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«Passer du face à face au côte à côte»

23 février 2022

Comment guérir de son addiction aux drogues ou à l’alcool ? Le professeur yverdonnois Jacques Besson, addictologue et professeur honoraire à l’Université de Lausanne (UNIL), aborde ce sujet complexe pour La Région et explique quelles sont les solutions mises en place en Suisse.

«Si on dit à quelqu’un qu’il est alcoolique, on ferme complètement le dialogue», met en garde Jacques Besson, ancien chef du Service de psychiatrie communautaire du Centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv). Pour lui, l’addiction reste un trouble mental peu compris dans notre société. Pourtant, le spécialiste est catégorique: «Les addictions touchent beaucoup de personnes en Suisse. C’est un problème de la modernité.»

Même s’il est compliqué d’avoir des chiffres exacts pour notre pays, 30% de la population aurait une addiction au tabac, 20% aurait une consommation excessive d’alcool (dont 5% serait dépendante) et 10-15% aurait une addiction aux tranquillisants, ce phénomène touchant particulièrement les personnes âgées.

Ainsi, pour mieux comprendre les personnes souffrant d’une ou plusieurs addictions, il faut d’abord savoir comment définir ces dernières. «L’addiction est la perte du contrôle des consommations malgré les conséquences négatives. C’est-à-dire que le cerveau va inscrire des pratiques en lien avec une addiction dans la mémoire», explique Jacques Besson.

Il existe plusieurs types d’addictions, qui vont des substances comme l’alcool, le cannabis, les opiacés ou encore la cocaïne jusqu’aux jeux d’argent, à la pornographie et à internet. Ces addictions modifient l’activité cérébrale de plusieurs façons: elles peuvent agir comme des sédatifs et calmer le cerveau ou peuvent au contraire le stimuler, voire même le perturber et modifier la conscience.

Mais quel que soit l’effet sur le cerveau, les personnes se retrouvent en décalage avec la société et les tensions avec les proches surgissent rapidement. Pour Jacques Besson, il est essentiel de «passer du face-à-face au côte à côte. Plutôt que de confronter la personne en lui pointant du doigt le problème, il faut questionner la personne pour qu’elle cherche à savoir ce qu’elle essaie de soigner avec cette addiction.»

Cette approche motivationnelle s’inscrit dans la démarche de plusieurs centres spécialisés, comme à l’Unité de traitement des addictions (UTAd).

De plus, un travail en réseau est également mis en place entre la police, les services de justice ou encore les centres pour aider les personnes qui souffrent d’addictions, qui se base sur les quatre piliers de la loi suisse sur les stupéfiants (LStup) introduite en 2008. Ces piliers sont le contrôle et la répression (dans le domaine de la police et la justice), la prévention, la thérapie et la réinsertion, et enfin la réduction des risques et l’aide à la survie.

«En ce qui concerne la thérapie, je pense que l’approche spirituelle est essentielle. Nos contemporains souffrent du vide existentiel et c’est une brèche pour la dépression et l’addiction. Il faut absolument leur tendre une perche sur le sens de la vie», souligne gravement Jacques Besson.

 

Plus de risques de développer une addiction à l’adolescence?

 

Les adolescentes et adolescents passent forcément à travers les substances mais «le véritable problème c’est quand ces jeunes restent pris dans les filets», précise Jacques Besson. Les jeunes ne sont pas plus à risque que les adultes, mais certains facteurs peuvent les pousser vers des consommations négatives et, selon le spécialiste, il y en a trois: la génétique, la psychologie et les conditions sociales. Si l’un des parents est alcoolique, les jeunes ont huit fois plus de risques de développer une addiction, mais «très souvent ils ne deviennent pas dépendants à l’alcool», analyse Jacques Besson. Si un enfant a vécu des traumatismes psychologiques comme des abus, il sera également plus touché par les addictions. Enfin, vivre dans un milieu précaire augmente aussi les risques de se faire embarquer par des pairs dans une addiction.

 

Des solutions dans le Nord vaudois

 

Dans le nord du canton, plusieurs lieux accueillent les personnes qui souffrent d’addictions, notamment l’Unité de traitement des addictions (UTAd) et la Zone Bleue. L’UTAd, une consultation ambulatoire du Service de médecine des addictions du Chuv, est basée sur un fonctionnement interdisciplinaire avec des médecins généralistes et psychiatres, des infirmières ou encore des assistants socio-éducatifs pour répondre à la complexité des besoins des personnes concernées. L’équipe de l’UTAd traite plus de 400 personnes (toutes addictions confondues: substances, alcool, jeux, internet) et de nouvelles demandes arrivent toutes les semaines, selon le professeur Yasser Khazaal, médecin chef au Service de médecine des addictions du Chuv.

L’unité suit individuellement chaque patient. Ainsi, certaines personnes bénéficient d’interventions brèves alors que d’autres suivent des traitements plus longs et parfois une collaboration étroite avec certains employés de la Commune est nécessaire et bienvenue. La Zone Bleue, de son côté, est un centre d’accueil et de réduction des risques pour les personnes qui souffrent d’addictions, qui n’a pas d’exigence à l’entrée. C’est-à-dire que les personnes viennent volontairement et donc qu’il n’y a pas de suivi.

Le centre, financé par le Canton et les communes, propose plusieurs types de prestations, qui vont de l’aide à la survie comme offrir un repas ou des douches, jusqu’à l’aide sociale pour trier le courrier ou remettre les personnes concernées en lien avec leur réseau, en passant par des soins infirmiers. La Zone Bleue fait également un travail de prévention auprès des quelque 250 personnes qu’elle aide.

Andreia Portinha Saraiva