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Les dernières leçons du prof de gym

22 janvier 2015

Sport scolaire – Judoka de très haut niveau, dirigeant de club, homme politique: André Arrigoni a porté d’innombrables casquettes. Le tout en menant de front une carrière de maître d’éducation physique, dont il sera retraité dans une semaine, après un centième camp.

André Arrigoni pose, tout sourire, dans la salle de sport du collège de Léon-Michaud, le jour de ses 65 ans. Cela fait 39 ans qu’il y fait transpirer les élèves yverdonnois. © Pittet

André Arrigoni pose, tout sourire, dans la salle de sport du collège de Léon-Michaud, le jour de ses 65 ans. Cela fait 39 ans qu’il y fait transpirer les élèves yverdonnois.

André Arrigoni donnera, demain, ses dernières leçons de gymnastique aux élèves du collège de Léon-Michaud. Il a d’ailleurs prévu de leur «offrir un jus» pour marquer le coup. La semaine prochaine, il participera à son dernier camp de ski. Au lendemain de son retour, il prendra l’avion, direction l’Asie, pour un mois au Vietnam et en Thaïlande. Et puis ce sera la retraite pour celui qui, à 65 ans, est une véritable figure du judo yverdonnois, mais aussi une personnalité touche-à-tout, charismatique, tout en franc-parler, qui a passé sa vie à s’engager.

Ce qui lui manquera du collège? «Rien! Certains arrêtent à 60 ans, j’en ai cinq de plus et je suis content d’arriver au bout, mais pas du tout aigri», affirme- t-il. Il marque une pause et reprend: «En fait, si, une chose va me manquer: l’osmose avec les très bonnes classes. Il y en a auxquelles je me réjouissais à chaque fois d’aller donner la gym.»

Un bon feeling

De manière générale, il se félicite du fait que, tout au long de son parcours, il ait eu «un bon feeling» avec les élèves. «Attention, il n’y a pas que des classes faciles. Chaque année, il y en a une ou deux avec lesquelles il faut serrer la vis. Mais, en moyenne, je dirais que, sur huitante élèves, il y en a un qui ne m’aime pas.»

Cela fait 43 ans -dont 39 à Léon-Michaud- qu’André Arrigoni a embrassé sa carrière. Il n’a jamais eu envie de changer de voie professionnelle. Seule «infidélité» aux salles de sport: deux mois de congé non payés sollicités pour obtenir un papier de marchand de vin voilà une trentaine d’années, afin d’ajouter une corde à son arc et de se former dans un domaine qui le passionne.

Il a trouvé, dans l’enseignement du sport, de nombreuses satisfactions. Il se souviendra tout particulièrement des camps, qu’ils soient de ski ou d’été. Celui de la semaine prochaine, à Grimentz, sera son centième. Chaque année, depuis 1978, il allait aussi à Tenero pour des camps polysportifs qu’il affectionnait. «Cela me rapprochait de mon canton d’origine, note le Tessinois, arrivé à Yverdon à l’âge de 10 ans. Et j’ai pu suivre l’évolution du site, le deuxième de Suisse en matière de sport, après Macolin.»

Trouver quelque chose

Ancien judoka de très haut niveau, André Arrigoni n’avait pas planifié une carrière de maître d’éducation physique. «En fait, j’aurais dû y penser beaucoup plus tôt que je ne l’ai fait», s’exclame-t-il. Au gymnase, ses entraînements quotidiens le condamnent déjà à redoubler une année et, lorsqu’il commence l’université en mathématiques, il se rend compte que cela ne va pas le faire. «Je n’étais pas assez doué intellectuellement pour mener de front de telles études et ma carrière d’athlète, estime-t-il. Il fallait que je trouve quelque chose d’autre.»

Engagé comme prof de gym temporaire à Lausanne, il se rend compte que c’est idéal: les cours lui permettent d’entretenir sa condition physique et lui laissent pas mal de temps libre pour s’entraîner à côté. Il réussit le concours d’entrée à l’université en sport grâce à sa polyvalence. «Les Valaisans étaient super forts en ski, mais ils ne savaient pas nager. Nous, les Vaudois, on était plus complets, et c’est souvent pour ça qu’on passait.» A 27 ans, le voilà titulaire d’un diplôme qu’il mettra à profit jusqu’à la retraite.

Le sang un peu chaud

Quel genre de prof de gym a-t-il été? «J’ai le sang un peu chaud, avoue-t-il d’emblée. Je n’aime pas les malhonnêtes, ceux qui encrassent les autres ou qui ne veulent pas se donner de la peine. Une minorité, bien sûr.» Il revendique aussi un franc-parler «qui tranche avec beaucoup des enseignants actuels ». Si on lui a «souvent fait la morale» quand à sa manière de s’exprimer, il a, lui, l’impression que son message passait. «Je dis les choses comme je les pense, et c’est apprécié. Les élèves savaient toujours à quoi s’en tenir.»

Reste que son caractère lui a parfois joué des tours. Outre quelques très rares «coups de pied au cul» donnés à une époque où «personne ne disait rien, surtout pas ceux qui les avaient reçus, sinon ils en reprenaient un à la maison», il a écopé d’un blâme pour avoir, voilà quelques années, giflé un élève qui avait poussé le bouchon trop loin. «J’ai dû m’en expliquer devant la direction. On m’a dit que je n’avais pas le droit d’agir ainsi et j’ai répondu que j’étais d’accord, mais que c’était fait et que je ne pouvais pas revenir en arrière.»

Homme de décisions

André Arrigoni le souligne: il n’est pas «un bileux». Il a souvent été amené à prendre des décisions et il l’a fait, du Judo-Kwai au Panathlon, qu’il a présidés, en passant par le Conseil communal d’Yverdon, sans jamais nourrir de regrets après coup. S’il y en a un, c’est celui d’avoir fait «beaucoup de choses, trop sans doute» au détriment du temps passé auprès de sa famille. «Je n’étais jamais à la maison, ce qui m’a conduit au divorce», glisse ce père de trois enfants, quatre fois grand-père, aujourd’hui remarié avec la même femme, Monique, après cinq ans de séparation.

Arrivé à la retraite, il va poursuivre différentes activités -de la gestion de son entreprise de vente de vin aux rénovations de maisons, un hobby depuis la fin de sa carrière d’athlète de haut niveau-, tout en se promettant de ne pas trop en faire. «Il y a aussi des tas de choses que j’aimerais essayer, lâche-t-il. Aller voir le Lauberhorn, Kitzbühel, un Grand Prix de Formule 1, voyager un peu…»

Ce qui est sûr, c’est qu’il tourne définitivement une page. Il ne sera pas de «ces anciens profs qui reviennent au collège voir comment ça va». Mais il sera là si, pour une occasion ou d’une autre, on a prévu de lui offrir un jus.

 

L’exemple de la perche

Quand on demande à André Arrigoni les changements qu’il a constatés dans son métier, entre ses débuts et aujourd’hui, il ne se lance pas dans de grands discours, mais utilise un exemple: celui de l’intemporel exercice du grimper à la perche. «Dans les années septante, on chronométrait les élèves. Sur une classe de vingt, ils étaient 18 à arriver en haut. Il leur fallait entre 2,5 et 4 secondes, se souvient-il. Aujourd’hui? Déjà, on ne chronomètre plus, et il n’y en a que deux qui réussissent l’exercice.»

Plus encore que de l’évolution de sa profession, cette observation en dit long, à ses yeux, sur celle du monde. «Aujourd’hui, les jeunes ont les pouces très développés, à force de tapoter sur leurs petites machines, mais ils ne vont plus jouer dehors, en forêt», estime le prof de gym.

Pour lui, les enfants ne font plus vraiment d’exercice dans le cadre de leurs jeux. «Ceux qui font du sport, c’est dans un club, constate-t-il. Et la différence en matière de souplesse, d’agilité et de coordination se ressent jusqu’à la gym.»

 

Il aurait dû combattre aux Jeux

Quand ils le voient entrer dans la salle de gymnastique du collège de Léon-Michaud, les élèves d’André Arrigoni saventils qu’ils ont affaire à un ancien athlète de très haut niveau? Amateur de sport en général, c’est au judo que l’Yverdonnois a consacré sa vie.

En tant que combattant, tout d’abord: il évoque sa quatrième place aux Championnats d’Europe 1971, à Berlin-Est, lorsqu’on lui demande ce qu’il considère comme le meilleur résultat de sa carrière. Il a aussi participé aux Championnats du monde et ce, même s’il doit se contenter d’un titre juniors sur le plan national. «Je n’ai jamais gagné en élite, notamment à cause de différentes blessures, raconte-t-il. Je n’ai pas été épargné. Mais, contrairement à beaucoup d’autres, j’ai eu la chance de ne jamais garder de séquelles.»

Pilier de la grande équipe du Judo-Kwai, alors en LNA, il était aussi membre de l’équipe nationale. Il a même décroché sa qualification pour les Jeux olympiques de 1972, au terme de trois ans d’efforts. Mais il assistera au tournoi de Munich des tribunes, après s’être cassé un genou. «C’était une grosse déception», reconnaît-il sobrement.

En parallèle de sa carrière de judoka, il donne très vite des cours, tandis qu’il s’implique également en coulisses, présidant le Judo-Kwai durant vingt ans et contribuant à intégrer sa discipline dans le système Jeunesse+Sport. Aujourd’hui encore, il forme des moniteurs et entraîne des enfants au dojo de la rue des Moulins. Il est un des quatre Vaudois à posséder le sixième dan, symbolisé par une ceinture rouge et blanche.

Lionel Pittet