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«Mon Compostelle à moi»
Tout au long de son périple, Claude-Olivier Guignard a partagé son avancée avec ses proches via WhatsApp, mais également sur l’application Polarstep, plus ou moins assidûment.

«Mon Compostelle à moi»

14 avril 2025 | Texte et photos: Maude Benoit
Edition N°3927

Après deux semaines de route depuis les Pays-Bas, Claude-Olivier Guignard, dit «Le Grand», a ramené sa moissonneuse-batteuse de 1966 à bon port samedi à Croy. Récit d’une journée chargée d’émotions.

«Le Grand va arriver sur sa Matador.» C’est une certitude maintenant, juste une question de temps. L’excitation grandit, un sentiment fébrile envahit les habitants du vallon du Nozon qui s’agglutinent sur la place de la gare de Croy. Tout le monde est au courant de l’événement, uniquement par le bouche à oreille. Smartphone à la main, ils sont prêts à capturer l’instant tant attendu.

Pour comprendre exactement ce qui s’apprête à se passer, il faut revenir un peu en arrière.

L’accueillir comme il se doit

Le bistrot de la gare de Croy était plein à craquer samedi matin. Un brouhaha de paroles emplissait l’espace. On commande un café, puis deux, puis dix. Un pour chacun des conducteurs de vieux tracteurs de collection présents. «Les vieux péteux du Nozon» ou «l’équipe des vieux tracteurs», comme ils s’appellent eux-mêmes. L’air réjoui, un brin impatients, ils se préparent à parader par de-là les frontières suisses pour rejoindre «Le Grand» à Métabief.

À 9h35, chacun est juché sur un tracteur du siècle passé et décoré de drapeaux suisses et vaudois pour l’occasion. Le cortège se met alors en route pour près de deux heures d’excursion à 10 km/h en moyenne. Une procession qui a induit quelques retardements à la douane franco-suisse de Vallorbe.

Une fois arrivée sur le lieu de rendez-vous, la bande de joyeux lurons a sorti le saucisson et le chasselas, en attendant la raison de leur venue.

Le retour du «Grand»

Et celle-ci est arrivée. Sous l’acclamation de l’équipe des vieux tracteurs, une moissonneuse-batteuse Claas Matador Gigant de 1966 débarque avec un fier vrombissement. Au volant, Claude-Olivier Guignard, plus connu sous le surnom de «Le Grand» ou simplement «Grand», le sourire jusqu’aux oreilles, et malgré les traits tirés et le visage hâlé d’être resté au soleil plusieurs jours, les yeux pétillants. Voilà deux semaines qu’il roule pour ramener «sa Matador» depuis Emmeloord aux Pays-Bas. Il a parcouru près de 1000 kilomètres à une moyenne de 10-12 km/h et à raison de 7 à 10 heures de conduite chaque jour. Un rêve fou qu’il a mené jusqu’au bout.

Un emblème régional

Et c’est vrai qu’il est grand. Mesurant deux mètres, c’est un personnage connu et reconnu dans le vallon du Nozon. Chauffeur de poids lourds depuis quarante ans, il a toujours aimé acheter des vieilles machines pour les retaper et les revendre. Il achète d’ailleurs son premier tracteur à l’âge de 14 ans et ne s’est jamais arrêté. Pour sa passion, il ne craint pas les kilomètres et est prêt à sillonner l’Europe pour aller les chercher.

Mais cette moissonneuse-batteuse, c’est autre chose. «J’ai toujours su que je voulais une Matador Gigant de ce modèle, raconte-t-il. Je l’ai cherchée longtemps et finalement trouvée sur Internet. J’ai eu de la peine à contacter son revendeur qui ne me répondait pas, jusqu’à ce que je lui envoie des photos de mes vieilles machines. Ce à quoi il a répondu sèchement: Qu’est-ce que vous voulez? J’ai simplement répondu: Je veux l’acheter et la ramener en Suisse par la route. Comme il ne me croyait pas, je l’ai achetée sans l’avoir vue et me suis ensuite rendu aux Pays-bas pour la voir. Jusqu’au moment où je suis arrivé sous ses fenêtres à Noël 2024, il n’y croyait toujours pas!»

Et c’est vrai que le pari semblait fou. Il lui a fallu traverser cinq pays (Pays-Bas, Allemagne, Belgique, France et Suisse), en partant d’un polder néerlandais à -5 mètres d’altitude, en empruntant des routes étroites, trop étroites pour la Matador parfois. Et passant par les villes, les routes nationales n’étant pas toujours autorisées pour les véhicules agricoles. Mais, tout au long du voyage, avec lui, comme un ange gardien, la photo de l’acheteur originel de la moissonneuse-batteuse. C’est Bert Buining, son fils et vendeur de la Matador qui l’a affichée.

Pas une promenade de santé

Mais cela n’a pas toujours été facile. Dès les premiers jours, arrivent les premières pannes. Et le deuil de son cher chapeau envolé. Le plus dur, manier cette machine imposante sur les routes étroites de Hollande et se repérer dans ce plat pays. «J’ai pensé abandonner. Et puis finalement, j’ai continué, un tour de roue après l’autre.» Heureusement, Jean Rosset a fait don de sa présence. Il n’a pas plu une seule goutte durant le voyage, mais impossible d’éviter les coups de soleil.

Cette expérience l’a changé. «À douze kilomètres par heure, le temps ralentit. On a le temps de réfléchir à beaucoup de choses, à faire le bilan de sa vie. C’était un peu mon Compostelle à moi. J’ai passé ma vie à courir, j’ai pu réfléchir après quoi. Je pense que je vais me poser un peu maintenant.»

Le moment de vérité

C’est finalement vers 15h que la foule de Buya-tsas a pu voir arriver en fanfare ce qu’elle attendait depuis un temps: Le Grand, sur sa Matador, accompagné de l’équipe des vieux tracteurs. Sous les applaudissements de la foule, ils se sont fièrement alignés.

Les yeux brillants d’émotion, Le Grand a remercié ses proches et chers amis qui l’ont toujours suivi. Une émotion partagée par l’assemblée qui est très attachée à ce personnage emblématique. «C’est Le Grand, il n’y a que lui pour faire ça, aller jusqu’au bout de ses rêves », explique Marylin Boulaz, amie de longue date de l’intéressé, traduisant un sentiment partagé par toutes les personnes présentes.

Prochaine étape pour Le Grand, moissonner cet été avec la Matador et toujours accompagné de l’équipe des vieux tracteurs, ainsi que de Bert Buining et sa femme Mignon, qui feront le voyage pour la voir à l’œuvre.


Le Grand dans «PaJu»

Les aventures de Claude-Olivier Guignard ont été suivies par une équipe de la RTS pour l’émission Passe-moi les jumelles, à paraître prochainement.