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L’épouse discrète du pédagogue

18 août 2015

Yverdon-les-Bains – Anna Pestalozzi est morte voilà 200 ans. Dans l’ombre de son mari, elle n’en a pas moins joué un grand rôle dans le parcours chaotique de ce dernier.

Jean-Jacques Allisson, le président du Centre de documentation et de recherche Pestalozzi, montre des illustrations d’Anna Pestalozzi, visibles au Musée d’Yverdon et région. © Ludovic Pillonel

Jean-Jacques Allisson, le président du Centre de documentation et de recherche Pestalozzi, montre des illustrations d’Anna Pestalozzi, visibles au Musée d’Yverdon et région.

«Une femme plus grande qu’un homme, une femme qu’a ennoblie, bien loin de la dégrader, une vie de malheur, compagne de mon existence de misère.»

La description de Johann Heinrich Pestalozzi en dit long sur le soutien indéfectible dont Anna Pestalozzi-Schulthess, a fait preuve envers son mari. Le Centre de documentation et de recherche Pestalozzi va prochainement rendre hommage à cette personnalité méconnue en lui consacrant son bulletin annuel, à l’occasion du bicentenaire de sa mort. On y trouvera une réédition de sa biographie parue pour la première fois en 1911 dans un recueil intitulé «La Femme suisse. Un livre de famille».

Fille de commerçants

Née en 1738 à Zurich dans une famille de commerçants aisés, la femme en l’honneur de laquelle un monument a été érigé en 1927 au coeur du cimetière d’Yverdon-les-Bains (lire encadré), participait aux réunions des «patriotes», un groupe de jeunes disciples de Rousseau dont faisaient partie Johann Heinrich Pestalozzi. Son rapprochement avec ce dernier, de huit ans son cadet, est intervenu après le décès d’un ami commun. Fiancés, ils commencent une impressionnante correspondance épistolaire (il lui écrit trois cents lettres, elle lui en adresse plus de deux cents). Leur mariage a lieu en 1769, au mépris du désaccord des parents d’Anna, dû à l’absence de situation et à l’esprit rêveur du jeune homme. Auparavant, Henri Pestalozzi s’était rendu à Kirchberg pour s’initier à la vie d’agriculteur. Il avait acheté un domaine, qu’il baptisa «Neuhof», à Birr, en Argovie.

Des soucis outre-Sarine

Anna Pestalozzi-Schulthess. DR

Anna Pestalozzi-Schulthess.

Les ennuis se succèdent à la ferme. La famine s’installe. N’y tenant plus de voir les enfants mendier, le pédagogue en devenir décide de les accueillir pour les instruire et leur faire gagner leur vie en travaillant. «Anna, aidée d’une ou deux domestiques, initiait les filles aux soins du ménage, leur apprenait à tricoter, à coudre, à laver, à raccomoder, à aider aux travaux du jardin et aux plantations», indique Walter von Arx, l’auteur de la biographie à découvrir mi-septembre dans le bulletin du centre Pestalozzi. L’investissement que représente l’engagement de personnel contribue à la chute de l’entreprise. «Les Schulthess, jaloux de leur honorabilité bourgeoise, firent en sorte d’en atténuer le plus possible le scandale: ils prirent la gestion du domaine de Neuhof et parvinrent à le louer. Anna Pestalozzi y perdait d’un coup sa fortune et ses droits à l’héritage paternel, et Pestalozzi en était réduit à accepter, pour lui et pour sa famille, une assistance qui, du reste, lui fut toujours généreusement accordée. L’épouse fidèle accepta ce nouveau sacrifice sans proférer une plainte et avec un courage tranquille», commente Walter von Arx.

Johann Heinrich Pestalozzi accuse le coup, puis se tourne, avec un certain succès, vers l’écriture dans le domaine de l’éducation, tandis que son épouse trouve refuge et réconfort auprès d’une amie et de sa famille zurichoise.

L’ascension de Pestalozzi

En 1798, c’est l’invasion de l’Armée française. Le philanthrope se rend à Stans pour s’occuper d’orphelins de guerre, mais la consécration de ses méthodes pédagogiques se produit à Berthoud, où Anna, finit par le rejoindre après avoir vaincu sa maladie. Le couple est, cependant, contraint de s’en aller à Münchenbuchsee car le gouvernement veut investir le château où l’institut prospère. Il rebondit finalement en 1804 dans la Cité thermale, théâtre de l’apogée de la carrière Johann Heinrich Pestalozzi. Et de la mort d’Anna, le 12 décembre 1815.

Cette femme d’une grande piété était, comme le souligne Jean-Jacques Allisson, le président du centre Pestalozzi, «une épouse discrète mais influente. De bonne société, elle conseillait son mari dans ses tenues vestimentaires et essayait de le canaliser dans ses rêves fous. Elle aurait pu avoir une vie brillante, mais elle a toujours assumé le choix qu’elle a fait».

 

Enterrée trois fois

Anna Pestalozzi-Schulthess a la particularité d’avoir été enterrée à trois endroits successifs. Elle a reposé, en effet, jusqu’au 11 août 1866 entre deux noyers situés dans le jardin au sud du Château d’Yverdon-les-Bains. A cette date, ses restes ont été «religieusement transportés et inhumés» au cimetière de la Cité thermale, à gauche du portail d’entrée. Enfin, un monument a été érigé à sa mémoire au centre dudit cimetière en 1927. Sa pierre tombale a été placée au pied de cet édifice.

Ludovic Pillonel