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«On nous prend pour des pantins»
Bryan Lauper. © Michel Duperrex

«On nous prend pour des pantins»

24 décembre 2020

Bryan Lauper, le patron du Petit Corbeau, 13 points au Gault & Millau, exprime son ras-le-bol après l’annonce de la fermeture des restaurants dès samedi soir.

Bryan Lauper, comment avez-vous réagi à l’annonce de cette nouvelle fermeture des restaurants?

Je n’ai pas vraiment eu de réaction. C’était un peu le vide, le néant. De toute façon, depuis une semaine, on ne sait plus sur quel pied danser. On doit fermer, finalement on reste ouverts, et là… Honnêtement, on nous prend pour des pantins, on a l’impression qu’on joue avec nous. Les autorités ne se rendent pas compte qu’on a des collaborateurs à qui on ne peut pas dire «t’es en vacances, non, finalement t’es plus en vacances parce qu’on peut ouvrir et il faut faire de l’argent». Certes, les mesures sanitaires sont très importantes, je comprends, mais c’est comme si on disait à Monsieur Parmelin «tu travailles deux jours, demain t’es viré, après on te réengage». On ne peut rien mettre en place.

Une situation compliquée à vivre…

Ça fait une semaine que je ne dors plus. Je me couche à 23h30 parce que je suis épuisé, à 2h du matin je suis debout. Et jusqu’à 6h du matin, c’est long. Je n’en peux plus, ma famille non plus. Et mes collaborateurs n’en peuvent plus de moi parce qu’on est à bout. Ce n’est pas la fermeture qui fait mal, c’est qu’on nous prenne pour des pantins. On se fout de nous, les mesures n’arrêtent pas de changer. C’est vraiment épuisant.

Mais y avait-il vraiment une bonne solution?

Je le dis haut et fort, ceux qui ont eu raison, ce sont les Suisses allemands. Ils ont fait tout juste et nous tout faux. J’en reste convaincu, même si les Romands ne sont pas d’accord et critiquent la Suisse alémanique. Les restaurants auraient dû rester ouverts jusqu’au 15 décembre pour faire six semaines de gros chiffre d’affaires, parce que c’est la meilleure période de l’année. Pour le 90% des restaurants de la région, le plus gros mois, c’est novembre. C’est la chasse, le début des fêtes d’entreprises et, à côté de ça, il n’y a aucune activité, pas de ski. Et ensuite, on aurait fermé pour six semaines.

Le conseiller d’État Philippe Leuba a donc raison quand il affirme que dès le 27 décembre, le chiffre d’affaires est de moindre importance?

Oui, ça baisse même depuis le 20. Les fêtes de fin d’année ne sont pas la période où un restaurant de plaine, comme nous, fait le plus gros chiffre d’affaires. Les Suisses allemands auront ainsi gagné beaucoup plus d’argent que nous.

Arrivez-vous déjà à chiffrer l’impact que la pandémie et les fermetures qu’elle a entraînées aura sur Le Petit Corbeau?

Sur l’année 2020, 34% de pertes et un licenciement. Voire peut-être deux. Les autorités disent qu’elles paient pour nos collaborateurs, c’est archifaux. Elles ne versent par exemple pas le treizième salaire, qui est une obligation dans notre branche, ni les vacances et une partie des charges. Pour 65 000 francs de pertes au mois de novembre, j’ai touché 2000 francs. Et on va me refuser les mesures d’aide pour les cas de rigueur, car je suis à 34% et non 40% de pertes sur mon chiffre d’affaires. Je ne demande pas qu’on gagne de l’argent, simplement qu’on nous aide à ne pas avoir de pertes. Ce restaurant, c’est une histoire de famille qui dure depuis 135 ans. Et là, on va peut-être devoir envisager une fermeture, parce que l’État ne nous donne rien de plus qu’un pourboire. Heureusement que Gilles Meystre, le président de GastroVaud, se bat corps et âme pour nous obtenir des miettes, sinon on n’aurait rien.

La vente à l’emporter reste possible. C’est une option envisageable?

Pour l’instant, je vais donner congé à tous mes collaborateurs parce qu’ils en ont besoin, ils en ont aussi ras-le-bol. Et à partir du 7 ou du 8 janvier, je ferai sûrement de la vente à l’emporter. Mais c’est une option avec laquelle on ne gagne rien. On perd même parfois de l’argent, car on n’a pas le droit aux RHT.

Muriel Ambühl