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Le souffle de la roche
L’atelier du sculpteur, où se côtoient projets – passés et futurs – et tous les outils nécessaires pour sculpter et graver la roche.

Le souffle de la roche

31 janvier 2025 | Texte: Robin Badoux | Photos: Michel Duperrex
Edition N°3882

Le marbrier et sculpteur sur pierre Alain Vos ouvre les portes de son atelier et de son univers à La Région. Rencontre avec l’homme qui murmure aux oreilles de la pierre.

Si les pierres pouvaient parler… elles seraient nombreuses à murmurer le nom d’Alain Vos. Difficile en effet de passer à côté de son travail dans le coin, que ce soit un menhir à Yverdon, un goulot de fontaine en forme de bélier à Vuiteboeuf ou une pierre tombale dans un des cimetières du canton.

Autour de son hangar, bien en vue à l’entrée de Valeyres-sous-Rances, trônent fièrement des fontaines en calcaire et en granit, des monolithes et des sculptures en basalte, des pierres tombales en marbre et en grès, ainsi que de grands blocs de roche de douze tonnes qui attendent d’être débités, «comme une motte de beurre», pour de futurs projets.

A l’intérieur, on entend le bruit d’une vieille scie à fil qui découpe un bloc venu de Turquie – selon une méthode ancestrale employant l’abrasion, connue depuis la nuit des temps –, tandis qu’au fond du hangar, dans un petit atelier à part, l’artisan, ciseau et marteau pneumatique en mains, grave quelques lettres solennelles, un nom et deux dates, qui surplomberont bientôt une des tombes de la région.

«On sculpte pas mal de pierres tombales en ce moment», indique-t-il tout en continuant son travail, recouvrant peu à peu le sol d’une fine couche de poussière et d’éclats de roche.

Une affaire de famille

Cela fait 38 ans qu’Alain Vos coupe, sculpte, grave et brosse la pierre. Un amour pour les minéraux qu’il doit en partie à son père, même si ce dernier est arrivé sur le tard dans le métier. «Il était typographe, mais il a toujours dit qu’il voulait devenir sculpteur. Il avait même une massette et un burin. Je me souviens que je les empruntais pour aller taper des pierres dans notre jardin à Vaulion. A 15 ans, après un stage en marbrerie, j’ai commencé un apprentissage chez Parietti, à Chamblon.»

Alain Vos terminera sa formation de marbrier dans une autre entreprise à Berne, «parce que je voulais faire davantage de taille», explique-t-il. Il complétera ainsi sa formation avec un papier de sculpteur sur pierre, avant de créer sa propre entreprise. Lui et son père seront associés, d’abord à Valeyres-sous-Ursins, puis à Valeyres-sous-Rances, où il travaille toujours.

Tout au long de sa carrière, il formera plus d’une dizaine d’apprentis, y compris sa sœur jumelle, typographe à la base, comme leur papa.

Le petit défaut qui plaît

A côté des pierres tombales, il réalise des œuvres d’art avec des artistes comme Yves Dana, ou sculpte pour des biens patrimoniaux comme le temple de Grandson ou le château de Donneloye. Il réalise même ses propres œuvres artistiques. «Ça, c’est plus pour la retraite, admet-il en souriant. Il faut dire que mon entreprise ne me laisse pas beaucoup de temps.»

Et du temps, il en faut pour apprendre à maîtriser les outils, les traditionnels maillets, burins, massettes et ciseaux, et les outils modernes, marteaux pneumatiques, scie à fil et machine CNC. «Les machines sont indispensables si on veut arriver à faire un produit uniquement fabriqué en Suisse», assure l’artisan, qui privilégie la matière locale, des pierres venant de Sainte-Croix, d’Estavayer-le-Lac, du Valais et d’ailleurs.

Alain Vos soutient être un des rares marbriers et sculpteurs dans la région à effectuer toutes les opérations menant du bloc initial au produit final. «Certains marbriers achètent des pierres taillées venant de Chine pour seulement faire les finitions en Suisse, ce qui est aberrant.»

Il taille ainsi lui-même ses blocs aux dimensions souhaitées, lui donnant une grande autonomie, avant de s’attaquer aux finitions à la main. «Le travail manuel, c’est ce que je préfère. Les machines aident, mais ne remplaceront jamais l’humain. C’est lui qui donne le petit défaut qui donne du charme», explique-t-il en saisissant un ciseau dans sa main gauche, dont l’extrémité passe au-dessus de l’auriculaire, pour continuer son travail. «On reconnaît le vrai sculpteur quand il a un cassin, une bosse sur le petit doigt», décrit-il, en reproduisant des gestes de taille ancestraux avec ses outils. «Les Romains sculptaient de la même manière. On n’a rien inventé, on a juste modernisé l’outillage.»

Une matière vivante

De toutes les matières, c’est vraiment la pierre qu’Alain Vos préfère. «La pierre, c’est le vivant, c’est nous. Sans minéraux, pas de planète, pas de vie, décrit-il avec enthousiasme entre deux coups de massette. On l’oublie souvent, car c’est un cycle beaucoup plus long, mais la pierre est une matière vivante. Elle respire. On le voit bien en ville où la pollution asphyxie les molasses.»

D’ailleurs, la molasse, il ne l’aime pas vraiment. Ce qui fait fondre son cœur, c’est la matière dure, celle qui a du répondant. «J’aime les basaltes et les diabases, qui peuvent être très denses. Les roches volcaniques sont absolument extraordinaires. On peut trouver dans cette famille d’un côté des basaltes très lourds, et de l’autre des pierres ponces qui flottent dans l’eau. On peut faire des choses incroyables avec ces pierres.»

L’amour de la pierre apporte néanmoins quelques effets secondaires: «Quand je voyage et que je vois un monument, je me demande toujours d’où viennent les pierres», rigole-t-il.

Métier d’avenir?

Pour l’instant, Alain Vos et son apprenti sont les seuls à faire tourner l’entreprise. «Je vais engager une collaboratrice en mars, et je travaille souvent avec des confrères sur certains projets.»

Mais ce qui inquiète l’artisan, c’est la pénurie de main-d’œuvre dans son métier, et notamment les marbriers et sculpteurs capables de réaliser l’ensemble du travail, du bloc brut au produit fini. «Il y en avait plus avant, ce qui fait qu’il y a moins de concurrence aujourd’hui, et donc plus de travail, notamment pour les pierres tombales.»

Des renforts sont-ils néanmoins possibles du côté de la descendance? «J’ai trois enfants, mais ils ne sont pas du domaine. Je ne voulais pas les pousser dedans, car c’est un métier très particulier. Mais qui sait, peut-être que j’aurai un petit-fils qui sera intéressé», conclut-il avec espoir.