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Le Zingue se prépare à redéployer ses ailes
Le Zingue, Cédric Pilloud. © Michel Duperrex

Le Zingue se prépare à redéployer ses ailes

15 avril 2021

Depuis une semaine, Le Zingue a entamé sa grande mue. Nouveau gérant, nouveau style et nouveau nom pour un redécollage à la hauteur de son nouveau pilote, le talentueux pâtissier Cédric Pilloud.

C’est d’une idée un peu folle et contre tous les conseils avisés de ses proches que Robert Magnin a lancé, en 2016, son restaurant Le Zingue, à Orbe. Malgré les tempêtes, les secousses et quelques plumes perdues en vol, il a gardé le cap. Du moins, jusqu’à ce que la foudre frappe, le 18 août 2020. L’épicurien s’est élevé, seul, au-­dessus des nuages, laissant son avion cloué au sol. Ayant du plomb dans l’aile, ce dernier a finalement rendu l’âme à son tour, en décembre dernier. Mais l’esprit du pilote à la forte tête n’a pas disparu. Au contraire, il a su susurrer juste à temps quelques mots à l’oreille d’un autre épicurien installé au centre-ville: Cédric Pilloud, ou le plus jeune médaillé de l’histoire de la Coupe du monde la pâtisserie – il est arrivé 3e en 2017.

Le Chavornaysan a alors commencé à imaginer un nouveau défi à relever, à peine un an après avoir lancé son enseigne à la Grand-Rue: ouvrir un restaurant. «Avec ma femme Sandra, cela fait un moment qu’on pensait à la restauration. à la base, on voulait proposer un concept pour le midi en haut (ndlr: dans le tea-room), mais c’était trop compliqué, parce qu’il aurait fallu refaire passablement de travaux pour être aux normes», explique Cédric Pilloud, qui a dû se résoudre à mettre de côté son ambition. Mais quand il a appris avec tristesse le décès de l’Urbigène avec qui il collaborait, il a décidé de reprendre ce projet. «On aurait voulu se lancer là-dedans bien plus tard, mais quand j’ai vu que Le Zingue fermait, en décembre, j’ai réalisé que cela m’embêterait vraiment qu’une personne externe vienne implanter quelque chose qui n’a rien à voir avec ce lieu, comme un kebab – bien que je n’aie rien contre – juste pour une question économique. J’ai donc contacté la fille de Robert, Morgane.»

Entre les deux familles, la sauce a très vite pris. «On était assez proches avec Cédric, donc on a très vite été en contact. D’autres personnes sont venues pour reprendre le lieu, mais on s’est tout de suite dit que Cédric était la meilleure alternative, confie Morgane Magnin. Je me suis battue pour pérenniser ce lieu, mais je n’ai pas réussi. Et au final, cela a du sens que ce soit Cédric qui reprenne le restaurant, parce qu’il connaissait bien mon papa et, en tant qu’entrepreneur, ils se retrouvaient. En plus, il est de la région, et cela compte beaucoup à Orbe, il est jeune et dynamique.» Et d’ajouter: «En fait, c’est une suite logique et c’est une chance que cela ait pu se faire. Dans le malheur, la transition est heureuse.»

Fort de ce feu vert, Le Zingue pouvait renaître. Certes, le concept sera différent puisque Robert Magnin avait décidé d’accueillir trois chefs par semaine pour offrir un maximum de variété à ses clients, alors que Cédric Pilloud, lui, entend miser sur une organisation plus traditionnelle, avec une seule équipe fixe. Mais l’esprit du lieu restera le même: proposer une bonne cuisine, avec des produits locaux et à prix abordables, afin de passer un moment convivial. Le nom ne changera pas énormément non plus, puisque Le Zingue Sàrl – la société sera bientôt radiée – deviendra Le Zingue Pilloud Sàrl.

Le jeune entrepreneur arrive toutefois avec sa petite touche: les cocktails. «Avec ma femme, on aime les cocktails et c’est quelque chose que l’on aimerait vraiment faire découvrir à nos clients», relève Cédric Pilloud. Et pour que leur envie puisse se réaliser et être compatible avec le rythme effréné des coups de feu de midi et du soir, il a imaginé un système astucieux. «Je travaille avec l’entreprise HPP Competence SA, à Chavornay, pour préparer des bases de cocktails qui vont ensuite être pasteurisées. Avec ce système, on peut se permettre de proposer des cocktails avec des produits frais, de qualité et qui auront bien infusé, et sans perdre trop de temps durant le service, se félicite-t-il. Beaucoup d’établissements arrêtent de proposer des cocktails frais à cause de ça, ou ils les font mais chers, ce qui n’est pas notre but.» Les serveurs n’auront en effet qu’à utiliser les shots pasteurisés, d’y ajouter des glaçons, de l’alcool et le tour est joué. «Dans la même optique d’efficacité, j’ai aussi pensé à créer des glaçons avec des saveurs et des couleurs pour faire des cocktails originaux.»

Alors qu’il est en plein chantier pour remodeler Le Zingue, Cédric Pilloud se voit déjà avec une terrasse pleine de clients, prêts à savourer une boisson colorée, fumer un cigare et passer un bon moment, dès que les restaurants pourront rouvrir «Les gens auront envie de sortir et de faire la fête!»

 

«On a eu l’idée avant Gerber et Wyss!»

 

Un boulanger-pâtissier haut de gamme qui décide de reprendre un restaurant en y implantant un concept original. Tiens, cela ne rappellerait-il pas l’histoire du duo Gerber et Wyss qui vient de reprendre l’Hôtel de Ville d’Yverdon? «Arrêtez, tout le monde me dit ça… et ça m’énerve parce qu’on a eu l’idée avant eux!» répond un brin agacé, mais avec un large sourire, Cédric Pilloud, qui connaît bien les deux artisans réputés.

La différence entre l’Hôtel de Ville et Le Zingue résidera, entre autres, dans sa carte. Car le restaurant urbigène veut se démarquer avec de la bistronomie et non de la gastronomie. «On va tout faire maison avec des produits locaux, au maximum. Il y aura aussi de belles synergies avec la boulangerie-pâtisserie. Mais surtout, on tient à ce que cela soit convivial et pas trop guindé, parce que c’est notre façon d’être», conclut le pâtissier.

 

Le trésor enfoui restera sur place

 

Le Zingue est aussi et surtout une incroyable cave à vin. Nichée sous les pieds des clients, elle n’est visible que par quelques puits de lumière décoratifs à même le sol du restaurant. Elle renferme une collection inestimable de bouteilles en tout genre: des productions locales, et étrangères, mais aussi des cuvées plus rares et des magnums. «La cave va rester telle quelle», rassure Cédric Pilloud.

Le stock appartient à Vinurba, fondée par Robert Magnin, il y a 38 ans. L’Urbigène s’est forgé une caverne d’Ali Baba avec quelque 40 000 références sur près de 1000 m2. De par sa position géologique et son éclairage anti-UV, la cave réunit les conditions essentielles au développement et à la maturité du vin. C’est pourquoi, le fils du fondateur, Elliot, a décidé de reprendre ce trésor. Actif dans le domaine, il annexera la cave familiale à sa florissante entreprise nommée Cave Royale, basée à Lausanne. L’héritage sera donc sauvé et certainement sublimé par celui qui incarne une nouvelle génération de passionnés de vin.

 

«Quand il est parti, j’ai eu l’impression que toute la rue était vide»

 

Le restaurant, à l’instar de son fondateur, était un lieu atypique. Comme son nom l’indique, Le Zingue jouait sur le thème de l’aviation, avec un équipage habillé en conséquence, des engins accrochés, des chariots de la compagnie Swiss, etc. Pourtant, la carte était profondément ancrée dans le terroir avec des pieds de porc, de la langue et des cuisses de grenouilles, notamment. En début d’année dernière, Robert Magnin avait sollicité l’aide de sa fille Morgane, espérant lui transmettre l’envie de reprendre le flambeau. «Ce n’était pas le chemin professionnel que je voulais prendre et on n’avait pas forcément les mêmes idées sur la façon de gérer le restaurant, raconte Morgane Magnin. Quand il est décédé, j’avais tout de même un fort attachement à ce lieu, c’est comme s’il faisait partie de la famille.»

Portée par son envie de poursuivre le travail de son père et par les encouragements des clients, elle s’est donc portée volontaire pour reprendre l’affaire. Mais le défi était trop difficile à relever au vu du contexte. «Il fallait tout reprendre, la gestion des comptes et tout. On est partis comme des fous et c’était vraiment sympa, les gens continuaient à venir, il y avait même une autre clientèle, plus jeune et plus féminine, qui est revenue. Mais après, la deuxième fermeture liée au Covid nous a frappés. Pour une multitude de raisons, notamment financières, on n’a pas eu d’autre choix que d’arrêter, à mon grand regret», déplore-t-elle.

Puis, la famille Magnin a trouvé un repreneur de confiance: Cédric Pilloud. Mais loin d’elle l’idée de tout abandonner en un claquement de doigts. Bien au contraire, Morgane Magnin et sa maman ont même aidé le pâtissier à vider le restaurant. «Cela m’a fait quelque chose de débarrasser les locaux. C’est là qu’on a vraiment tourné cette page, avoue-t-elle. C’est difficile de se dire que c’est fini, mais toute la famille est heureuse de cette transition, car on se dit que la mémoire de notre papa sera conservée. Et c’est un super outil de travail pour quelqu’un qui connaît la restauration.»

Si l’Urbigène est ravie que le nom de l’établissement soit repris par Cérdic Pilloud, elle est aussi contente que ce dernier refasse toute la décoration, dans un style plus industriel cette fois. «Le Zingue était empreint d’une histoire, mon père animait ce lieu. C’était lui, c’était sa patte à lui. Sa présence était tellement importante que j’ai eu l’impression que toute la rue de La Tournelle était vide sans lui, conclut Morgane Magnin. Cela aurait été difficile pour Cédric de reprendre cet héritage. C’est pourquoi, on lui a aussi laissé carte blanche car il a besoin d’écrire sa propre histoire.»

Christelle Maillard