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Menacé de mort par ses colocs pour ne pas avoir fait le ménage

12 mai 2021

Un Yverdonnois accuse ses deux colocataires de l’avoir étranglé et menacé avec un couteau parce qu’il ne voulait pas nettoyer leur appartement. Les deux hommes, eux, contestent fermement cette version, indiquant s’être eux-mêmes retrouvés menacés.

En arrivant hier matin dans le hall d’entrée du Tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, le cauchemar de Zoran* a violemment refait surface. «Il a vu Nuno* et il a bondi hors du bâtiment. Il a sauté sur le bitume tellement il est terrorisé», a confié à la Cour son avocat, Me Yann Jaillet. Il aura suffi d’un regard pour que le ressortissant serbe se remémore l’attaque qu’il affirme avoir subie en décembre.

Un soir, l’un de ses deux nouveaux colocataires lui aurait ordonné de nettoyer leur appartement. «Tu vas nettoyer et faire ce qu’on te dit car on est des patrons. Si tu ne nous prends pas au sérieux, on va te montrer comment ça va aller, aurait lancé Nuno. Tu ne sais pas ce qu’on a fait au Portugal, quels crimes on a commis.» Le lendemain matin, ce dernier serait revenu à la charge. Mais Zoran, sous médicaments pour ses troubles psychologiques, se serait défendu de ne pouvoir pas tout faire seul. C’est là qu’il aurait été roué de coups sur tout le corps par ses deux colocataires, Nuno et Pedro*. Alors que le premier maintenait Zoran au sol par une clé d’étranglement, le second aurait menacé de le tuer et aurait mis un couteau sur sa gorge.

Après ce traumatisme, l’idée de se retrouver ne serait-ce qu’une fraction de seconde à côté de Nuno, même menotté, était insurmontable. C’est ce qui a déclenché une peur irrationnelle.
Avant d’entrer dans la salle d’audience, il était encore sous le choc. Un regard, un bruit, une porte qui s’ouvre et c’est la panique: «Ils vont m’attaquer! Protégez-moi!» répétait-il en boucle. «Non, il n’y a personne, vous n’allez pas les voir. On va entrer et ensuite il y aura la police, ne vous inquiétez pas. Calmez-vous, respirez! On est là Monsieur, on va vous protéger, vous êtes en sécurité», tentait de rassurer une «personne de confiance» envoyée par le Centre d’aide aux victimes Lavi. Ce sentiment ne l’a plus lâché de la matinée, quand bien même à l’audience il était séparé de ses agresseurs par un paravent.

S’il a pu répéter sa version des faits, il n’a pas réussi à cacher son anxiété: recroquevillé, une respiration forte, des tics du visage, des tremblements. L’huissière, le Securitas, son avocat, sa personne de confiance: tous ont tenté de le calmer, mais rien n’y a fait. Il a dû être évacué en ambulance après une heure. «Cet après-midi, il est au Centre de psychiatrie du Nord vaudois. La peur qu’il a montrée aujourd’hui est réelle. Il n’y a pas de théâtralisation. On ne fait pas du théâtre au risque d’être interné plusieurs semaines», a souligné Me Yann Jaillet, qui conclut à la tentative de meurtre par dol éventuel et réclame 15 000 francs de tort moral, en sus de ses réserves civiles.

Pourtant, le procureur Gabriel Moret, lui, a abandonné ce grief, préférant retenir une mise en danger de la vie d’autrui, doublée de lésions corporelles simples, d’agression, d’injures, de tentative de contrainte et, en plus, de menaces, pour Pedro. Pour ce dernier, le Parquet a requis une peine privative de liberté de 24 mois avec sursis, alors qu’il a plaidé en faveur d’une peine ferme de 28 mois contre Nuno, qui a un casier judiciaire au Portugal. Il a aussi demandé 10 jours-amende à 30 francs le jour et une expulsion du territoire de huit ans.

Le Ministère public a choisi de croire la version de Zoran, hier. Pourtant, il a déposé deux actes d’accusation alternatifs. Dans le second, on découvre que ce serait Zoran qui aurait attrapé un couteau et menacé Nuno. Après une bagarre musclée entre les deux hommes, le dernier cité aurait alors maîtrisé Zoran au sol, demandant à Pedro d’éloigner les couteaux et d’appeler les secours. Evidemment, les prévenus portugais, dont les propos ont passablement varié au cours de l’enquête, valident cette thèse. Leurs avocats ne comprennent pas pourquoi Zoran disparaît tout à coup du banc des accusés pour n’être vu que comme une pauvre victime. «A l’ouverture de l’enquête, c’est Zoran qui menace Nuno, rappelle Me Adrien Gutowsky, défenseur de Pedro. Il y a une ribambelle d’auditions, mais le Ministère public s’appuie uniquement sur une audition informelle!» Et de souligner: «Ce qui est documenté, c’est que Zoran n’était pas content d’avoir deux Portugais dans son appartement et qu’il y avait un problème de nettoyage entre les trois protagonistes.» Et sa consœur Sarah Tobler d’appuyer: «Zoran n’a pas de trace d’un étranglement. Il n’y a aucun des signes qui sont normalement attribués à ce genre de strangulation. La seule marque au cou dont font part les experts serait due à un objet contondant. Retenir une tentative de meurtre ou une mise en danger pour mon client serait totalement hors de propos.» Son client, actuellement en prison, porte plainte pour coups et blessures, et menaces. Il admet être auteur de lésions corporelles simples, mais réfute tout le reste et demande l’acquittement.

Le Tribunal, lui, devra décider qui croire, car visiblement il y a autant d’éléments au dossier pour argumenter l’une ou l’autre des versions présentées.
*prénoms d’emprunt

Christelle Maillard