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Les mains sur le volant, la tête sur les épaules

27 juin 2019 | Edition N°2527

Ambassadeur de la société spécialisée dans la vente de bagues, Sébastien Buemi était invité au Mood Store d’Orbe mardi. L’occasion pour le pilote aiglon de s’étendre, après ses réussites aux 24 Heures du Mans et au e-prix de Berne, sur la situation des disciplines automobiles.

«Sauf tremblement de terre, on connaît le podium d’un grand prix de Formule 1 avant même que la course soit lancée. Peut-être pas dans l’ordre précis, d’accord, mais soyons clairs: il n’y a que deux voitures qui peuvent prétendre à la victoire.» Comme lorsqu’il est en piste, Sébastien Buemi n’a pas peur d’attaquer. Surtout parce que le pilote aiglon ne se contente pas d’être un bon conducteur: l’homme est avant tout parfaitement conscient de l’environnement dans lequel il évolue. Bien sûr, il aurait souhaité poursuivre l’aventure en F1 lorsque celle-ci s’est achevée, en 2013. «Reste qu’aujourd’hui, on remarque que la situation de la Formule 1 stagne, alors que la Formule électrique connaît une ascension fulgurante.» Et le Vaudois se verrait bien marquer la très jeune histoire de la catégorie, dont il a été couronné champion en 2015/2016.

«L’incertitude, c’est ce qui fait le charme de la Formule E»

Au niveau du palmarès, il devra pourtant attendre avant d’inscrire à nouveau son nom tout en-haut du général. Une crevaison à Paris alors qu’il se dirigeait vers la victoire, deux-trois ennuis mécaniques ça et là, et la tête du classement s’est envolée. «Cette incertitude, c’est ce qui fait le charme de notre discipline, ce qui plaît aux spectateurs», argue-t-il, alors qu’ils sont déjà huit à avoir remporté l’une des onze courses disputées jusqu’ici.

Une imprévisibilité qui doit beaucoup au règlement du circuit électrique, au sein duquel les écuries ne peuvent influer que sur 25% de leurs voitures. «75% des bolides sont identiques pour tout le monde. En découle une conséquence plutôt saine: les constructeurs font face à un plafond. Avoir plus d’argent ne signifie pas devenir meilleur, ou alors dans une moindre mesure. Là où, en Formule 1, les plus riches règnent en maîtres.»

Les grand prix de F1 devenus pour la plupart insipides, la Formule électrique cherche donc à se faire une place au soleil grâce à l’attrait de ses compétitions. «Attention, tout n’est pas parfait. Trouver l’emplacement idéal pour un circuit représente un véritable enjeu. Tourner dans un lieu industriel n’aurait aucun intérêt, personne ne se déplacerait pour nous voir. On doit aller en ville, quitte à ce que les conditions ne soient pas optimales. Typiquement, samedi, le grand prix de Berne (ndlr: où il a terminé 3e) était magnifique, à un défaut près: la piste était trop étroite. Ce qui rendait les déplacements particulièrement délicats à effectuer. C’est tout un compromis à trouver.»

Un vrai engouement populaire

L’évènement bernois a d’ailleurs rameuté une centaine de milliers de curieux, en plus d’être diffusé sur les principales chaînes nationales. Preuve que la discipline intéresse. «L’avenir de la Formule E dépend directement des médias, là où la Formule 1 bénéficie de ses années d’ancienneté et de retombées forcément bien plus importantes.  La stratégie de Nissan (ndlr: son constructeur) est d’inviter entre 30 et 50 journalistes lors de chaque course. C’est une façon de faire. Aujourd’hui, quasi chacune des épreuves de la saison est parvenue à vendre ses droits TV dans son pays respectif. On avance dans la bonne direction.»

Reste que, malgré l’intérêt naissant pour les courses automobiles électriques, le grand prix de Suisse n’a aucune assurance d’être reconduit. «Ce qui est paradoxal, sachant que les villes ont toutes les raisons de chercher à inscrire leur nom au calendrier. À Berne, le taux d’occupation des hôtels est monté à 99% durant le week-end du grand prix, contre un peu plus de 50% l’année dernière à la même période», lance encore l’Aiglon.

Un pied en électrique, l’autre en endurance

Son avenir à lui devrait bientôt s’éclaircir. «J’arrive au terme d’une saison frustrante en Formule E. J’ai progressé, je me sens plus performant, j’ai même été le meilleur sur l’ensemble des qualifications. Mais cela ne s’est pas traduit au niveau des résultats.» En parallèle, il s’est imposé pour la deuxième fois aux 24 Heures du Mans, en endurance, enlevant du même coup le championnat du monde des pilotes. «Cette victoire était un peu différente de la première, en 2014. Cette fois-ci, il a fallu se battre contre nos coéquipiers de Toyota. Ils ont été pénalisés par une erreur de l’équipe en toute fin de course. Ça nous a permis de passer devant, il convient de rester sportif et de ne pas trop en faire. Mais j’ai eu suffisamment de poisse récemment pour en profiter quand même un minimum.» Un pied en Formule électrique pour écrire l’histoire, l’autre en endurance pour étoffer son tableau de chasse: voilà à quoi pourrait ressembler un futur idéal pour Sébastien Buemi. Le cas échéant, ses connaissances automobiles, sur et hors piste, sauront lui permettre de rebondir.

 

«En Suisse, rien n’est mis en place pour les jeunes»

Invité mardi au Mood Store d’Orbe, dont il est ambassadeur et avec qui il collabore depuis trois ans, Sébastien Buemi a rappelé la chance qu’il avait d’être soutenu par des sociétés régionales. «Aujourd’hui, j’ai fait mon bout de chemin. J’ai un volant, une situation confortable, je suis moins dépendant du soutien que je reçois. Reste que ça m’attriste de voir que rien n’est mis en place pour les jeunes. En Suisse, on a de l’argent, de gros sponsors potentiels. Certains coopèrent même avec le championnat de Fomule E. Mais on ne fait aucun effort au niveau de la formation.»

Et l’Aiglon de poursuivre: «Si le pilote est nul, il ne faut pas le prendre. Mais il me semble que des jeunes très corrects ont vu passer le train. Même à l’époque où Sauber concourrait en F1, jamais aucun Suisse n’a rejoint l’équipe, pas même en tant que troisième pilote. En France, des gens sont engagés pour trouver des sponsors. Et dès qu’ils dénichent les talents de demain, ceux-ci ont tout pour réussir. Ici, la fédération pourrait faire tellement mieux. Pas besoin de cinquante personnes, une ou deux placées au bon endroit peuvent faire la différence. Ce n’est pas propre à l’automobile? D’accord, mais tant qu’on ne met rien en place, cela ne va pas bouger.»

Florian Vaney