation au parc d’énergies renouvelables de l’île de Garciosa et au système de propulsion du plus grand ferry électrique au monde, un projet pour lequel il a fallu livrer bataille contre des géants comme Siemens et Rolls-Royce. Leclanché a, aujourd’hui, la capacité de concevoir des systèmes complets de stockage d’énergie dans des champs d’application variés et Anil Srivastana y décèle un leader mondial en puissance.

Le site d’Yverdon se renforce

La prochaine étape? «Gagner de l’argent.» Bonne nouvelle pour l’économie régionale, le CEO, fort de l’acquisition récente d’un logiciel stratégique, envisage de doter le site yverdonnois d’une nouvelle ligne de production employant douze à quinze collaborateurs, dont huit à dix ingénieurs. Deux millions et six mois de mise en place seront nécessaires. Il prévoit aussi de s’établir dans la région et compte sur sa femme pour la lui faire découvrir.