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Molière, artiste, visionnaire… et féministe ?
Photo: Philippe Pache

Molière, artiste, visionnaire… et féministe ?

7 février 2022

Dans le cadre des 400 ans de la naissance de Molière, le Théâtre Benno Besson présentera mardi la première des Femmes savantes, soulevant des questions sociétales toujours actuelles… Interview avec le directeur Georges Grbic.

En 1622, naissait le grand dramaturge et acteur français Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière. Quatre cents ans plus tard, ses écrits résonnent de manière toujours aussi pertinente, questionnant des débats sociétaux qui pourraient qualifier ce grand nom du théâtre de visionnaire. Pour lancer cette année anniversaire, la compagnie lausannoise Voix publique et son metteur en scène Vincent Bonillo, en coproduction avec le Théâtre Benno Besson (TBB), présenteront la première de la comédie Les Femmes savantes, mardi prochain au TBB. Cette comédie qui aborde des thèmes essentiels, plus que jamais d’actualité, comme la place de la femme dans la société, se jouera sur deux jours à Yverdon avant de partir en tournée à Gland et Vevey.

Georges Grbic, directeur du Théâtre Benno Besson explique ce projet et l’impact des travaux de Molière en 2022.

La compagnie de Vincent Bonillo Voix publique est basée à Lausanne et la Ville soutient notamment le projet. Comment se fait-il que le Théâtre Benno Besson à Yverdon soit coproducteur?

Avec Vincent Bonillo, on se connaît depuis longtemps. Il m’a proposé le projet, ça me semblait digne d’intérêt et comme il y avait les 400 ans de Molière, on cherchait un événement pour lancer les feux de cette année particulière. J’étais le premier à accepter ce projet et sur Lausanne il y a d’autres choses en route, avec Mathias Urban, la Grange de Dorigny et l’Unil qui prennent beaucoup de place. Yverdon et le TBB s’inscrivent aussi dans cette participation à la création romande, c’est un lieu qui permet de donner une place et une visibilité à des artistes vaudois. Et vu la profusion des compagnies actuellement, il y a un vrai engorgement des créations par rapport au nombre de lieux à disposition dans le canton.

Les Femmes savantes est une pièce populaire, accessible à un large public, soutenue par divers sponsors. La première aura lieu à Yverdon mardi. C’est également une belle visibilité pour le TBB…

Oui c’est réjouissant! On aurait dû être le premier événement «molièresque» en Suisse romande, si on avait pu le faire comme prévu le 18 janvier! Nous avons déjà dépassé les 400 réservations! On s’est très vite trouvés avec Vincent Bonillo, au vu de ce qu’il avait fait jusque-là, je me suis rapidement engagé auprès de lui. Car il faut aussi souligner qu’il a une vision assez rock&roll de Molière, ça décoiffe!

C’est-à-dire?

Il avait fait entre autres Les Précieuses ridicules. C’était très décalé, dans un univers post-années 70 avec des perruques, quelque chose d’un peu outré. J’avais trouvé cela tout à fait pertinent, dans l’esprit d’une représentation excentrique comme pouvait l’être l’aristocratie, la noblesse française royale de l’époque. Il joue beaucoup sur les effets de mode (lire encadré). Il ne va pas faire Les Femmes savantes de manière classique, dans les normes traditionnelles. Mais avec un point de vue contemporain pour rendre d’autant plus lisibles des comportements de l’époque qu’on pourrait très bien retrouver aujourd’hui. Notamment sur les questions de mode et d’envie de se rendre visible au sein de la Cour dans une société où l’apparence et les prétentions sociales jouaient sur des codes multiples. On pourrait retrouver ces codes sur les réseaux sociaux, comme TikTok par exemple avec ses micro-scénarios. Il faut être dans la norme et savoir provoquer.

Qu’est-ce que Molière et son travail représentent pour vous?

C’est une langue extrêmement jouissive et riche. La richesse de ses textes réside dans le fait qu’il a su trouver les archétypes des relations humaines à l’intérieur de celles-ci. Et il a toujours su, avec beaucoup de pertinence, les inscrire dans une époque, en donnant toujours un point de vue, lié à la révérence qu’il fait au roi Louis XIV dont le pouvoir éclairé soutenait les arts. D’un autre côté, les textes sont philosophiquement très complexes, mais aussi inscrits dans une réalité pour peu qu’on sache analyser cette imbrication entre une société et un auteur. On peut actuellement toujours reprendre Molière, il y a assez de qualité et de poids dans les textes pour reposer les mêmes questions aujourd’hui.

On dit d’ailleurs qu’il peut encore s’inscrire dans les débats actuels, notamment la cause féministe, les questions de pouvoir ou encore le harcèlement, même 400 ans plus tard. Comment ce dramaturge, qu’on lit encore à l’école, est-il compris aujourd’hui?

Cela dépend de comment on peut l’interpréter. Dans Les Femmes savantes, par exemple, on se demande: Pour être puissant, faut-il avoir la richesse, le savoir ou la beauté? Avec la critique de ce besoin d’ascension sociale qui est tout le temps en perspective dans ses pièces. Ainsi que la volonté ou le refus d’élévation sociale. Tout être humain qui est plongé dans une société risque d’en ressortir perverti par tout un nombre d’injonctions. Et Molière a cette force d’humour, d’ironie et en même temps on sent bien qu’il a toujours rêvé d’écrire des tragédies. Il a eu cette intuition de sortir ce qu’il y a de tragique tout en passant par-dessus grâce à l’humour

 

Vincent Bonillo et Les Femmes savantes

 

Les Femmes savantes, c’est l’histoire d’une famille qui se déchire au nom du bel esprit, en mettant en scène une distribution majoritairement féminine, qui se divise en deux camps. D’un côté, les «savantes», éprises de poésie, de philosophie et de science, de l’autre, les garants du «naturel». Le tout, tournant autour du fil rouge du mariage. Cette comédie de mœurs a cela de particulier qu’elle met en scène toute l’étendue de l’éternel conflit du partage du savoir et du pouvoir entre hommes et femmes et met en lumière les questions toujours actuelles de la place et du rôle des femmes dans notre société.

«A nouveau Molière! Toujours Molière! avoue Vincent Bonillo, concepteur et metteur en scène de la pièce qui a déjà travaillé avec les textes du dramaturge et adepte du genre. Molière fait partie de notre ADN, de notre colonne vertébrale d’animal citoyen francophone.»

Et pourquoi les Femmes savantes en particulier? «Cette pièce peut être considérée comme un des premiers manifestes d’un mouvement féministe, tant il est vrai que ces femmes savantes n’ont d’autre revendication que d’être respectées et enfin prises en compte», explique Vincent Bonillo, pour qui la création de cette pièce était non seulement un parti pris audacieux pour Molière en son temps, mais aussi une provocation. «Le propos de Molière apparaît visionnaire, quasiment militant, dans la mesure où il anticipe les grands bouleversements d’un siècle des Lumières ponctué par la Révolution.»

Mais qui dit Molière, dit adaptation, c’est pourquoi Vincent Bonillo a choisi une mise en scène ajustée à un point de vue contemporain, notamment par le décor, dépouillé. «Il y a juste des éléments de mobilier et des objets d’influence kitch et de mauvais goût.» Quant aux costumes, ils appartiennent autant au style classique que contemporain. «Par le mélange des genres, on choisit de développer une esthétique baroque et presque intemporelle, propre à faire le lien entre l’époque de Molière et la nôtre.»

Infos pratiques

 

Les Femmes savantes (Molière) par la Cie Voix publique:

Quand: Mardi 8 et mercredi 9 février, à 20h
: Théâtre Benno Besson à Yverdon
Réservations: www.theatrebennobesson.ch

Léa Perrin