La «bête noire» des pêcheurs professionnels des Trois-Lacs – dont celui de Neuchâtel – refait surface au Parlement vaudois. Le cormoran sera l’objet d’un nouveau débat ce mardi 1er avril avec le traitement d’une motion du député et ingénieur agronome Loïc Bardet qui demande des mesures de régulation auxquelles s’oppose avec vigueur la députée nord-vaudoise Mathilde Marendaz.
Pour étayer sa proposition, le député broyard fait état de statistiques qu’il juge édifiantes : «Le nombre de captures de poissons dans le lac de Neuchâtel est en perte vertigineuse depuis dix ans. De 350 tonnes de poissons adultes en 2014, les pêcheurs professionnels en prélèvent actuellement 100 tonnes uniquement. Si l’équilibre du milieu aquatique est soumis à de multiples pressions, un facteur a toutefois radicalement changé ces dernières années: le développement quasi exponentiel de la population de cormorans. Au vu de cette croissance et de leur diminution dramatique de revenu, les pêcheurs professionnels tirent la sonnette d’alarme.»
Pour justifier la prise de mesure visant à diminuer leur population, Loïc Bardet relève que la région des Trois-Lacs (Neuchâtel-Bienne-Morat) est un important lieu de nidification et de prédation. Selon l’Association de la Grande Cariçaie, il y aurait actuellement plus de 1300 couples, sans compter leur progéniture qui s’y ajoute à raison de deux ou trois individus par couple. En tenant compte d’un nombre d’hivernants plus faible, le nombre de cormorans permanents et estimé à 3000. «Avec une consommation minimale de 450 grammes par jour, ce sont plus de 492 tonnes de poissons qui seraient prélevées chaque année.
Importance patrimoniale
Le député broyard insiste sur le fait que «la pêche est une composante de l’économie locale et revêt une importance patrimoniale et culturelle de premier ordre. Les espèces de poissons communes comme la bondelle, la palée, la truite et la perche doivent être protégées.» Il s’interroge également sur de possibles perturbations de l’habitat d’autres espèces d’oiseaux et regrette que le tir de cormorans ne soit autorisé que durant la période limitée du 1er octobre au 31 janvier, dès lors que c’est à cette période qu’ils sont moins nombreux et que les poissons sont en eau profonde. Il juge nécessaire que le Canton de Vaud utilise toute la marge de manœuvre que lui octroie le droit fédéral en autorisant des tirs toute l’année.
Les mesures exigées
En conclusion son texte demande: primo, le maintien à un niveau supportable de la population de cormorans par le biais de mesures appropriées, afin de permettre la durabilité de la pêche professionnelle; secundo, la protection des espèces de poissons menacées ainsi que de leurs zones de frai, comme des écosystèmes de ces zones lacustres; tertio, la coordination de ces mesures ainsi que d’autres soutiens à la pêche professionnelle avec les cantons voisins.
Régulation contestée
La commission chargée d’étudier son texte recommande sa prise en considération et transmission au Conseil d’Etat par 8 pour, 0 contre et 7 abstentions. C’est surtout le premier point de sa motion qui est contesté. Sa suppression a été refusée de justesse en commission par 7 contre, 6 pour et 2 abstentions. C’est d’ailleurs ce qui conduit la députée de Mézery-près-Donneloye Mathilde Marendaz à déposer un rapport de minorité. Il est soutenu par cinq députés de gauche dont le Vert de Mathod Théophile Schenker ainsi qu’un Vert’libéral. Mais la gauche n’est pas unanime. Deux Verts ne l’ont pas signé : le syndic Alberto Mocchi et le député-vigneron de Lavaux, Pierre Fonjallaz.
Lors des débats en commission, malgré ce vote serré, le député PLR de Vuillens, Loïc Bardet, a insisté pour que son texte soit maintenu tel quel, dès lors qu’il est le fruit d’une collaboration intercantonale et qu’il a déjà été adopté par les parlements neuchâtelois, fribourgeois et Bernois (voir encadré). Dans son rapport de majorité, le président de la commission, le PLR Nicolas Suter, évoque le fait «qu’on peut se demander si c’est mieux que l’oiseau ou l’humain manque de poisson. Et si l’on a de tels doutes, on pourrait alors se demander si le frelon asiatique pose vraiment des problèmes aux abeilles.»
Aussi au National
En septembre dernier, le conseiller national de Lignerolle, Jacques Nicolet, avait déposé une motion exigeant une régulation plus efficace. Pour l’élu UDC, «la situation pour la pêche professionnelle n’est plus tenable, elle est même qualifiée de catastrophique pour les pêcheurs des lacs de Neuchâtel et de Morat, les plus impactés». Il lançait un appel à leur survie. Le Conseil fédéral a conclu au rejet de son texte compte tenu des mesures en place et de la marge de manœuvre qu’offre le cadre juridique. Le gouvernement estime qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer un nouveau plan d’action. Jacques Nicolet a contesté cette réponse et par conséquent, elle sera traitée par le Conseil national ces prochains mois.
Le point de vue des minoritaires
Les minoritaires emmenés par Mathilde Marendaz «s’opposent à des mesures supplémentaires visant à réguler les populations de cormorans». Ils constatent «qu’une baisse a été observée ces dernières années du nombre de couples de cormorans, démontrant les effets de l’effarouchement et des tirs par la police de la faune» et estiment que «des tirs trop nombreux produiraient un effet dévastateur sur la tranquillité de la faune et des oiseaux migrateurs, qui font notamment escale dans la zone de la Grande Cariçaie». Ils font état d’autres facteurs qui nuisent à la faune piscicole, soit «le réchauffement climatique et la pollution de l’eau» et préconisent «la restauration des écosystèmes du lac pour qu’il redevienne productif plutôt que de mettre un sparadrap sur la situation en tirant les cormorans».
Plébiscité ailleurs
D’autres cantons concernés ont déjà adopté une motion analogue. Neuchâtel, largement, en novembre dernier, par 51 voix contre 28 et 18 abstentions. Fribourg a suivi dans la foulée, de manière écrasante, soit 72 voix contre 16 et 11 abstentions. Dans le canton de Berne, le texte, adopté très largement en novembre 2022 déjà, avait même été déposé par une alliance interpartis composée de Verts, PS, PLR, UDC, PEV, UDF et BSL (Liste citoyenne des villes et villages).