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Le vélo, de jour comme de nuit
© Michel Duperrex

Le vélo, de jour comme de nuit

16 octobre 2019 | Edition N°2603

Fou de longues distances, Samuel Wyss a disputé son troisième Paris-Brest-Paris durant l’été. L’histoire de toute une vie.

Il est deux heures du matin. Samuel Wyss pédale autour du lac de Neuchâtel. Il a grimpé sur son vélo le vendredi vers 18h, à la fin du boulot, et il rentrera chez lui, à Orbe, samedi vers 9h le matin. Les gens disent qu’il est «complètement taré», il le sait bien et ses amis ne manquent pas de le lui faire remarquer. Mais «Sam» est un jusqu’au-boutiste et, durant la dizaine de mois de préparation d’une épreuve du calibre de Paris-Brest-Paris et ses 1219 km, il se met en conditions.

«Je roule la nuit pour l’expérience. Cela m’apprend à gérer le ravitaillement, la température, les vêtements à porter, tout, souligne le dévoreur de kilomètres. Il m’est arrivé de m’arrêter dans des salles où il y avait de la lumière pour remplir ma gourde, et de me retrouver à manger le dessert à la table des mariés!» Ces conditions, il les apprécie: très bien éclairé, il trouve que les voitures le respectent mieux qu’en pleine journée.

Plus c’est long, plus c’est bon

Son amour pour les longs efforts, l’Urbigène l’a développé durant son enfance, quand il roulait une quarantaine de kilomètres chaque jour, même sous la neige, pour se rendre, en deux allers-retours entre Romanel et Lausanne, à l’école en bicyclette. Cette passion, il la redécouverte vers 28 ans, quand il a est remonté en selle après avoir arrêté pour le travail. Ce goût de la distance, il l’a nourri en faisant des voyages sur son deux-roues. Orbe – Alicante en neuf jours, puis les traversées de l’Espagne, du Portugal, de la Sardaigne, de l’Italie, de la Corse et même de l’ouest des États-Unis.

Sa propre course

En parallèle, il s’est pris au jeu des courses de plusieurs centaines de kilomètres, très rares à l’époque. Au point d’imaginer sa propre épreuve lorsque la Diagonale Romanshorn – Genève a disparu. Il a d’abord pensé à un tour de Suisse en une étape – il s’est rendu compte que c’était impossible à organiser en testant l’itinéraire –, puis a créé un tour de la Suisse romande: la Wysam 333, du nom du magasin de vélos qu’il a tenu à Orbe de 1994 à 2006 et de la distance à parcourir. «J’ai réuni des amis qui n’étaient pas des passionnés de vélo car, dans le milieu, on me disait que j’étais taré de vouloir organiser ça. Après avoir présenté mon idée, j’ai demandé qui était prêt à me suivre, et tous ont répondu oui!» La première édition s’est déroulée en 1999. Samuel Wyss n’en est plus le président, mais on lui demande encore d’imaginer le parcours. «Cela requiert 3000 km de recherches, mais j’adore ça. Je suis dans mon élément!»

Sa grande victoire

Toutes ces belles aventures ont bien failli être interrompues quand, durant deux ans et demi, le Nord-Vaudois a lutté contre un cancer. «Toute ma vie a recommencé en 2009, quand je m’en suis sorti.» Il a repris le guidon. «À ma première sortie, j’ai roulé 20 km et j’ai eu besoin de quatre jours pour m’en remettre», se souvient-il. Il lui a fallu se reconstruire physiquement. Le goût lui est revenu peu à peu, notamment lorsqu’il a pris part aux 24 heures vélo sur le circuit automobile du Mans. «Le vélo m’apporte de l’endurance dans mon travail, dans ma vie. De la rigueur et de l’humilité. Sans ça, je serais peut-être encore affalé dans mon canapé, mais non, je suis actif, je travaille», lance-t-il, heureux et plus en forme que jamais à 60 ans.

Gourmand de Paris-Brest-Paris

Jamais à court de nouveaux objectifs, le dur au mal a pris pour la troisième fois, en août, le départ de Paris-Brest-Paris, comme 6300 autres qualifiés. «Ce chiffre est éloquent: je suis très commun.» Il a fini l’épreuve en 68h58, dont 4h21 de sommeil en quatre roupillons. Cette année, il y a eu 27% d’abandons, plus qu’à l’accoutumée (l’épreuve a lieu tous les quatre ans). «On a notamment roulé 600 km contre le vent, c’était dur à gérer, surtout sur le plan mental. Le bruit du vent qui siffle dans les oreilles, c’est le pire.» Samuel Wyss a franchi la ligne d’arrivée avec de bonnes jambes, malgré les 11 907 m de dénivelé avalés à 24,4 km/h de moyenne sur le vélo. «Si j’y retourne, c’est pour l’ambiance unique qui y règne. C’est la fête dans les villages traversés, même au milieu de la nuit.» Aux heures auxquelles certains dorment et, lui, pédale.

 

 

Les exploits de Danilo ne cessent de le faire vibrer

La famille est importante chez les Wyss. Avant d’entreprendre chacun des défis qu’il souhaite relever, Samuel ne manque d’ailleurs pas d’en discuter longuement avec son épouse, Claire-Lise, qui le soutient depuis toujours. Le couple a le bonheur d’être grands-parents à plusieurs reprises. «On voit régulièrement tout le monde, car nos enfants, Myriam et Danilo, ont instauré le fait de venir souper le dimanche chez nous avec les conjoints et les petits.»

Samuel Wyss est ainsi un grand-papa comblé et un père très fier du parcours de son fils dans le milieu de la petite reine: Danilo Wyss, 34 ans, pédale au sein du peloton professionnel depuis une douzaine de saisons, d’abord très longtemps chez BMC, et depuis janvier sous les couleurs de Dimension Data, sa nouvelle équipe.

Jamais très loin des routes empruntées par les pros quand les courses ne se déroulent pas trop loin, les parents du champion de Suisse 2015 sont d’ailleurs allés l’encourager lors des Mondiaux, il y a quelques semaines, en Angleterre. «Encore à présent je ne m’habitue pas de le voir disputer une telle course. Je suis toujours ému, ça me fait vibrer! Danilo était le seul Romand en lice. Il réalise une carrière exemplaire. C’est un travailleur, qui a beaucoup donné pour les stars du peloton, faisant preuve de fidélité et longévité», dépeint «Sam», qui se réjouit déjà de la prochaine saison.

Manuel Gremion