«Le foot me manque déjà»
4 décembre 2024 | Textes: Manuel Gremion | Photo: Duperrex-AEdition N°3845
Démis de ses fonctions d’entraîneur de la Centrafrique il y a un mois, Raoul Savoy a envie de rebondir très vite. Le Sainte-Crix de 51 ans adorerait que ce soit en Suisse, mais il n’y croit plus.
Le dernier passage en date de Raoul Savoy à la tête de l’équipe nationale de la République centrafricaine s’est terminé abruptement fin octobre. Le Sainte-Crix a appris qu’il était licencié via internet. «Le nouveau ministre des sports du pays avait ses idées. La pratique devient malheureusement de plus en plus fréquente, on l’a vu au Sénégal avec Aliou Cissé (ndlr: qui a été limogé sur instruction du gouvernement), ou alors avec ce qu’il se passe au Cameroun, où le sélectionneur a été engagé par l’Etat contre l’avis du président de la fédération de football, Samuel Eto’o.»
Le Sainte-Crix n’est pas dupe. Il sentait la nouvelle venir depuis un certain temps déjà, alors que les Fauves du Bas-Oubangui étaient engagés dans une nouvelle campagne de qualification pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations. Le sélectionneur aura passé trois nouvelles années à la tête de la sélection, depuis 2021. «Je n’ai pas d’amertume, mais un regret, partagé par tout mon staff: celui de ne pas avoir pu aller au bout des éliminatoires.»
Il restait alors deux rencontres aux Centrafricains, et deux victoires face au Lesotho et au Gabon leur auraient permis de valider le ticket pour le tournoi continental. «Je suis persuadé qu’on pouvait le faire. Après avoir manqué la qualification pour un point en 2023, on avait encore mieux travaillé, dans un groupe pas facile, avec le Maroc. Finir devant le Gabon et le Lesotho était jouable, affirme l’entraîneur nord-vaudois. Il y a ma foi des choses que je ne maîtrise pas, j’ai appris à ne pas me prendre la tête pour cela.»
Depuis, la Centrafrique a perdu ses deux derniers matches de qualification sans Raoul Savoy et a manqué la prochaine CAN. L’entraîneur assure que son staff a bien plus souffert que lui du limogeage arrivé peu avant les matches décisifs. «Pour plusieurs d’entre eux, il s’agissait de leur première expérience en Afrique. Ils ont de la peine à accepter cette décision qui n’était ni logique, ni expliquée, reprend-il. Cette fois, j’avais pu agrandir mon staff, faire venir quelques gens de Suisse, qui ont découvert la passion de l’Afrique pour le football. Ce qu’ils ont vécu a été fort, émouvant.»
Et de raconter ce qu’il a pu observer en se promenant dans la capitale: «A mon arrivée, les gamins arboraient le maillot d’autres nations ou de grands clubs européens. A présent, les rues de Bangui sont remplies d’enfants avec le chandail de l’équipe nationale. Les gens sont fiers de le porter en allant au travail.»
Pour cela, Raoul Savoy a œuvré parallèlement sur trois piliers: celui des joueurs de la diaspora, nés à l’étranger; celui des locaux qui ont pu partir; et celui des locaux évoluant au pays. «J’ai toujours dit que je voulais m’appuyer sur ceux qui ont connu la réalité de la vie à Bangui, ses difficultés. Des hommes qui se souviennent d’où ils viennent», insiste-t-il.
Cela a nécessité un gros travail avec les locaux, avant tout mental, mais les résultats obtenus ont été probants. «Quand on a battu le Nigeria 1-0 à Lagos, en 2021, on avait neuf joueurs formés au pays sur le terrain à la fin», assure l’ex-sélectionneur.
Libéré de tout engagement, bien qu’il réclame encore des arriérés à la fédération centrafricaine, à hauteur de quelque 150 000 euros, Raoul Savoy espère retrouver rapidement de l’embauche. «Ce sera sans doute une sélection en Afrique, au grand dam de mes parents», sourit-il, bien conscient que personne, en Suisse, n’a osé lui donner réellement sa chance.
«C’est quelque chose qui m’a fait très mal au début, admet l’ancien entraîneur du Tonerre de Yaoundé et de plusieurs clubs marocains, entre autres. Aujourd’hui, je me suis fait une raison, mais j’aimerais montrer ici ce dont je suis capable, avec mon approche, mes méthodes. Je suis d’ailleurs certain que les expériences d’Alain Geiger en Afrique lui on apporté une vision différente. Ce qui a contribué à son succès à Servette.»
Les premières rencontres de qualification pour la Coupe du monde 2026 démarreront au mois de mars prochain, en Afrique. Pour Raoul Savoy, il s’agit à présent de dénicher le meilleur projet possible, sans trop se précipiter, ni, à l’inverse, faire trop la fine bouche. «Non seulement parce que cela me manque déjà, mais aussi car le football est amnésique. On t’oublie très vite.»
Des contacts avec différentes fédérations existent déjà. Le Sainte-Crix ne peut toutefois occulter qu’il adorerait coacher en Super League une fois. «Si les dirigeants d’Yverdon Sport m’appellent demain, je descends à pied par les gorges de Covatannaz, et en courant, lance-t-il, tout sourire. Et je passe par les crêtes si c’est pour Xamax! Je sais toutefois bien qu’en Suisse, on a de la peine à faire confiance à quelqu’un d’atypique.»
Le match qui aurait pu changer sa vie
Douala, Cameroun, le 17 juin 2023. La République centrafricaine, qui dispute ses matches à domicile dans des pays voisins, se retrouve à nonante minutes seulement de se qualifier pour la première fois de son histoire pour la Coupe d’Afrique des Nations. Elle doit, pour cela, obtenir un nul contre l’Angola, son adversaire direct.
Les Angolais prennent les devants, mais Geoffrey Kondogbia, joueur de l’Olympique de Marseille, remet les deux équipes à égalité à la 46e. Tout se gâte pourtant ensuite, quand le gardien Dominique Youfeigane est expulsé. Son remplaçant, Alladum Kolimba, se troue complètement sur un centre, permettant aux visiteurs d’inscrire le but de la victoire à la 86e. Les Fauves sont privés du tournoi continental.
«Si on s’était qualifiés, ma vie aurait changé. Je serais probablement aujourd’hui à la tête d’une grosse nation», affirme Raoul Savoy, qui a toujours le douloureux épisode en travers de la gorge. Il n’a d’ailleurs pas regardé un seul match de la CAN qui a suivi. «C’était impossible, j’avais le sentiment qu’on m’avait volé ce truc.»