Le Vénézuélien qui a ému les Yverdonnois
17 juillet 2015Paracyclisme – Amputé d’une jambe, Victor Hugo Garrido poursuit son rêve de sportif d’élite, aidé par des Nord-Vaudois. Rencontre.
Lorsqu’il est arrivé à Yverdon, il y a un peu plus d’un mois, c’était avec un objectif limpide. Se préparer à reconquérir, à fin juillet, le titre de champion du monde de paracyclisme -il a porté trois fois le maillot arc-en-ciel- de la catégorie C2, qu’un Colombien détient.
Amputé de la jambe gauche, Victor Hugo -ça ne s’invente pas!- Garrido est un homme de défi. Un guerrier. Son histoire en témoigne, sa gestuelle et son regard, franc et déterminé, ne trompent pas. C’est lui qui, il y a quelques années, a convaincu Hugo Chavez -le premier dirigeant à l’écouter, à l’entendre-, les yeux dans les yeux, de le soutenir. De lui trouver un travail à Bilbao, en Espagne -où il a été nommé vice-consul!-, porte d’entrée vers l’Europe et le circuit mondial de paracyclisme. Mais, promis, il ne parlera pas (trop) de politique.
Alors, lorsqu’il est allé reconnaître le parcours des prochains Mondiaux, dans le canton de Soleure, et qu’il s’est aperçu du dénivelé qui l’attendait, le paracycliste vénézuélien de 48 ans a décidé de rester en Suisse, afin de mettre toutes ses chances de son côté. Et la chance lui a souri une première fois lorsqu’il a poussé la porte du magasin de vélos Pro Sport, dans la Cité thermale. D’autres l’ont fait, mais aucun n’a autant marqué le patron Jean-Bernard Piller. Fruit du hasard, dans les bureaux adjacents travaille Jean-Marc Wild, qui a vécu plus de vingt ans au Venezuela. Le Sud-Américain leur a raconté son histoire. Les prémices d’une amitié magnifique.
Au magasin, on ne compte pas les heures pour améliorer les performances du vélo de Victor Hugo Garrido. Tous soutiennent inconditionnellement leur nouveau champion. Un autre artisan, Mathias Bavaud, dont le commerce est spécialisé dans les matériaux composites, a accepté de lui confectionner gracieusement une nouvelle coque beaucoup plus légère et adaptée. L’athlète y pose son moignon. Un changement qui lui permettra de corriger sa posture et de perdre bien moins de puissance. Tout ce travail, les commerçants yverdonnois le font à bien plaire, émus et émerveillés par l’homme qu’ils ont rencontré. «Ça vient du coeur», lance «Jimmy» Piller.
Alors, c’est au bord des larmes que l’athlète leur a remis, cette semaine, un de ses maillots de champion du monde: «Il représente 26 ans de carrière, de ma vie, d’efforts.»
Après deux semaines onéreuses à l’hôtel, à Yverdon, Victor Hugo Garrido et son épouse se sont temporairement installés à Nottwil, où on a bien voulu leur louer, pour une bouchée de pain, un studio, au sein du centre des paraplégiques. Là aussi, un coup de pouce du destin. «Tout ce que l’on dit de la Suisse, à l’étranger, n’est pas juste, balaie le cycliste. C’est lorsque l’on s’intègre qu’on apprend des autres. Moi, j’ai trouvé des personnes qui donnent une belle image de ce qu’est leur terre. Je ne parle pas le français, pas l’allemand, mais ils m’ont compris. Je leur en suis très reconnaissant.»
L’histoire parfaite
Ces gens lui permettent de poursuivre son rêve ultime. Vingt ans après être sorti, une première fois, de son pays pour les Etats-Unis, Victor Hugo Garrido espère triompher en montant sur le podium des Jeux de Rio, l’été prochain, en Amérique du Sud, sur son continent. Et, ainsi, boucler la boucle. «Ce serait magnifique. L’histoire parfaite.»
De la rue aux Jeux
«Mon histoire est un peu triste», prévient le jovial, prolixe et expressif Victor Hugo Garrido, lorsqu’il revient sur son passé. C’est à 23 ans que sa vie bascule, dans un accident de moto. Il perd la jambe gauche.
Ses deux fils naissent peu après. Sa femme, ses enfants et lui vivent chez ses parents, dans un village du fin fond du Venezuela. Amputé, il ne trouve pas de travail. Alors, il se résout à partir seul, avec ses béquilles et un sac à dos pour seul bagage, à Caracas. Pour sa famille, pour rendre ses enfants fiers et pour lui-même. L’idée de vivre en faisant la manche le restant de ses jours le répulse. Dans la capitale, pourtant, il dort dans la rue, puis fini par trouver un petit job. «J’avais le désir de m’en sortir, de lutter», assène, en frappant son torse, le sportif au verbe guerrier, une lapalissade en Amérique du Sud.
C’est alors que ses nouveaux amis le poussent à faire du sport. «Cours avec tes béquilles!» Sa première épreuve est longue de 26 km. Au 23e, pétri de douleur, il abandonne. Une fois sur le brancard, on lui remet une médaille autour du cou. «Dès cet instant, je me suis promis que j’allais terminer une course.»
C’est lors de l’une d’elle qu’il émeut Irene Saez, ex-Miss Univers et maire de Chacao. Elle l’aidera à financer sa première prothèse. Puis, parti à Miami, Victor Hugo Garrido réalise son rêve de courir le Marathon de New York, en 5h20’22, en béquilles. «Ma plus belle course, affirme-t-il. J’ai envoyé un message.» C’est aux Etats-Unis, aussi, qu’il découvre le paracyclisme -des amis lui montent un vélo en récupérant des pièces ci et là-, qui lui ouvrira les portes de Jeux olympiques de Sydney, en 2000. Le moment où une nouvelle vie a commencé.