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Marcher et cohabiter pour niveler les différences
Les troupeaux de vaches, comme ici sur les pâturages situés à proximité du Chalet du Suchet, font partie intégrante du paysage des crêtes jurassiennes.

Marcher et cohabiter pour niveler les différences

29 juillet 2016 | Edition N°1796

Nord vaudois – Férus de sport et amoureux de la nature ont relié Sainte-Croix à Vallorbe, hier, lors de la quatrième étape de la célèbre Patrouille des sentiers. Reportage.

Les troupeaux de vaches, comme ici sur les pâturages situés à proximité du Chalet du Suchet, font partie intégrante du paysage des crêtes jurassiennes. ©Simon Gabioud

Les troupeaux de vaches, comme ici sur les pâturages situés à proximité du Chalet du Suchet, font partie intégrante du paysage des crêtes jurassiennes.

Le soleil n’est pas encore levé, ce matin, sur les hauteurs de Sainte-Croix, que les premiers marcheurs pointent déjà le nez en-dehors de leur tente. «Il a fait froid et humide cette nuit. C’est pas facile de se motiver», lâche l’une des participantes. Pour d’autres, installés sur des matelas de fortune à l’intérieur du Centre sportif, le réveil est plus aisé : «A part quelques ronflements, je n’ai pas à me plaindre.» Certains, les plus chanceux, ont le temps de prendre une douche. D’autres, exténués par l’effort de la veille, s’en passent. Une centaine de mètres plus bas, dans une salle communale villageoise aux airs de cantine, les participants, assis côte à côte sur d’immenses tables, prennent leur déjeuner. «La journée sera longue, alors on prend des forces», lâche, entre deux bouchées, un marcheur.

Les estomacs remplis et l’énergie retrouvée, les randonneurs se mettent en route, par patrouilles de trois à sept personnes. Certains parcourront une vingtaine de kilomètres, d’autres la moitié. La masse est hétéroclite et chacun marche à son rythme. En témoigne ce père qui tient sa fille par la main. «Elle a 17 mois, c’est la plus jeune participante», lâche-t-il. Avant de confier : «J’ai rencontré ma femme lors de la dernière édition de la Patrouille des sentiers. Cette randonnée, c’est une histoire de famille.»

Les kilomètres défilent. Les paysages -somptueux et divers- aussi. La forêt d’épicéa fait rapidement place aux pâturages boisés. Les groupes se dépassent. Les personnes d’horizons différents se mélangent et les histoires se croisent, se racontent. Sans jugement. «Le premier jour demande de l’adaptation. Ensuite, on fait connaissance et on se lie d’amitié. Cette patrouille est une sorte de destigmatisation de la maladie psychiatrique et des différences», témoigne Marie, l’une des participantes.

Des moments privilégiés

Peu avant midi, les premiers marcheurs rallient le Suchet, le point culminant de l’étape du jour. Au sommet flotte un vent de satisfaction, balayant les étiquettes et les différences. Chacun se congratule, se félicite. «Bravo Pierrette ! Tu vois, tu l’as fait», lance un bénévole à une marcheuse, en difficulté quelques minutes plus tôt. C’est aussi ça la Patrouille. Un geste par-ci, un sourire et un mot d’encouragement glissés par-là.

Des vaches, intriguée par le ballet qui s’offre à elles, se figent. «De tous les animaux, c’est sûrement celui qu’on croise le plus», sourit une participante, en chemin pour Vallorbe, la destination du jour.

 

Claire Jossevel, 23 ans, bénévole, Suscévaz

Claire Jossevel. ©Simon Gabioud

Claire Jossevel.

La Patrouille des sentiers, Claire Jossevel, elle la vit à fond. «J’ai choisi de participer à cette expérience à la fois comme participante et comme bénévole», lâche l’étudiante infirmière qui, lorsqu’elle ne parcourt pas les crêtes du Jura, épaule l’organisation pour des cas d’assistance sanitaire, «le plus souvent pour des petits bobos.»

Rencontrée sur les pâturages du Suchet, elle est la première participante au grand parcours à avoir rattaché le sommet. Pas étonnant pour cette Nord-Vaudoise habituée à ce genre d’expérience, son «style de vacances préférées».

Solitaire dans l’âme et habituée aux périples en solitaire, Claire Jossevel ne regrette pas son engagement dans la Patrouille des sentiers : «Je voulais vivre une expérience en communauté et me mélanger aux autres. Je n’ai pas été déçue ! Frigorifiée, on m’a prêté un sac de couchage la nuit passée. C’est un esprit cool, j’adore.»

 

Marguerite, Laetitia et Edouard, Lausanne

Marguerite, Laetitia et Edouard. ©Simon Gabioud

Marguerite, Laetitia et Edouard.

«L’ambiance est extraordinaire. Pour des gens marginaux comme nous, pouvoir marcher, parler et discuter sans être jugés, c’est génial», lâche, tout sourire, Marguerite Nolan, la cinquantaine, de Lausanne. Son fils Edouard, 23 ans, pas moins enthousiaste, renchérit, en pointant du doigt les crêtes jurassiennes : «Regardez-moi ça, c’est un endroit incroyable pour se promener et faire du sport ; chose que je n’ai plus l’habitude de faire. On n’a pas beaucoup de moyens, alors, pour nous, cette semaine dans le Jura, c’est un peu nos vacances.»

Embrassant de ses bras le chien «Gnocchi», fidèle compagnon de route, Laetitia Reggilao, l’amie d’Edouard, se confie : «J’ai failli abandonner, hier. Dans un moment de découragement, des gens qui m’étaient inconnus m’ont aidé et réconforté. Ici, la solidarité est immense et l’attention constante.»

 

Rémy Orioli, 24 ans, étudiant, Lausanne

Rémy Orioli. ©Simon Gabioud

Rémy Orioli.

Assis à la terrasse du chalet d’alpage du Suchet, Rémy Orioli profite d’un instant de repos après tout l’effort qu’il a fourni pour y parvenir. Il se délecte de la vue qui l’entoure et en a le souffle coupé. Enfant déjà, il avait pour coutume d’aller marcher avec son père. Une habitude qu’entretenaient ces deux hommes et qui, malheureusement, s’est perdue au fil du temps. Rejoindre la Patrouille des sentiers a été, pour cet amoureux de la nature, une magnifique occasion de faire revivre cette vieille passion et d’y mêler celle de la musique, qui aujourd’hui occupe chacune de ses journées. «Le soir, lorsque nous rentrons nous coucher, un ami et moi jouons pour la Patrouille. Cela procure toujours énomément de bien après autant d’efforts. C’est une situation un peu inhabituelle mais je suis très heureux de découvrir autant de nouveaux paysages ! », s’exclame-t-il.

L’esprit de la Patrouille des glaciers

Depuis lundi et jusqu’à demain, quelque 200 personnes -dont une cinquantaine de bénévoles- sillonnent les crêtes du Jura, de Boudry (NE) au Col du Marchairuz, en passant, notamment, par le Creux du Van, le Chasseron, le Suchet et la Dent de Vaulion.

«Il y a vingt ans, nous étions quelques uns à regarder la Patrouille des glaciers et étions admiratifs devant la solidarité et l’unité dans l’effort qui régnait lors de cette compétition. Nous voulions recréer le même esprit», se souvient Madeleine Pont, fondatrice de la Fondation groupe d’accueil et d’action psychiatrique (Graap), initiatrice du projet.

Marcheurs assidus ou promeneurs du dimanche, amateurs de la flânerie ou férus d’efforts intenses, porteurs ou non de l’étiquette de la maladie psychique (pour un quart d’entre eux), la Patrouille des sentiers, grâce à une immersion dans la nature, nivelle les différences, quelles qu’elles soient.

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Simon Gabioud