Pionnier du reggae à Yverdon
26 juin 2025 | Texte: Jérôme ChristenEdition N°La Région Hebdo No 17
Le pionnier du reggae africain en France, Jah Prince, donne un concert dimanche aux Citrons Masqués. Il nous parle de ses péripéties et de sa vie dans les bois de Vincennes .
Jah Prince a rempli des stades en Afrique et des salles en France, selon le quotidien Le Parisien. Sa carrière fructueuse a été interrompue en Côte d’Ivoire par son arrestation, sa condamnation et son expulsion en 2013. Une disgrâce qui, selon lui, trouve sa source dans sa consommation de cannabis et son opposition à la violence du pouvoir autoritaire ivoirien. Libéré et de retour en France après une intervention diplomatique du président François Hollande, ruiné, il vit depuis 2014 dans les Bois de Vincennes et tente de remonter la pente. Entretien avant son concert.
Pourquoi avez-vous choisi le reggae plutôt qu’un autre genre musical ?
Pour des raisons spirituelles, pour la force qu’il amène entre les frangins et les frangines, l’amour que cela leur fait partager, pour sa joie, et parce que le reggae est une musique brillante qui fait avancer les esprits. Elle harangue les foules. J’aime partager de la joie avec mes fans sans agressivité. Le reggae adoucit les consciences, raison pour laquelle je l’ai choisi depuis tout petit. Il permet de faire passer un message de paix à tous ces gens qui ont besoin d’amour.
Comment avez-vous vécu votre incarcération et votre expulsion de Côte d’Ivoire ?
Il y a eu bien trop d’injustice dans ce dossier. Je suis arrivé dans le pays avec du matériel de musique et de scène par conteneur pour monter une école de musique. Les douaniers ont saisi mon matériel que je n’ai jamais pu récupérer. Un jour, j’ai vu la police arriver chez moi en civil, avec force, sans mandat d’arrêt ni perquisition. Ils m’ont agressé, fouillé et ont trouvé des mégots et de l’herbe. Dans ma religion rasta, c’est la plante de guérison des nations. Incarcéré à Abidjan, j’ai vu des gens qui vivaient comme moi dans des conditions difficiles et j’ai essayé de tenir avec des prières et avec la résistance de l’âme et l’esprit. Condamné à un an d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du pays, je n’ai jamais pu obtenir réparation de cette injustice. Être expulsé en tant qu’Africain, je l’ai d’abord pris comme un déshonneur, puis je l’ai accepté, c’est ce que je devais vivre… De retour en France, après cet épisode difficile, j’avais besoin de recul et j’ai trouvé un endroit où je pouvais avoir un peu de tranquillité et de répit, le bois de Vincennes.
Qu’est ce qui vous a permis de tenir debout ?
Ma musique et ma foi. Je suis quelqu’un de spirituel et je remercie les éléments de la nature qui m’ont permis de subvenir à mes besoins et à ma résistance. Ce qui m’a aidé, c’est d’avoir été capable de vivre simplement avec rien, sans en vouloir à personne.
Qu’avez-vous appris sur la vie et sur vous-même ?
Cette expérience dans les bois m’a appris à pardonner à mon prochain et à moi-même. Vivre dans ces conditions dans lesquelles on n’a rien et arriver à se sentir bien, c’est s’alléger de beaucoup de choses. Ce n’était pas facile, mais j’étais un peu comme les oiseaux qui ont besoin d’être plus légers pour voler, avec un esprit tranquille. Je me suis dit qu’il fallait aussi demander pardon, car peut-être qu’inconsciemment, j’ai fait du mal. Mais je suis musicien et ce n’est pas dans mon état d’esprit de faire du mal. Et que ceux qui m’en ont fait ne s’inquiètent pas, je n’ai pas l’esprit vengeur. Ils n’avaient pas conscience de leurs actes. Ne pas faire du mal aux autres et ne pas me faire de mal, c’est comme demander aux autres de ne pas m’en faire…
Quel est le moment le plus marquant de votre carrière?
Le moment où après mille péripéties et tractations, j’ai décidé de produire mon album moi-même. Les producteurs qui voulaient travailler avec moi ne regardaient que leur profit. L’autoproduction, c’est un moment magique. J’étais obligé de tout faire comme un major par moi-même. L’investissement était énorme, mais le résultat était là, avec l’album Prisonniers de Babylone. Cela m’a pris cinq ans depuis 1998 en Afrique puis en France jusqu’en 2003. J’aime que mon travail tende à la perfection. Je remercie la nature d’avoir été présente à tous les moments où j’en avais besoin.
Quel message voulez-vous transmettre avec votre musique ?
Surtout le partage avec l’autre et se sentir bien dans ce partage, faire plaisir à l’autre. Comme lorsqu’on invite des gens à manger, il faut que la nourriture soit saine et bonne. La musique, c’est purifier les choses autour de moi. Elle me permet de transmettre des messages d’amour et de paix à mon prochain. C’est une passerelle qui sert à amener les gens à s’aimer, à avoir de la joie de vivre, et à apprécier la vie qui est un cadeau.