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«On naît tous concernés par les règles»
Pour Aline Boeuf (à g.) et Sarah Markowicz (à dr.), il est nécessaire d’écouter son corps. Si les douleurs liées aux règles ne passent pas avec un anti-inflammatoire, consultez un médecin.

«On naît tous concernés par les règles»

3 février 2025 | Textes: Maude Benoit | Photo: Michel Duperrex
Edition N°3883

Les règles et les maladies gynécologiques sont frappées d’un tabou généralisé. Un non-dit qui a un véritable impact sur la santé des femmes, ainsi que sur leur vie professionnelle.

Invisibilisées, cachées, considérées comme honteuses et sales, les règles sont pourtant une réalité que la grande majorité des femmes vivent périodiquement. Un phénomène biologique essentiel pour la procréation, sans lequel aucun d’entre nous ne serait sur la planète.

Ainsi, rares sont celles et ceux qui osent en parler ouvertement. Même le mot «règle» est un euphémisme pour parler des «menstruations». Et des expressions pour éviter ce terme, il en existe dans toutes les langues: «avoir ses ragnagnas», «les Anglais ont débarqué», «être indisposée», etc. En plus d’être effacée, la thématique est reléguée au rang des «affaires de femmes» et intéresse assez peu notre société et notre médecine basée sur un système patriarcal. Cet indicible autour des règles, par effet de boule de neige, entraîne une méconnaissance de la santé des femmes et des maladies gynécologiques, comme l’endométriose.

A la suite du postulat «Santé, Dignité et Durabilité» proposé par la conseillère communale Aurélie-Maude Hofer, la Commune d’Yverdon-les-Bains a lancé une campagne de sensibilisation autour de la précarité menstruelle (voir encadrés). Et c’est dans ce cadre que la conférence «Tabou des règles et de l’endométriose, et si les hommes étaient concernés?» a été organisée à la Bibliothèque d’Yverdon-les-Bains, jeudi dernier.

Menstruée et au boulot

Si le sujet des règles est tabou dans les sphères privées et publiques, il l’est encore davantage dans le milieu professionnel, là où il est encore bien souvent difficile de parler de ses règles à la pause-café du matin.

«Le mode de travail dans lequel on vit est basé sur le postulat que le masculin est le neutre», explique Aline Boeuf, doctorante en sociologie et autrice du livre Briser le tabou des règles. Les décisions en matière d’aménagement des espaces et du temps de travail sont souvent prises par des hommes qui n’ont pas l’expérience des règles. Dès lors, les besoins logistiques des femmes menstruées (par exemple, comment changer  ma culotte menstruelle au travail?) et leur bien-être ne sont pas pris en compte.

L’un des aménagements proposés par Aline Boeuf est le congé menstruel, à savoir la possibilité de pouvoir prendre congé quand les symptômes menstruels sont insupportables – pour celles qui en ressentiraient la nécessité. Adoptée en Espagne, par la Ville d’Yverdon-les-Bains et en phase de test à Zurich, l’idée fait son chemin en Suisse.

Si ce système est loin de faire l’unanimité, autant chez certains hommes qui n’y voient pas l’intérêt, que chez certaines femmes qui y verraient un aveux de l’incapacité des femmes à travailler, le système permettrait tout de même de redonner confiance aux femmes sur leur lieu de travail, tout en leur permettant d’être plus productives à leur retour.

Des années d’errance

L’endométriose est une maladie gynécologique qui touche une à deux femmes sur dix. Très difficile à déceler, le diagnostic est encore retardé à cause de la méconnaissance de la pathologie par les soignants. De plus, il existe autant d’endométrioses que de femmes. Il n’est donc pas rare d’entendre des témoignages comme celui de Sarah Markowicz, membre de l’Association S-Endo et venue parler du sujet lors de la conférence, pour qui l’errance médicale à duré vingt ans.

À force d’en parler, l’endométriose est devenue l’ambassadrice des maladies gynécologiques (car il en existe bien d’autres), ce qui permet de délier les langues autour de cette maladie aux symptômes véritablement invalidants, pouvant aller des douleurs intenses à l’infertilité.

Et les hommes dans tout ça?

«On naît tous concernés par les règles», expose Aline Boeuf, pour démontrer que nous sommes toutes, et surtout tous concernés par les règles. Pourtant, les hommes sont souvent exclus ou s’excluent volontairement des conversations sur le sujet. Entraînant alors une incompréhension des enjeux des règles et un manque d’empathie envers les symptômes handicapants qu’elles peuvent entraîner.

Sarah Markowicz souligne ainsi le rôle des pères dans la transmission des connaissances sur les règles, que ce soit à leur fille ou à leur fils. Une transmission qui pourrait véritablement faciliter le dialogue.

Les deux intervenantes ont souligné l’importance d’oser en parler à tous les niveaux et des représentations pour casser le cercle vicieux du tabou. Car à terme, «l’idéal, c’est que le sujet des règles devienne un non-sujet».


«Ne plus cloisonner le sujet»

Lors d’une soirée d’information le 22 janvier, la Municipalité d’Yverdon a présenté ses différents points d’intérêt pour l’année à venir. À cette occasion, la vice-syndique Carmen Tanner a mis en avant sa volonté de travailler sur la question des règles.

«Notre objectif est d’avancer selon trois lignes directrices: briser le tabou des règles, réfléchir à la question des menstruations zéro déchet et sensibiliser à la précarité menstruelle», explique Nadja Birbaumer, chargée de la mission égalité pour la Ville.

Ainsi, de nombreuses actions de sensibilisation ont été mises en place. La conférence qui fait l’objet de cet article a d’ailleurs déjà été présentée aux employés de l’administration communale, dans le but de reconnaître l’impact des règles sur la vie professionnelle. À ce sujet, Yverdon-les-Bains est l’une des premières communes en Suisse à avoir instauré un congé menstruel pour ses collaboratrices. De plus, des ateliers de sensibilisation seront proposés à la population. Le prochain aura d’ailleurs lieu le 13 février à la Bibliothèque d’Yverdon-les-Bains et portera sur les protections hygiéniques zéro déchet.

Ainsi, la Commune a choisi l’angle de la sensibilisation et de la prévention pour aborder ces questions, comme le demandait le postulat, mais n’est pas arrivée à une décision positive concernant un subventionnement. «Cette question nous a beaucoup turlupinés, explique Nadja Birbaumer. Nous avons pris contact avec d’autres communes, comme Renens, et sommes entrés en discussion avec le Service de la jeunesse et cohésion sociale (JECOS). Or, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était difficile de cibler les personnes précarisées et que nous risquons de ne toucher que les personnes déjà convaincues. Nous avons donc d’abord choisi de faire des actions de sensibilisation, et ensuite nous verrons quelles actions entamer. Le but actuel est de  faire en sorte que le sujet ne soit plus cloisonné.»


Ressources

Livre: Aline Boeuf, Briser le tabou des règles, Editions 41, 2023.

Endométriose: Association S-Endo (s-endo.ch).

Questions sur la santé gynécologique? pvssy-talk.org