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«Nous voulons montrer que nous agissons»
Le 23 novembre, les fouilles ont été effectuées dans l’arrière-cour des locaux de La Poste, à quelques pas de la gare. © Michel Duperrex

«Nous voulons montrer que nous agissons»

1 décembre 2022

Police Nord vaudois a invité la presse a une opération d’envergure, durant laquelle des revendeurs ont été interpellés. PNV se dévoile pour exposer la complexité de sa mission, parfois en décalage avec l’imaginaire de la population.

Opération «Azur Tenere» à Yverdon, ce mercredi 23 novembre. Dans le langage de Police Nord vaudois (PNV), cela signifie qu’une vingtaine d’agents vont mener une action coup-de-poing afin d’interpeller des dealers locaux. Un peu derrière la vingtaine de policiers qui se lancent à la poursuite des revendeurs, quatre journalistes sont témoins de l’opération, invités par PNV.

Dans un milieu qui s’ouvre rarement à la presse, la pratique peut étonner. Une stratégie de communication voulue par le tout nouveau commandant de la police régionale, Marc Dumartheray. «J’ai toujours prôné l’ouverture à la population. C’était le cas dans mon ancien poste (ndlr: il a été commandant de la Protection Civile du district de Morges) et ça l’est toujours aujourd’hui. Je veux montrer qu’on agit et qu’on est conscient que ce problème existe. Mais je veux aussi faire connaître la complexité du sujet, et les limites de notre sphère de compétence.»

Car la police ne vit pas hors du monde. «On sait bien que certains habitants se plaignent, disent que la police ne fait rien alors que tout le monde voit les dealers au Jardin japonais. Mais il faut faire attention aux amalgames. Ce n’est pas parce qu’une personne de couleur est statique qu’elle s’adonne au trafic. La police ne peut pas travailler dans le subjectif ou dans l’interprétation. Il faut qu’un suspect réponde à certains critères pour que l’on procède à une interpellation.» Et le capitaine Michael Groux, en charge de l’opération du jour, d’ajouter: «La population est peut-être parfois accostée par des revendeurs. Mais nous, nous sommes en uniforme… Vous imaginez bien qu’on est rarement face à un flagrant délit.»

Quels sont ces critères qui permettent à la police d’emmener une personne au poste pour une fouille plus détaillée? Evidemment, la prise en flagrant délit d’une transaction rentre dans cette catégorie. Mais c’est un cas rare, pour ne pas dire impossible. Lors des opérations d’envergure, comme celle qui a eu lieu le 23 novembre, c’est souvent la fuite qui justifie l’arrestation provisoire d’un suspect. C’était d’ailleurs la raison évoquée par Marc Dumartheray au terme de cette opération «Azur Tenere», lors de laquelle dix personnes ont été ramenées au poste. «Si elles n’avaient pas fui, nous aurions procédé à un simple contrôle d’identité», a assuré le commandant.

Alors… la police ne peut rien faire? Le deal continue sans réponse? Non, répond évidemment Marc Dumartheray. Tout est une question d’objectif. «Notre travail, ce n’est pas d’éradiquer le deal. C’est impossible, même si l’on postait des agents aux quatre coins du secteur de la gare en continu. On le sait bien, lorsqu’on est à un endroit, le trafic se déplace. En revanche, notre but est de contenir ce phénomène, s’assurer que le deal ne croisse pas exponentiellement. Avec ces opérations, on marque la zone, on met une certine pression sur le trafic.»

Et, PNV l’assure, la ville est toujours plus sûre. «Entre 2014 et 2021, les infractions pénales ont baissé de 47%», indique le commandant. Yverdon n’est plus dans une situation similaire à celle de 2015 ou 2016, quand le deal était bien plus présent au sein de la Cité thermale.

Suffisant pour combattre le sentiment d’insécurité qui habite certains Yverdonnois? Le capitaine Michael Groux ajoute un élément: «Nous n’avons reçu aucun signalement d’agression physique d’un dealer envers un passant.» Une affirmation qui rassurera sûrement une partie des Yverdonnois, mais qui énervera peut-être celle qui ne se sent pas en sécurité en ville.

 

Face à «la misère humaine»

 

Qui sont les personnes interpellées par Police Nord vaudois? Pour la plupart, ce sont des ressortissants nigérians, qui fuient la pauvreté et un pays en crise. «Nous sommes face à la misère humaine, lâche Marc Dumartheray, commandant de PNV. Les gros bonnets ne sont pas ici. Il y a une fausse vision de l’Europe, perçue comme un Eldorado. C’est vrai, nous sommes privilégiés par rapport à la situation dans laquelle sont plongés ces pays, mais pour eux la vie ici est synonyme de précarité. Ils doivent rembourser les passeurs qui profitent d’eux lors de leur périple et subissent aussi la pression de ceux restés au pays et qui attendent d’eux un soutien financier.»

À noter que le profil-type du revendeur arrêté par les agents de PNV n’est pas un sans-papiers. Très souvent enregistré en Italie, le premier point d’entrée en Europe, il bénéficie de la protection internationale et possède le statut de réfugié. Il a ainsi le droit de voyager au sein de l’espace Schengen. Mais ce séjour ne doit pas excéder trois mois et les réfugiés n’ont pas le droit de travailler dans le pays. Violer ce permis de séjour est d’ailleurs l’un des plus gros risques pour ceux qui sont arrêtés par la police.

 

L’envers du poste de police

 

Le «centre de maintien». C’est là que les hommes au comportement suspect sont amenés lors de leur arrestation provisoire. Celle-ci ne doit pas excéder trois heures. Un laps de temps qui doit permettre à la police de déterminer si une arrestation est justifiée. C’est aussi ici qu’une fouille plus complète est effectuée. Si dans la rue on s’assure surtout que l’homme ne soit pas armé, au poste on cherche des substances qui auraient pu être cachées. «Toujours dans la proportionnalité et le respect de la dignité des personnes, insiste Marc Dumartheray, commandant de PNV. C’est aussi pour leur sécurité. Imaginez que l’un d’entre eux possède une lame de rasoir au moment d’entrer dans le box de maintien (ndlr: une cellule provisoire, ou les suspects sont seuls)…» Ces fouilles sont protocolées et les agents ne peuvent pas insérer leur main dans la bouche des suspects. Ni dans aucune autre partie du corps. «Lorsqu’on suspecte qu’une substance a été avalée, on conseille toujours de se rendre à l’hôpital, où ils sont protégés par le secret de fonction», ajoute le commandant.

 

En une fraction de seconde, l’étau se referme

 

Derrière le commandant Marc Dumartheray, quatre journalistes ont pu suivre l’opération «Azur Tenere» sur le terrain. Tout se passe en un éclair.

Une demi-heure avant le début de l’opération «Azur Tenere», une opération qui vise à contenir le deal dans le secteur de la gare, plus de vingt policiers sont dans le centre d’engagement, sous les ordres du capitaine Michael Groux, aux commandes de l’opération. L’objectif est clair: dix suspect ont été repérés dans la matinée. Nous sommes quatre journalistes à suivre l’action. Nous enfilons nos gilets pare-balles et partons, en retrait, derrière le commandant de PNV Marc Dumartheray. Va-t-on vraiment assister à une opération «type»? Impossible à dire. Les policiers sont tous au courant de notre venue et notre présence aura forcément une influence. Face aux appareils photo, les suspects réagiront, eux aussi, différemment. Mais cette entrée dans les coulisses d’une action policière d’envergure reste néanmoins une occasion de voir l’envers d’une intervention.

Dans les rues du centre-ville, l’avancée est d’abord tranquille. Puis le commandant met le doigt à l’oreille. C’est le moment de fermer la tenaille. Les policiers, postés tout autour du secteur de la gare, se lancent en direction du Jardin japonais. Plusieurs hommes fuient, et la poursuite s’engage. De mon point de vue, tout est allé trop vite. À peine le temps de se mettre à courir que le parc est désert. J’en viens même à me demander si les personnes recherchées par la police n’ont pas réussi à s’enfuir.

Mais, au loin, un petit attroupement se forme. Deux personnes sont assises sur la rampe qui mène aux guichets CFF, entourées de policiers. Très vite, d’autres suspects sont regroupés, sortis par les forces de l’ordre de la Coop ou d’un bus. Des cachettes qui ne les protègent pas longtemps. «C’est pour ça que le deal se concentre souvent autour de la gare, explique Marc Dumartheray. C’est un lieu central où il est facile d’arriver, facile de repartir.»
Il y a toutefois des limites à l’action de la police. «Tout doit se faire dans le principe de la proportionnalité. Si on voit qu’une personne fuit à travers les voies de chemin de fer, par exemple, on ne la suit pas. Pour nous protéger nous, évidemment, mais aussi pour protéger la personne qui fuit. Si on continuait la poursuite, elle risquerait de se mettre encore plus en danger.»

Les suspects réunis, tout le groupe se déplace dans la cour isolée derrière les locaux de La Poste. Les fouilles peuvent commencer. Pourquoi ne pas les effectuer sur la place de la Gare? «Ce n’est pas un spectacle, insiste le commandant. Lors des fouilles nous nous rendons donc dans un endroit plus discret.» Pour préserver la dignité de ceux qui sont fouillés, mais aussi pour travailler dans une atmosphère plus calme, moins propice à des hausses subites de tension. Les hommes vident leurs poches, retournent leurs bonnets.

Mais si tout est très calme pour l’instant, la situation peut dégénérer subitement. D’autant plus que les objectifs des photographes gênent logiquement certains suspects. «Pourquoi tu me photographies, lance en anglais un homme qui est placé dans un fourgon banalisé. Ne me prends pas en photo!» Une fois précisé que son visage ne sera pas visible, la tension retombe.
L’objectif du capitaine Groux est réalisé: les dix suspects précédemment identifiés ont été interpellés. Ils sont amenés au poste, où une fouille plus complète sera effectuée.

À peine dix minutes après les interpellations, la place de la Gare est à nouveau calme, comme si rien ne s’était passé. Et si les suspects sont transportés à la rue du Valentin, le travail de terrain ne s’arrête pas pour autant pour les forces de l’ordre. «Nous ne voulons pas uniquement réaliser une opération coup-de-poing, puis déserter le secteur de la gare, détaille Marc Dumartheray. Nous maintenons une présence, même après l’action.» En plus de cette présence, la brigade canine de PNV est en pleine fouille, juste après ces interpellations. En effet, il est fréquent que des revendeurs se débarrassent de leur marchandise durant leur fuite. Grâce au flair de leur berger allemand, les policiers peuvent alors retrouver la drogue jetée ou cachée.

Retour au poste, moins d’une heure après le déclenchement de l’opération «Azur Tenere», qui s’est déroulée sans accroc. Les dix suspects sont interrogés, fouillés. Sur le moniteur d’une caméra de surveillance, on voit que certains sont libérés.

D’autres, en revanche, devront rester plus longtemps au Valentin, de la drogue ayant été retrouvée sur eux. PNV ne dévoilera pas la quantité saisie ce jour-ci, mais assure que l’opération est un succès. Reste à savoir si la population, qui a pu découvrir les coulisses d’une intervention, portera la même appréciation.