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La recette pour attirer les gourmands dans les villages

16 octobre 2017
Edition N°2102

Nord vaudois – Ouvrir un restaurant loin des villes et des grands axes routiers n’est pas chose facile. Comment relever ce défi ? Enquête au cœur des cuisines de la région.

Yves Mignot a repris l’Ecusson vaudois, à Bretonnières, il y a à peine un mois. Et demain, il lancera une nouvelle offre : un traiteur de cuisine du terroir. ©Carole Alkabes

Yves Mignot a repris l’Ecusson vaudois, à Bretonnières, il y a à peine un mois. Et demain, il lancera une nouvelle offre : un traiteur de cuisine du terroir.

Ballaigues, Vugelles-La Mothe, Agiez, Bretonnières, Essert- Pittet, Ependes : plusieurs villages de la région ont vu leur restaurant changer de mains. Parfois à cause d’un départ à la retraite, parfois par manque de motivation ou encore par nécessité, n’arrivant plus à joindre les deux bouts. Face à un taux de rotation de près de 25% dans le canton de Vaud, selon Gastro Vaud, pourquoi se lancer dans une telle aventure et, surtout, comment attirer les clients loin des villes pour manger une assiette ? Nous sommes allés à la rencontre de nouveaux tenanciers nord-vaudois qui ont décidé de quitter les quartiers urbains pour s’installer en campagne.

Nous verrons quelle stratégie, outre les efforts de communication, ils ont mise en place pour réussir. Trois experts dévoileront leur conseils pour mener la barque (lire ci-dessous).

 

Bonjour, bienvenue

 

Pour relancer Le Normand, à Agiez, Tanguy et Mariana Heiz ont lâché leur vie de citadins genevois. Et ils s’intègrent «jusqu’au bout des ongles» dans la région. ©Carole Alkabes

Pour relancer Le Normand, à Agiez, Tanguy et Mariana Heiz ont lâché leur vie de citadins genevois. Et ils s’intègrent «jusqu’au bout des ongles» dans la région.

Yves Mignot a repris l’Ecusson vaudois, à Bretonnières, fin septembre. Et dès mardi, il lancera une nouvelle offre : un traiteur. Bien loin de la cuisine de son prédécesseur, inscrit au Gault & Millau, le chef propose des «produits du terroir qu’on ne retrouve presque pas ailleurs, comme la langue de boeuf, les tripes, le papet vaudois, le boutefas, etc.»

Qu’est-ce qui a poussé cet ancien apprenti du Beau-Rivage Palace, à Lausanne, à venir s’installer à la campagne, après avoir tenu un restaurant à Saint-Sulpice durant plus de trente ans ? «La clientèle a changé sur la région lémanique, elle est devenue très exigeante, avoue ce bon vivant qui apprécie le franc-parler des Nord-Vaudois. Et du point de vue du management, cela devenait difficile, car j’étais seul pour gérer une quinzaine de collaborateurs.»

Pour lui, ce n’est pas le fait d’être proche d’une ville qui incite les gens à s’asseoir à sa table, mais l’attitude du patron. «Ce n’est pas difficile de fidéliser les clients si la cuisine est bonne et que le chef, ainsi que le personnel, sont accueillants, qu’ils disent bonjour et au revoir, et qu’ils prennent le temps de discuter avec eux, à la fin du repas.»

 

Trouver son coup de cœur

 

Pourtant, au début, Yves Mignot ne cherchait pas à reprendre cette auberge : «Je ne voulais même pas la visiter, parce qu’il y avait cette image du Gault & Millau et cela prend du temps pour que la clientèle s’adapte à un nouveau concept. Mais j’y suis quand même allé, à défaut de trouver quelque chose dans le Gros-de-Vaud (ndlr : il a visité une trentaine de lieux). Et heureusement, car j’ai eu un coup de cœur.» Il a également pu compter sur la Municipalité, propriétaire du bâtiment, qui a entrepris, à la demande du restaurateur, des travaux de rénovation en un temps record.

Idem pour Mariana et Tanguy Heiz. Ce jeune couple genevois a repris, en juillet dernier, Le Normand, à Agiez. «A la base, nous cherchions plutôt un endroit à la vallée de Joux, mais nous avons eu un coup de cœur pour ce lieu. Et malgré toutes les choses à refaire, nous avons vu qu’il y avait un véritable potentiel», raconte celle qui est spécialiste en communication. «Et comme je suis Normand à la base, on s’est dit que c’était un signe», renchérit son époux.

 

Une étude du marché

 

«Avant de signer, nous avons réalisé une grande étude de marché (ndlr : ils ont testé la plupart des restaurants aux alentours), parce qu’il faut pouvoir amener les bons produits aux bons endroits», poursuit Mariana Heiz. Pour se différencier, les deux amoureux de gastronomie ont donc apporté dans la région le concept de la bistronomie, qui est très tendance en ville actuellement. «On aime les goûts tranchés, une cuisine simple et une présentation soignée», résume la Genevoise.

Autre astuce de ces citadins branchés : une carte spécialement étudiée pour reconnaître les mets qui sont sans gluten, sans lactose, végétariens ou véganes. «On ne cherche pas à élaborer des plat particuliers, mais juste à faire prendre conscience aux gens qu’il y a des classiques, comme le tartare, qui sont sans gluten et sans lactose.»

Troisième élément qui permet au Normand de se distinguer des autres établissements du coin : les horaires, puisqu’il ouvre le dimanche et le lundi à midi.

 

Miser sur la proximité

 

Si leur cuisine est très différente, les Heiz et Yves Mignot partagent le même amour pour les produits du terroir. Chacun s’efforce de travailler avec les acteurs locaux, -vignerons, bouchers, boulangers, pêcheurs, etc.- pour concocter une carte de saison.

Mais, à Agiez, cette philosophie va encore plus loin : «Dès le début, nous avons voulu nouer de bonnes relations avec les artisans de la région, explique Mariana Heiz. Par exemple, je devais faire de la menuiserie, alors j’ai contacté une personne d’Agiez. Pour moi, un restaurant de village fédère les gens, mais pour qu’il retrouve son statut de lieu social, il faut que tout le monde joue le jeu.»

En l’occurrence, Le Normand et l’Ecusson vaudois ont réussi leur pari. Le premier affiche complet au moins un soir par semaine, selon ses tenanciers. Même chose pour l’auberge de Bretonnières qui, après à peine un mois d’exploitation, est «presque rentable», selon le chef cuisinier.

 

Peut-on reprendre n’importe quel établissement ?

 

Si le coup de cœur est essentiel pour donner le courage de se lancer dans l’ouverture d’un restaurant de village, cela ne devrait pas être le seul élément à prendre en compte. «On va avant tout dans un restaurant pour manger, donc si l’endroit est mal réputé pour sa cuisine, il sera difficile pour un nouveau tenancier de relancer l’affaire», estime Gilles Meystre, président de l’association Gastro Vaud.

Une des autres grandes questions à se poser avant d’ouvrir un nouvel établissement, c’est le style de cuisine que l’on souhaite apporter. Et, une fois encore, pour se déterminer, il faut également regarder l’histoire du lieu : «Il n’y a pas vraiment de recette magique, parfois il faut suivre les pas de son prédécesseur, parfois il vaut mieux changer du tout au tout, explique Gilles Meystre, avant de se lancer dans un récit : Je connaissais un restaurateur qui était un sacré personnage, à tel point qu’il était un petit peu le 8e municipal du village, et son établissement un phare dans la nuit. Passer après quelqu’un comme ça, c’est très difficile.»

En revanche, si l’endroit fonctionnait, le successeur aura tout intérêt à surfer sur une vague positive, quitte à établir une transition en douceur, où l’ancien patron explique son fonctionnement et ses astuces au nouveau venu.

 

Les communes détiennent quelques clés du succès

 

Selon Gilles Meystre, président de l’association Gastro Vaud (en médaillon), pour qu’un établissement prospère hors des agglomérations, il faut l’aide de tout le monde. Les premières clés du succès sont apportées par les communes, car ce sont elles qui sont généralement propriétaires des restaurants, auberges et cafés de village. Et s’il pouvait s’adresser aux municipalités, voici ce qui leur conseillerait :

«Tout d’abord, soyez clémentes en matière de bail, car c’est souvent ce poste de dépenses qui plombe la rentabilité d’un établissement. Ensuite, pensez autrement. Avant d’entreprendre des travaux de rafraîchissement ou de rénovation, attendez de trouver un exploitant pour discuter, avec lui, des travaux. Quant aux heures d’ouverture, laissez une marge de manœuvre aux restaurateurs. Les communes sont de plus en plus des cités dortoirs et il est difficile pour un établissement de village de faire son chiffre d’affaire entre 8h et 19h. Finalement, jouez le jeu. Si vous avez un apéro à organiser, ne mandatez pas un traiteur externe, préférez le restaurateur du coin. Cela nouera de bons liens. Il faut que cela soit un vrai partenariat, dans un sens comme dans l’autre.»

 

L’amour, ingrédient magique de La Table de Mary

 

Pour réussir à Vugelles-La Mothe, Maryline Nozahic avait misé sur l’originalité. ©Carole Alkabes

Pour réussir à Vugelles-La Mothe, Maryline Nozahic avait misé sur l’originalité.

Maryline Nozahic a des étoiles plein les yeux et même une sur sa veste, depuis lundi dernier, puisque la cheffe de La Table de Mary, à Cheseaux-Noréaz, a décroché un macaron Michelin. Une belle récompense pour une cuisinière qui a débuté à Vugelles-La Mothe, avec une carte riche en poissons du lac. «Quand on a commencé, on nous a dit qu’on ferait faillite si on ne proposait pas de fondue, se rappelle-telle. Mais cela fut tout le contraire. A mon avis, pour donner envie aux gens de se déplacer jusqu’à Vugelles, il ne faut pas proposer un plat qu’ils peuvent cuisiner chez eux.» Un conseil qui vaut aussi pour la décoration, puisqu’elle allouait un budget conséquent à l’achat de fleurs. «Si on arrive à s’en sortir là-bas, on peut réussir partout, lance, avec humour, la cheffe étoilée. Mais il faut travailler avec le coeur et ne pas compter ses heures.»