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Les murs de béton de la prison laissent filtrer l’espoir et l’humanité pour une centaine d’hommes

6 janvier 2010
A minuit pile, l’heure est aux embrassades, comme partout. Il ne reste qu’un petit quart d’heure avant que Christophe ne referme les portes, en n’oubliant pas de souhaiter une bonne année et une bonne nuit à chacun. Les casseroles traînant encore sur la table? «Les femmes de ménage les rangeront demain», rigole Vito, sous le regard bienveillant et tolérant de l’agent de détention.

A minuit pile, l’heure est aux embrassades, comme partout. Il ne reste qu’un petit quart d’heure avant que Christophe ne referme les portes, en n’oubliant pas de souhaiter une bonne année et une bonne nuit à chacun. Les casseroles traînant encore sur la table? «Les femmes de ménage les rangeront demain», rigole Vito, sous le regard bienveillant et tolérant de l’agent de détention.

«Vito Corleone, vous connaissez? Le Parrain? C’est moi.» L’homme qui nous accueille à sa table en riant franchement ne tient pas à nous voir partir: «Une assiette de pâtes vous fera plaisir, asseyez-vous! Un verre d’eau minérale avec ça?» Si «Vito» est bel et bien Sicilien, son accent a disparu au fil des années passées en Suisse et seule susbiste une certaine nostalgie de son pays, perceptible après quelques secondes de conversation. «Tu sais, le plus dur ici, c’est d’aborder les mêmes sujets, avec les mêmes personnes, tout le temps. Vous deux venez ici passer Nouvel-An en notre compagnie, cela me fait plaisir.

J’aimerais tellement parler de culture, aborder d’autres sujets que les congés, ou la prison… Ma famille? Elle est à l’étranger, je leur parle au téléphone.»
Les 101 détenus de La Colonie, un des bâtiments de détention des Etablissements pénitentiaires de la Plaine de l’Orbe, doivent rentrer en cellule à 20h le week-end, mais une exception est prévue pour le 31 décembre, comme nous le confirme Marc-Antoine, quelques mètres plus loin. «Ce soir, nous pouvons rester entre nous jusqu’à 00h15.» A cette heure précise, Olivier et Christophe, les deux agents de détention, passeront dans les trois étages pour fermer les portes, lesquelles resteront closes jusqu’à 6h30… ou 5h pour les détenus s’occupant de la cuisine. «C’est une soirée un peu spéciale pour eux. L’atmosphère est un peu différente des autres jours, peut-être un peu plus pesante. Ils aimeraient bien être avec leur famille durant les périodes de fêtes, encore plus qu’en période normale. Nous sommes ainsi peut-être un peu plus tolérants. La musique peut être un peu plus forte jusqu’à minuit. Tant qu’il y a du respect et du calme… », assure Christophe, l’oeil toujours en alerte. La nuit va être longue pour les deux agents, eux aussi coupés de leur famille ce soir-là. «Nous commençons notre service à 17h30 et le terminerons après 7h.» Un repas de service leur est ainsi attribué, comme à chaque fois, de manière à tenir le coup et à franchir le cap un peu plus facilement.

Les détenus ont eux aussi bien évidemment droit à un repas un peu particulier pour cette soirée, et n’hésiteront pas à se retrouver un peu plus tard pour fraterniser autant que faire se peut, comme le confirme Vito: «Si j’ai des amis ici? Je ne sais pas si c’est le bon mot. Disons que l’on est obligés de bien s’entendre…» Les ethnies et les nationalités se mélangent facilement, comme nous l’explique Souleymane, Africain de l’Ouest: «J’aime bien traîner avec les Latinos, j’apprécie leur musique, leur caractère. Je parle cinq langues, ça aide!» Si les nationalités sont mélangées, les âges et les profils aussi. A la Colonie, un homme ayant importé de la drogue ou braqué une banque côtoie un individu ayant violé sa soeur ou abusé d’un mineur. Une source de tension? Peut-être… «Tout se sait ici, deux ou trois jours maximum après ton arrivée. A toi de gagner le respect. Ce qui est sûr, c’est que ceux qui ont abusé d’enfants le cachent», témoigne Carlos.

Les hommes rentrent petit à petit dans leur chambre, certains préférant se recueillir seuls, dans leur espace d’intimité, pour franchir le cap de la nouvelle année. D’autres ont besoin de contact, de chaleur. «Prenez une bière, Monsieur, elle est sans alcool. Une cigarette?» La fumée est interdite dans les corridors, mais autorisée dans les cellules. «Venez voir ma chambre, Monsieur.» Deux mètres sur cinq, des toilettes dans l’entrée… et un écran plat avec plus de cent chaînes. Si Carlos va même jusqu’à parler de «palace. Allez voir en France comment c’est!», Youssef baisse tristement la tête: «Bien sûr qu’il y a le confort ici… mais je ne souhaite à personne d’être privé de liberté. Il me reste deux ans à faire ici. Tu as beau avoir un écran plat et des draps propres, c’est la prison, mon frère, dans dix minutes, la clé va se tourner dans la serrure. Tu sais, personne n’est innocent ici, mais notre peine, on la purge… Allez, on va pas déprimer ce soir, prends une bière!»

Une certitude? L’humour et le partage sont présents entre les murs de béton, comme une manière de relativiser sa condition, toujours. Edin, dernier homme croisé ce soir, le sait pourtant bien: «Derrière chaque sourire, il y a une souffrance.» Et un espoir, aussi.

Tous les prénoms des détenus ont été changés.

Timothée Guillemin