Le projet immobilier d’Orllati sur le site industriel des Moulins Rod à Orbe est vivement contesté par Patrimoine Suisse et des privés parmi lesquels le journaliste et photographe Jean-Claude Péclet. Ils dénoncent une atteinte au patrimoine industriel.
La friche des Moulins Rod occupe la Municipalité depuis 2017 lorsqu’elle a été acquise par le groupe Orllati. La partie située sur la rive gauche est en passe de trouver une issue favorable. La section vaudoise de Patrimoine Suisse a obtenu qu’elle soit classée monument historique. Une convention signée fin 2022 a abouti à la remise récente d’une étude par Jean-Blaise Gardiol de Patrimoine Suisse. Elle vise à la restauration des bureaux Rod datant de 1885 environ. L’affectation historique sera conservée en lieu et place d’une transformation en logements. Cet archéologue spécialisé dans l’analyse de bâtiments et sites historiques travaille également de concert avec Orllati et la section Monuments & Sites de l’Etat de Vaud pour que les logements prévus dans le moulin soient répartis dans le respect de sa structure complexe.
Nouveau bras de fer
Ce sont désormais les constructions de la rive droite qui provoquent un bras de fer entre Patrimoine Suisse et la Commune d’Orbe. Le plan d’affectation des Moulins – mis récemment à l’enquête publique – prévoit la transformation de l’ancien silo à blé en appartements d’habitation sur une dizaine d’étages, avec vue sur la ville d’Orbe, sa rivière et le pont vieux de 600 ans.
S’y ajouteraient la transformation de l’ancien moulin en appartements, la construction d’un autre immeuble de logements. Le quartier pourrait accueillir environ 190 nouveaux habitants en plus des logements pour aînés déjà construits.
Les rez-de-chaussée de ces constructions ainsi que trois autres bâtiments seraient destinés à des activités industrielles, artisanales ou commerciales.
A l’extrémité est, le secteur accueillerait un nouveau collège de 16 salles de classe, 5 salles multi-usages et divers locaux usuels.
Accompagnement qualitatif
Pour établir ce plan d’affectation la Commune d’Orbe s’est fait accompagner par l’Association suisse pour des quartiers durables qui délivre des certifications garantes du respect de six principes fondateurs grâce à 30 objectifs de performance et 60 indicateurs mesurés. A ce titre, le projet prévoit des espaces communs de détente, des accès à la mobilité douce, notamment avec un cheminement piéton le long de la berge de l’Orbe et la rénovation de la passerelle historique.
«Aucune analyse effectuée»
Dans son opposition, Patrimoine Suisse estime que le projet de PA « Les Moulins » n’est pas conforme aux objectifs de l’Inventaire des sites construits d’importance nationale (ISOS).
«Ce site industriel est un exemple majeur de patrimoine industriel de la première moitié du XXe siècle. L’un des plus importants de Suisse romande», commente Jean-Blaise Gardiol.Il regrette que ce plan ne fasse qu’effleurer le volet patrimonial du site, qu’il prévoie la suppression de certains bâtiments sans qu’aucune analyse n’ait été effectuée, qu’il dénature fortement et banalise les rares éléments «conservés ».
Pour cet expert, «depuis le XVe siècle sur la rive gauche, et depuis 1898 sur la rive droite, le site des moulins a été en constante évolution. Les bâtiments qualitatifs représentatifs de ce mouvement continu font partie du développement et de l’histoire du lieu. Il en résulte un ensemble cohérent, qui mérite une grande attention afin de ne pas le dénaturer. Des suppressions et des améliorations peuvent intervenir, mais l’esprit industriel encore très présent doit subsister. Les éléments qui seront supprimés ne devront l’être qu’après mûre réflexion. D’autant plus qu’à l’exception des silos, tous les autres bâtiments méritant conservation sont aisés à reconvertir (nombreuses fenêtres, grands espaces libres).»
Patrimoine Suisse demande notamment qu’une étude architecturale de détail soit effectuée, afin que le recensement architectural cantonal puisse être révisé sur des bases précises, et attribue des notes justifiées à chacun des bâtiments.
A la direction de l’Urbanisme, son chef Jonathan Remund salue la revalorisation de cette friche industrielle: «La transformation et la réactivation de ce secteur clé sont indispensables. Il s’agit de la pièce manquante entre les développements du sud de la ville et le centre-ville historique.»
Un concours proposé pour valoriser ce patrimoine
Jean-Claude Péclet (photo DR) compte au nombre des privés ayant formulé une opposition. Bien qu’habitant Prilly, le journaliste et photographe a des liens ancestraux avec la ville d’Orbe. Son grand-père Samuel Jaccard y passa la fin de sa vie et son oncle y dirigea une scierie, sur le site de Gruvatiez. Cet ancien rédacteur en chef de L’Hebdo manifeste depuis longtemps un intérêt marqué pour l’urbanisme et l’architecture. Attaché à Orbe, il écrit: «Je me réjouis quand elle embellit, me désole quand elle s’enlaidit». A propos de la réaffectation du site industriel des Moulins Rod, sur le principe, il s’en réjouit, «car une ville doit vivre. Et qu’un promoteur y trouve son profit ne me dérange pas pour autant que son projet soit bon.» Mais il estime que ce n’est malheureusement pas le cas: «On y perd la vision d’ensemble, le souffle vital.» Convaincu qu’un retard extérieur pourra aider à les retrouver, il propose l’organisation d’un concours d’urbanisme international.
Dans son opposition largement documentée, il évoque un projet surdimensionné incompatible avec les directives cantonales, le manque de vision globale entre l’aménagement des deux rives de l’Orbe, l’absence d’une étude patrimoniale d’un ensemble d’un grand intérêt du point de vue de l’archéologie industrielle, surtout des XIXe – XXe siècles. Il dénonce la destruction de l’identité industrielle d’un site à la valeur touristique et culturelle incontestée.
Un monstre volumineux et inesthétique
Pour lui, visuellement, la réaffectation des silos répond à la définition du monstre: «Quelque chose de volumineux et inesthétique, dénué d’âme, de cohérence, de vision, de toute référence à des éléments familiers, acceptables par la population.» Il regrette également l’absence d’espaces culturels permettant de valoriser ce patrimoine.
En conclusion, il souligne que «du fait de l’ancienne activité des moulins, les promoteurs du plan d’affectation ont acheté non seulement des parcelles, mais surtout des volumes constructibles dont ils n’auraient même pas osé rêver s’ils avaient projeté de bâtir sur des terrains nus ! Comme le relève le schéma du dossier, l’ensemble des moulins a été plus ou moins intégré et accepté par la population au fil des décennies, ce qui représente un bonus inespéré pour les investisseurs. Cela ne devrait pas aller sans contreparties. On les cherche en vain dans tout le projet. »
Transformer un site emblématique
La syndique Mary-Claude Chevalier relève que «le site est soumis à plusieurs contraintes patrimoniales. La Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP) a donc exigé la conservation de certains éléments emblématiques, tels que la volumétrie et la forme cylindrique des anciens silos, exigences qui sont respectées. Le plan d’affectation a fait l’objet d’un gros travail de coordination entre services communaux et cantonaux. De tels changements urbanistiques suscitent toujours des interrogations ou des craintes. Il est donc logique que des oppositions voient le jour. Le périmètre concerné figure dans l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS), ce qui renforce la nécessité de concilier développement et patrimoine. Quoi de plus normal que Patrimoine Suisse s’y intéresse. Nous avons prévu de rencontrer les représentants de Patrimoine Suisse dans le cadre de la procédure de traitement des oppositions.»
Valorisation d’une friche
A la question de savoir quel est l’intérêt de ce projet pour Orbe, la syndique répond que «la Commune va pouvoir transformer un site emblématique tout en préservant son identité et en répondant aux besoins d’une ville en pleine évolution. Le développement de ce site présente pour nous plusieurs opportunités, en premier lieu, la valorisation d’une friche industrielle, aujourd’hui à l’abandon. Le projet qui s’inscrit plus largement dans les buts du schéma directeur d’Orbe-Sud, intègre des surfaces destinées aux activités commerciales et artisanales. Enfin, le développement de ce PA permettrait de renforcer les liens entre le sud et le centre de la ville grâce à la création d’une passerelle et à des cheminements favorisant la mobilité douce. La zone industrielle, le quartier voisin de Gruvatiez et le centre historique seront ainsi mieux connectés.»