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Qui du chasseur de fantômes ou du mari vengeur a mis le feu à Sainte-Croix?
Aujourd’hui, de nouveaux magasins sont venus s’installer à la rue de la Charmille, mais il reste quelques traces de l’incendie de 2016 à l’intérieur.

Qui du chasseur de fantômes ou du mari vengeur a mis le feu à Sainte-Croix?

12 mars 2021

Deux auteurs différents ont été dénoncés pour un sinistre survenu en 2016 sur le Balcon du Jura. Après instruction de l’affaire, la Cour a tranché: un père de famille écope de 24 mois de prison avec sursis pour tentative d’incendie intentionnel.

On se trouve le 27 septembre 2016: Sainte-Croix est réveillée par les sirènes hurlantes des pompiers et des policiers, appelés pour un feu dans une arrière-boutique. Après avoir évacué le site et rapidement maîtrisé la situation, les spécialistes ont enquêté pour comprendre pourquoi un magasin de seconde main se retrouvait en proie aux flammes en pleine nuit. Verdict des experts: il ne peut s’agir que d’un incendie intentionnel. Ce qui coïncide avec le récit du lanceur d’alerte (lire encadré) qui assure avoir vu un homme, que l’on nommera Luc*, quitter les lieux à bord de sa Ford quelques minutes avant de réaliser qu’il y avait le feu dans le bâtiment. L’enquête avance donc dans cette direction jusqu’au mois d’août dernier où… coup de théâtre: un nouveau témoin s’annonce et donne une tout autre version des faits. Le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois a donc dû démêler le vrai du faux, mardi.

La première hypothèse, soutenue par le Ministère public: Luc, marié et père de deux enfants, a été bouleversé en apprenant le licenciement de sa femme. Le lendemain, il serait venu avec des amis chercher à manger dans le restaurant juste à côté du magasin où travaillait sa moitié. En attendant sa commande à l’emporter, il aurait disparu quelques instants, selon ses proches. Puis, alors qu’il dégustait ses plats chez l’un d’eux, il serait parti mettre le feu à la boutique avant de retourner auprès de ses amis, des bières à la main. En effet, ceux-ci ont constaté une nouvelle fois une absence durant environ une heure.

Deuxième hypothèse: Stéphane*, qui donnait régulièrement des coups de main pour faire tourner la boutique avec sa femme, aurait lancé un cocktail Molotov dans le local. Pourquoi? Parce que lui et Leïla*, une des responsables de l’échoppe, ont eu des différends. D’ailleurs, ils se sont même retrouvés devant la Justice en raison de fausses accusations proférées par cette dernière.

Stéphane a également été vu sur les lieux mais après l’arrivée des pompiers. Dès qu’il a entendu les pimpons, il a eu «comme une vision», c’est pour cela qu’il a immédiatement localisé l’incendie. «Le flash qu’il a eu ne découle pas de ses hypothétiques compétences de chasseur de fantômes. Il semble évident qu’il est fasciné par le feu, il est même venu sur les lieux avec un t-shirt des pompiers», souligne Me Valentin Marmillod.

Néanmoins, les deux hommes dénoncés ont nié en bloc les accusations, malgré les questions pertinentes de la Cour. «Vous savez que vous êtes devant un tribunal correctionnel et que la peine minimale pour incendie intentionnel est de trois ans? Donc si vous avez quelque chose à avouer, c’est maintenant.» Mais non, tous les deux ont campé sur leurs positions.

Face à ces deux versions, il ne restait plus qu’au Parquet et à la défense de sortir leurs plus belles plaidoiries, profitant de l’occasion pour jouer avec quelques expressions. «Il faut trois conditions cumulatives pour le triangle du feu: un combustible, un comburant (comme le dioxygène) et une source de chaleur. à ce triangle du feu, je tire un parallèle avec le triangle criminel. Il fallait un mobile, qui est la vengeance dans ce cas, un comburant, qui se trouve être l’emploi du temps de Luc qui est parfaitement compatible et confirmé par plusieurs témoins, et une source de chaleur externe. Comme il est fumeur, il avait certainement un briquet ou une allumette sur lui, assure le premier procureur Christian Maire. La défense tente de dresser un écran de fumée pour décrédibiliser des témoignages. Mais tenons-nous en aux faits. Et ils sont précis, l’enquête a été minutieuse.» Il précise encore que Luc a menacé sur Facebook l’ancienne patronne de son épouse en disant «tu as eu ma peau, ne t’inquiète pas j’aurai la tienne». Convaincu des éléments du dossier, le Parquet a donc requis une peine privative de liberté de trois ans, dont un ferme, pour incendie intentionnel qualifié.

Quant à la défense, elle a pris une position diamétralement opposée puisqu’elle a demandé l’acquittement. Ses arguments: relever les incohérences afin que le doute profite à son client. Parmi les éléments clés, Me Valentin Marmillod a souligné l’inaccessibilité du local pour son client, au contraire de Stéphane qui avait les clés du magasin. Certains disent que la porte était bloquée par du matériel et fermée, d’autres qu’elle était ouverte. De plus, tous les témoins considèrent que Luc est incapable de faire un tel acte.

Après une petite pause, les juges ont finalement tranché: le chasseur de fantômes est innocent, le père de famille est coupable. Mais la Cour a considéré que seule une tentative d’incendie intentionnel pouvait être retenue puisque les conséquences ont été, par chance, limitées grâce à une intervention rapide des pompiers. Ce qui permet au tribunal d’éviter d’envoyer Luc en prison en le condamnant à une peine privative de liberté de 24 mois avec un sursis de trois ans.
Pourquoi le témoignage de Leïla n’a-t-il pas convaincu la Cour? «Il est aberrant et saugrenu qu’elle vienne quatre ans après les faits. En plus, elle a un litige avec Stéphane, explique le président. Elle parle d’un cocktail Molotov mais les enquêteurs n’ont trouvé aucune trace de cela sur les lieux.»

En sortant de la salle d’audience, les parties campaient toujours sur leurs positions. Pour le Parquet, le jugement est satisfaisant. Pour la défense, c’est autre chose. «Je suis surpris du peu de considération pour le témoignage accablant de Leïla. Ce n’est pas exclu qu’on dépose une intention d’appel.»

*prénoms d’emprunt

 

Le mauvais dossier transmis à cause d’une faute d’orthographe!

 

D’entrée de cause, la défense a demandé à ce que le casier judiciaire du principal témoin à charge soit mis au dossier. Une requête que Me Valentin Marmillod avait pourtant déjà formulée il y a deux ans. Mardi, devant la Cour, il a tapé encore une fois sur le clou: «Il faut examiner la moralité de ce témoin.»

Pourtant, il a bien reçu un dossier… sauf que ce n’était pas le bon! «L’extrait parle d’un nom avec un h, alors qu’il n’y en a pas dans celui du témoin. Donc cette pièce n’apporte rien», résume-t-il. Avant de compléter: «Il est manifeste que cela découle d’une erreur d’orthographe. Le témoin lui-même signe avec i. Mais il y a aussi un problème d’orthographe, car son père est enregistré avec un h.»

Pourquoi la défense voulait absolument ce casier judiciaire? Parce qu’il jette le doute sur la crédibilité du témoin qui assure avoir vu le prévenu quitter les lieux peu avant que le feu ne prenne. «Le témoin a lui-même reconnu avoir fait de la prison ferme pour voies de fait, violation de domicile, vol, voire même agression, etc. Ce n’est pas une situation à prendre à la légère», poursuit Me Valentin Marmillod. Avant d’envoyer une pique au Parquet. «Je suis assez convaincu que le Ministère public a tout à fait conscience de ce passé judiciaire lourd. Je comprends qu’il n’ait pas d’intérêt à ce que l’on verse ce casier judiciaire parce que son seul témoin à charge perdrait en crédibilité..» Une critique que le premier procureur Christian Maire a bien réceptionnée, avant de répondre avec ferveur: «Ce n’est pas le seul témoin à charge, contrairement à ce qui a été dit. Les soi-disant machinations que la défense avance n’apportent rien et sont déplacées.» Finalement, il ne s’est pas opposé à la requête de la défense, jugeant que cela n’aurait aucune influence. «Ce témoin est plutôt le héros de l’histoire, car c’est lui qui constate la fumée et qui appelle les secours, et peut-être que des blessés ou des morts ont pu être évités grâce à lui.»

Un sentiment confirmé par le Tribunal qui a indiqué lors de la lecture du jugement que «son casier n’entache pas sa crédibilité. Il n’a pas été condamné pour faux témoignage ou pour avoir menti dans d’autres procédures. Son casier ne remet en tout cas pas en question ce qu’il a pu voir. Il n’y a pas non plus d’élément médical qui indiquerait que sa vision est entachée. Son témoignage est un élément de preuve significatif». Considérant ses déclarations «précises et constantes», malgré le fait qu’il ait été mis sous pression par les autorités puisqu’une enquête pour faux témoignage a été menée contre lui.

Christelle Maillard