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«Mon parcours m’a enseigné l’humilité»
. © Michel Duperrex

«Mon parcours m’a enseigné l’humilité»

18 février 2021

La vie a amené Manuel Kanté en Suisse, après de multiples expériences autour de la planète. Le voilà aujourd’hui au FC Champagne, où il commence à transmettre son vécu et ses valeurs.

 

Etats-Unis, Chypre, Grèce, Ecosse, Portugal, Suisse: le parcours professionnel de Manuel Kanté, né voilà 34 ans à Drancy, en banlieue parisienne, lui a permis de se confronter à différentes cultures. La Suisse, c’est à Baulmes qu’il l’a découverte, en 2011, en arrivant en droite ligne de Saint-Louis, aux Etats-Unis.

«Ah, Baulmes… Je suis arrivé ici en hiver, l’équipe n’avait pas gagné un match au premier tour. Tous les jours on voyait arriver un nouveau joueur, un Slovaque, deux Brésiliens, un Monténégrin, un Roumain, des Suisses… C’était complètement improbable, on ne jouait pas dans notre stade. Et on s’est sauvés», se souvient-il aujourd’hui avec plaisir. Même si son cœur est resté en Croatie (voir encadré), c’est en Suisse qu’il est revenu vivre et s’installer, jouant successivement à Fribourg, Vevey et, aujourd’hui, Champagne.

Etonnamment, jamais au niveau professionnel, alors que ses qualités intrinsèques de footballeur auraient largement dû lui valoir un contrat en Challenge League, au moins. «Objectivement et sincèrement, oui. Quand j’étais au top avec Fribourg, j’aurais très largement pu ou dû jouer plus haut. Mais le souci, dans le football suisse, c’est que vous êtes catalogué: en arrivant en 1re ligue, on m’a laissé dans une case à ce niveau. Alors, j’ai construit ma vie différemment. De toute façon, vous ne m’entendrez jamais me plaindre d’où je suis. Je sais trop bien d’où je viens.»

D’où il vient. Drancy et son centre-ville, donc. Terre de béton. Et, comme enfant, une unique passion, le ballon. «On jouait sur les dalles, sur les parkings, jusqu’à pas d’heure. J’ai toujours su que je voulais être footballeur. De toute façon, sans faire aucun cliché, d’où je viens, il n’y a pas mille options, c’est le sport, la musique ou les choses illicites. Les études, bien sûr qu’elles ne sont pas inaccessibles, mais il ne faut pas rêver: l’égalité en France, elle n’est pas présente partout. L’ascenseur social, des fois, il est en panne…»

La réalité du jeune Manu Kanté, fils d’immigrés maliens, avec un père qui part tôt et rentre tard, une mère qui enchaîne les ménages. Et ce gamin parisien qui joue au football sur le bitume et qui se forge son avenir grâce à ses grandes cannes qui récupèrent tous les ballons que les attaquants laissent traîner. S’ensuit un tour d’Europe, avec le crochet en Amérique du Nord. Et l’intégration, partout. «J’ai appris dans chaque pays. J’ai connu des échecs, mais j’ai toujours su rebondir. Je ne pouvais pas lâcher, pas de là d’où je viens.»

Alors, au fil de sa carrière, Manu Kanté se crée des contacts et le voilà aujourd’hui éducateur à Fribourg, dans une structure privée, et entraîneur de juniors élite au Team AFF.

Une reconversion rendue possible par l’excellent souvenir qu’il a laissé au FC Fribourg. «Je me suis toujours investi dans le club où je suis venu jouer au football, et c’est le cas encore aujourd’hui à Champagne, où je suis responsable du mouvement juniors.» Le désir de transmettre son expérience, déjà, comme il le fait dans son pays d’origine.

«Je suis parti avec mon père au Mali, j’essaie de faire passer un message, car j’ai quelques cousins qui sont décédés en traversant la mer pour venir en Europe. Là-bas, j’explique que tout ce qu’on leur dit sur l’Europe est faux. Je leur dis de rester au Mali et d’y réussir! Un de mes cousins y a fait ses études et aujourd’hui il vit très bien. Il est directeur d’une agence Orange. Il a réussi, il est un exemple. Ce message-là, il est essentiel pour l’Afrique. Il faut qu’on développe nos compétences, chez nous!»

Mais son «chez lui», aujourd’hui, est la Suisse romande, où il compte bien rester un moment. «J’aime la mentalité ici. Le Suisse est très travailleur, demande beaucoup, on a ça en commun. Quand on vient ici, que ce soit dans le foot ou la vie professionnelle, il faut tout donner. ça a toujours été mon moteur.» Du bitume de Drancy à la campagne vaudoise, un homme, avec ses valeurs.

 

«J’aime bien surprendre en parlant serbo-croate!»

 

En arrivant dans le Nord vaudois, Manu Kanté savait qu’il débarquait dans une terre riche d’une importante présence balkanique, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Ce que les Serbes et Bosniens du Nord vaudois savaient peut-être moins, voire pas du tout, c’était que le Français de 34 ans parlait parfaitement leur langue! «J’aime bien surprendre en parlant serbo-croate, ils sont hallucinés la première fois en entendant un Black parler leur langue», se marre-t-il volontiers. Le nouveau joueur du FC Champagne Sports a d’ailleurs toujours une maison en Croatie, un pays qu’il adore et où vivent ses deux enfants, ainsi que leur mère. «J’y suis encore retourné il y a à peine un mois. Mon fils est assez doué pour le foot, il joue actuellement dans un bon club formateur. La Croatie est un pays magnifique, fou de foot.» Sur Facebook, il se fait d’ailleurs appeler «Manu Kantic», en clin d’oeil à son autre pays de cœur. «Mais c’est aussi parce que j’en avais marre qu’on me demande si j’étais de la famille à Ngolo Kanté!» Comme lui, le champion du monde est Parisien d’origine malienne.

Tim Guillemin