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Le vétérinaire au cœur de lion

10 juillet 2014

Véritable figure de la région, le Grandsonnois Pierre Brocard, retraite oblige, a confié les clés de son cabinet à une nouvelle équipe au début du mois de juillet. Rencontre avec un authentique passionné.

Serein, le jeune retraité Pierre Brocard l’assure : «J’ai toujours eu la chance de faire ce que je désirais».

Serein, le jeune retraité Pierre Brocard l’assure : «J’ai toujours eu la chance de faire ce que je désirais».

Peu de doutes. La boille à lait, plantée là, au pied de la boîte aux lettres de cette grande demeure aux allures de ferme ; cette dernière comme venue s’échouer au coeur d’un quartier de villas, trahit à elle seule que nous sommes bien arrivés à destination. Au besoin, encore, les initiales gravées sur une plaquette, apposée au sommet de ladite boîte, finissent par dissiper les derniers soupçons.

Oui, nul doute : nous voici bien dans l’antre du vétérinaire grandsonnois Pierre Brocard. La vraie.

Celle où, au fil des années, l’homme, qui depuis début juillet jouit d’un frais statut de retraité, a partagé avec son épouse Jocelyne, sa famille, ses amis et, bien sûr, ses compagnons à quatre pattes, joies, doutes, craintes et attentes. Ceux d’un homme que d’aucuns pensaient -déduction induite par son implication professionnelle sans faille-, que, depuis 1975, l’entier de son existence s’était déroulé dans son cabinet vétérinaire de la rue des Remparts à Grandson.

Un endroit duquel, toujours avec passion et modestie, «parce que le danger c’est de se croire le meilleur, parce qu’il faut toujours discuter, envisager ensemble une situation, parce que, surtout, on a toujours besoin les uns des autres», le vétérinaire, épaulé par son épouse et ses collaborateurs -parmi lesquels les 34 assistants qu’il aura formés durant sa carrière- a toujours tout mis en œuvre afin de tenter d’apaiser la douleur des bêtes confiées par leurs propriétaires.

Autant de «Milou», «Belle», «Minette», de chiens et de chats, de rats et de bovins, de chevaux et de furets, de singes et même un lion, que le vétérinaire a soignés quand cela était possible, qu’il a apaisé lorsque leur heure était, hélas, venue. Des instants chargés d’une émotion restée intacte, malgré les années, malgré l’expérience. «Dans la très grande majorité des cas, je n’ai jamais pu pratiquer une euthanasie sans avoir la chair de poule», confie-t-il, chemise rose pastel sur les épaules, confortablement installé sur une chaise recouverte d’une peau de bovin. Parce que l’on ne se refait pas.

Des situations extrêmes qui, souvent, lui vaudront des lettres, des messages bouleversants. «Preuve que pour beaucoup, l’animal, quel qu’il soit, occupe une place primordiale dans la vie de ses propriétaires. Même à un rat, un enfant raconte ses malheurs ou ses joies. Et puis, souvent, un compagnon impose un cadre et peut, ainsi, empêcher son maître de se laisser aller.»

Autant de vies, de destins croisés -au gré de ses 39 ans de carrière comme autant d’années de bonheur-, sur lesquels, «grâce au soutien de mon épouse, de mes enfants que je n’ai, par la force des choses, pas beaucoup vu lorsqu’ils étaient petits», grâce «à la présence sans faille de ma famille, sans qui rien n’aurait été possible», Pierre Brocard se retourne aujourd’hui, serein.

«Même si par principe, je ne suis pas un homme qui aime regarder derrière… Mais, oui, c’est vrai, je peux dire que je suis heureux et que j’ai toujours eu la chance de faire ce que je désirais.»

Haut comme trois pommes

Et à ces yeux alors de scintiller, au moment d’évoquer, la promesse de cette nouvelle vie qui s’annonce. Une autre page faite, bien sûr, d’animaux -à commencer par les chevaux, sa préférence, «pour leur intelligence, leur beauté, parce que se sont de véritables athlètes»- mais surtout d’instants privilégiés aux côtés de ses petits-enfants. Et puis, sans doute, de coups de main donner ici et là à d’anciens collègues…

Car si, un beau matin, les aléas de la vie, sa santé entamée comme le sont celles des hommes passionnés -ce dos qui soudain semblait refuser de le porter- a contraint Pierre Brocard à faire le choix de se retirer, il le sait, on ne se défait pas si facilement d’un amour qui vous a toujours habité. De cette passion pour les animaux, née alors que le futur vétérinaire savait à peine marcher, à cette époque où ce dernier, alors haut comme trois pommes, était prêt à remplir des chars de pierres contre, pour tout salaire, le droit de s’occuper d’un poney.

Non, on ne quitte pas comme cela une profession qui vous a mené dans toutes les fermes de la région, guidé parfois, faute de l’existence du téléphone portable, par des officiers de police patientant au bord de la chaussée, afin de vous transmettre une nouvelle alerte au sortir d’une consultation nocturne. Et il n’en est d’ailleurs pas question. Juste qu’après s’être battu, sa vie durant comme un lion le vétérinaire a bien mérité le droit, près de la cheminée, d’imiter, de temps à autre le chat. Bonne retraite Monsieur Brocard.

Raphaël Muriset