Sale temps pour la betterave
16 octobre 2024 | Textes: Maude Benoit | Photos: Michel DuperrexEdition N°3810
Depuis fin septembre, les agriculteurs acheminent leurs remorques de betteraves à Chavornay pour que leur production soit ensuite transportée jusqu’à la fabrique de sucre d’Aarberg, dans le canton de Berne. Une récolte dont la logistique compliquée n’est pas facilitée par les intempéries.
Hier, il pleuvait à grosses gouttes sur les remorques qui acheminaient leur chargement de betteraves jusqu’à la rampe fixe de chargement de Chavornay. Depuis un mois, et jusqu’à Noël environ, c’est un ballet qui se répétera pratiquement tous les jours, en suivant un ordre précis: levé aux aurores (ou voire même, travail de nuit), acheminement des betteraves à Chavornay, remplissage des wagons et départ pour Aarberg, là où se situe l’une des fabriques de sucre suisses (l’autre se situe à Frauenfeld). Dans ce procédé, chaque minute compte, car la météo dicte les travaux des champs.
De la récolte au wagon
La récolte de la betterave se fait sur une période donnée. Cette année, elle a commencé le 26 septembre et se terminera avant Noël (si tout va bien). Dans un premier temps, les betteraves récoltées sont disposées en bordure de champ où elles sont stockées temporairement et recouvertes d’une protection pour supporter le gel et la pluie, avant la phase de chargement.
Si toutes les étapes sont délicates, la phase de chargement est certainement l’une des plus stressantes. Patrick Pfister, lui-même agriculteur et directeur de Transbett, l’entreprise de logistique et de chargement de betteraves basée à Chavornay, doit établir une planification du transport au début de la saison, en accord avec la fabrique d’Aarberg. Durant la période de récolte, entre 8 000 et 10 000 tonnes de betteraves doivent être acheminées par jour à la fabrique. Celle-ci ne peut traiter que cette quantité quotidienne. Patrick Pfister doit donc établir une planification, transmise à tous les producteurs de betteraves, qu’ils viennent de Chavornay, d’Yverdon-les-Bains, de la Poissine, d’Yvonand, d’Eclépens, de Cossonay, de Nyon, de Genève ou encore de Saint-Triphon, avec la date à laquelle ils doivent livrer leur production.
Un véritable casse-tête qui ne prend pas en compte la météo. Si cette dernière se révèle capricieuse, toute la planification est chamboulée. Une pression importante pour le directeur.
Actuellement, la pluie abondante gorge les sols d’eau, ce qui complique la récolte, les récolteuses risquant d’abîmer les sols. Les agriculteurs doivent alors s’arranger pour récolter leurs betteraves en amont, à temps pour assurer le chargement par les souris (machines qui les collectent). Les contraintes météorologiques ne laissent souvent qu’une fenêtre de tir très restreinte pour les travaux des champs, ce qui oblige parfois les agriculteurs à travailler de nuit et durant les week-ends.
Il suffit encore que la rampe de chargement soit en panne (comme c’était le cas hier matin), et c’est tout un acheminement qui est retardé. En marche, la rampe fixe de chargement de Chavornay, la plus grande de Suisse, permet de remplir les 40 wagons de livraison quotidiens pouvant contenir chacun environ 50 tonnes de betteraves en un temps record.
Un rendement en perte de vitesse
Les récoltes des betteraves sucrières suisses sont en péril. Cette année, environ 200 000 tonnes de betteraves seront chargées par Transbett. Par comparaison, 250 000 tonnes sont acheminées lors des meilleures récoltes. Ainsi, ce n’est pas tant le nombre de tonnes de betteraves qui inquiète les producteurs, mais plutôt la teneur en sucre de ces betteraves. En effet, la semaine passée, les 60 000 tonnes de betteraves livrées à Aarberg contenaient 14,5% de sucre. Ainsi, pour 100 kilos de betteraves, on obtient à peu près 14,5 kilos de sucre. À noter que si les betteraves ne contiennent pas au moins 16% de sucre, le producteur est pénalisé. «Il y a plusieurs années, on pouvait avoir jusqu’à 20% de teneur en sucre dans les betteraves et on pouvait même avoir des bonus. Aujourd’hui ce temps est révolu», explique Patrick Pfister.
Comment expliquer cette chute? D’une part, avec le dérèglement climatique et les périodes d’intense sécheresse ou d’intense pluie des dernières années, il est de plus en plus difficile de maintenir une production saine et suffisante.
D’autre part, la betterave est malade et cela se voit à l’œil nu. En effet, à la fin de l’été, il n’est pas rare de voir les champs de betteraves prendre une teinte jaune. Pour survivre au virus qui l’attaque, la plante puise dans ses réserves de sucre, ce qui en diminue le taux au moment de la récolte et qui empêche la photosynthèse.
Les insecticides à base de néonicotinoïdes qui protégeaient la plante contre cette maladie ayant été interdits, il est devenu quasiment impossible de la combattre. Ainsi, la culture de betteraves connaît une chute de la production de sucre sans précédent.
Pour continuer à produire suffisamment de sucre, la fabrique d’Aarberg est contrainte d’importer des betteraves qu’elle transformera ensuite en sucre. Cette importation risque d’augmenter si la situation ne s’améliore pas.
Garder espoir
À la question, «comment voyez-vous l’avenir de la betterave en Suisse», Patrick Pfister reste optimiste. «Je fais confiance aux centres betteraviers et aux sucreries pour trouver une solution. La betterave, c’est une énorme production constituée d’une importante main-d’œuvre. Si elle s’effondre, c’est toute une chaîne qui sera brisée. On doit y croire», conclut-il. Il ajoute également: «La récolte de la betterave est un travail solidaire, les agriculteurs s’entraident pour pouvoir tout livrer à temps, c’est précieux.»