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Le speed-dating des apprentis

6 février 2021

Les métiers de la construction sont victimes de nombreux préjugés et peinent à recruter. Pour y remédier, la Fédération vaudoise des entrepreneurs organise des soirées de rencontre entre patrons et futurs apprentis, comme cela a été le cas récemment à Baulmes.

Noël Della Piazza prend place dans le show-room de la menuiserie Deriaz à Baulmes, active depuis 1872. Les mains sont un peu crispées, les réponses parfois hésitantes, pas facile de devoir passer un entretien quand on a 15 ans et qu’on n’a pas encore quitté les bancs de l’école! On s’en souvient tous. Pourtant, c’est avec beaucoup de bienveillance qu’Olivier Salvi l’accueille en ce mercredi soir. En effet, contrairement aux apparences, l’opération séduction est inversée: convaincre des jeunes de venir faire un stage qui débouchera peut-être sur apprentissage, assurer la relève dans les métiers de la construction, voilà l’objectif de ces rencontres comme l’explique l’administrateur de l’entreprise: «En faisant venir ces jeunes sur le terrain, on peut susciter de l’intérêt. Ils sont la relève de demain. On ne peut pas imaginer évoluer, transmettre une entreprise sans des personnes qui reprennent, qui deviendront peut-être elles aussi un jour entrepreneur.» à la suite de l’entretien, l’ado se voit offrir un stage pour découvrir le métier de menuisier ainsi qu’un sac de goodies (petits cadeaux) préparé par la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE) comprenant une fiche métier, un double-mètre et une casquette.

Le second candidat est venu sous la pluie en vélomoteur depuis Chavornay, preuve de sa motivation. Jimmy Favre a 17 ans et après avoir testé différents métiers tels que ferblantier, armurier et ramoneur, il souhaite trouver un stage en menuiserie: «Mon grand-père travaille le bois et c’est avec lui que j’ai commencé. J’ai appris à faire une étagère pour mes couteaux et j’aimerais aussi fabriquer des arcs.»

Un intérêt certain qui pourrait déboucher sur un apprentissage puisque, tout comme son prédécesseur, il obtient un stage. Pour Olivier Salvi, malgré le contexte actuel, ces entretiens en présentiel sont incontournables: «Le contact, le feeling, c’est ça qui est intéressant. On avait là deux tempéraments très différents, c’est ce qu’on veut ressentir finalement. Derrière un écran, à distance, ce n’est pas la même chose, on perd le côté émotionnel». Même son de cloche à la Menuiserie Roth où les deux adolescents sont également accueillis, ici au sein du gigantesque atelier, par Stéphane Gerber et Daniel Roth. Ce dernier, administrateur de la société, s’implique dans la formation des jeunes puisque ce sont déjà plus d’une trentaine d’apprentis qui sont passés entre ses murs: «Il faut former des jeunes sinon on ne pourrait pas exister. La relève est indispensable», martèle-t-il.

Une relève activement recherchée par la FVE qui regroupe les métiers de la construction et qui a lancé l’action «Trouve ton apprentissage!» permettant aux entreprises formatrices et aux jeunes à la recherche d’un stage de se rencontrer lors de soirées organisées dans les régions de Suisse romande.

Patrick Simonin, chef du Service Formation FVE ad interim, est présent pour cette soirée à Baulmes. Il s’inquiète de l’impact du contexte actuel sur un secteur qui connaît déjà des difficultés de recrutement: «En 2020, nous avons réussi à sauver les meubles car les premiers contacts avaient déjà été pris lorsque la crise a débuté au milieu du mois de mars. Cette année est perturbée depuis la rentrée, le Salon des Métiers et de la Formation à Lausanne n’a pas eu lieu, les demandes de stage n’ont pas encore été faites. Tout a pris du retard. Donc lorsqu’un jeune s’inscrit en ligne pour trouver un stage, on le met systématiquement en relation avec un patron et on fait en sorte qu’il décroche au moins un entretien. On est devenu une agence de rencontres! Contrairement aux idées reçues, il y a plus de dossiers d’entreprises que de dossiers de jeunes sur notre plateforme. Et, malgré les difficultés liées à la pandémie, les patrons ne se sont pas démobilisés.»

Il espère que cette soirée suscitera de nouvelles vocations pour des métiers qui traînent une image ne correspondant plus à la réalité: «Faire un apprentissage dans le domaine de la construction c’est seulement le début d’une histoire, une pièce du puzzle. Il existe de nombreuses perspectives d’évolution, ce ne sont pas des métiers cloisonnés, il faut s’y intéresser.»

 

Sylvain Marmy: «Le contexte actuel difficile impacte le marché de l’emploi»

 

Alors qu’en 2020 le nombre de contrats d’apprentissage signés a finalement été supérieur à 2019 au niveau cantonal, la situation demeure tendue en 2021.

Sylvain Marmy, chef de centre régional à l’Office cantonal d’orientation scolaire et professionnelle – Région Nord, à Yverdon, a accepté de répondre aux questions de La Région concernant cette problématique très actuelle.

Quelles sont les difficultés auxquelles doivent faire face les jeunes à la recherche d’un apprentissage?

Le contexte actuel difficile impacte le marché de l’emploi. Il a également un effet sur l’offre des places d’apprentissage. Par rapport à janvier 2020, il y a, à l’échelle du canton, 188 places de moins dans la Bourse des places d’apprentissage (www.vd.ch/orientation). Toutefois, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions: il est possible que certaines entreprises patientent quelque peu avant de prendre la décision d’engager un apprenti ou non. Des effets négatifs se font d’ailleurs déjà ressentir en amont. Il est plus difficile, particulièrement dans certains domaines comme l’hôtellerie, la restauration ou le tourisme, d’effectuer des stages, étape primordiale pour trouver sa voie et sa place. La pandémie a également des répercussions sur le moral des jeunes: on ressent une fatigue générale et une baisse de motivation. Heureusement, ils sont aussi nombreux à trouver des ressources pour aller de l’avant.

De quels moyens disposent-ils pour rencontrer des patrons et découvrir des métiers?

Le Salon des Métiers et de la Formation a effectivement dû être annulé. Mais des alternatives voient le jour avec, par exemple, la Nuit de l’apprentissage qui aura lieu le 10 février de façon virtuelle: les jeunes auront la possibilité de faire des entretiens fictifs en ligne, puis des entretiens avec des entreprises à la recherche d’apprentis. Des infos-métiers (séances d’information sur les professions) ont également été maintenus en visioconférence, tout comme l’organisation de portes ouvertes ou autres séances d’information par certaines écoles, associations professionnelles ou entreprises.

Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes pour les aider dans leurs démarches?

Nous continuons à les conseiller en essayant de leur donner les clés qui pourront les aider dans leur orientation. Outre la définition du projet personnel, nous mettons particulièrement l’accent sur la confiance en soi, la motivation. Nous encourageons les jeunes, particulièrement ceux de 11e année, à faire des stages (avec toutes les mesures sanitaires requises) quand cela est possible. Nous leur disons également de ne pas relâcher leurs efforts et d’être patients: cette année tout le processus sera certainement un peu retardé, il y aura encore des possibilités de trouver des places au printemps, voire en été.

Natasha Hathaway