Sauvée de la démolition
9 janvier 2025 | Textes: Jérôme Christen | Photo: Michel DuperrexEdition N°3866
Une villa de style«Heimatstil»de la rue de la Tournelle à Orbe était promise à la démolition. À la suite de l’intervention de la section vaudoise de Patrimoine Suisse, sa note a été revue à la hausse et elle sera préservée. Son environnement historique bâti a été déterminant.
Claude Schulz, à la tête d’une entreprise urbigène spécialisée dans la valorisation de propriétés, promettant-acquéreur, partait du principe, avec l’appui de la Commune d’Orbe, qu’il pourrait démolir cette maison pour y construire un nouvel immeuble. C’était compter sans Patrimoine Suisse, qui intervient lors des mises à l’enquête publiques dans l’objectif de sauvegarder le patrimoine historique architectural.
Le veto du Canton
«Dans le cadre de la procédure, c’est finalement la Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP) de l’Etat de Vaud qui a mis son veto à ce projet», explique Jonathan Remund. Le chef du Service constructions, patrimoine et urbanisme de la Commune d’Orbe ajoute que «ce bâtiment ne bénéficiait d’aucune note. Il était passé entre les gouttes du recensement architectural de 2011.» Après une mise à l’enquête en mai 2023 passée sans encombre, la Municipalité avait même délivré un permis de démolition-reconstruction en novembre de la même année avant que la DGIP n’y fasse barrage.
Le bureau d’architecture Imotec à Montagny-sur-Yverdon a alors complètement revu sa copie et développé un projet qui préserve le bâtiment désormais classé en note 3. L’édifice actuel qui comprend quatre niveaux (deux étages sur rez et sous-sol) sera rénové et comprendra quatre logements complétés par huit appartements dans un bâtiment voisin dont l’implantation est facilitée par la démoliton de l’annexe de la même époque.
Densification qualitative
Ce compromis est issu d’un accompagnement de la DGIP pour trouver une solution gagnant-gagnant. «Avec l’adoption de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire en 2014 qui prévoit une densification en milieu urbain, nous devons avoir un autre regard sur le patrimoine bâti», justifie le conservateur cantonal Alberto Corbella, qui ajoute que «ce patrimoine permet à une société de s’identifier. L’esthétique est importante, car la beauté et le calme font du bien. Le défi était de trouver un consensus entre les intérêts économiques du propriétaire et du promoteur et ceux du patrimoine et de la qualité de vie, ce que nous avons réussi. Nous ne sommes pas contre le profit mais contre le profit maximaliste.» Au terme de la mise à l’enquête, une seule opposition du voisinage a été déposée et devrait trouver une issue favorable.
Rencensement lacunaire
Une démolition-reconstruction contestée alors que tous les voyants sont au vert, est-ce courant ? «Le cas de figure n’est de loin pas exceptionnel», estime Guy Vorlet, répondant de Patrimoine Suisse pour la région du Nord vaudois, tant le recensement architectural présente, à ses yeux, «de grosses lacunes». Cet architecte, qui œuvre pour le bureau Dolci à Yverdon et comme indépendant, relève que, dans ses fonctions bénévoles pour cette association de défense du patrimoine bâti et paysager, il examine chaque mois dix à quinze dossiers de mise à l’enquête qui conduisent à des oppositions dans 25 à 35% des cas. «Il y a certes une meilleure prise en compte des critères écologiques et du patrimoine architectural depuis quelques années, mais il y encore beaucoup de chemin à faire. L’Etat de Vaud manque cruellement de ressources humaines dans ce secteur et rares sont les communes qui font tous les efforts souhaitables » , regrette-t-il.
Cœur de la cité ouvrière urbigène
Bien préservée, la villa offre une architecture régionaliste ou «Heimatstil» caractéristique des réalisations de cette époque. Le soubassement rustique en pierre de taille, la variété dans la forme des baies, la toiture dotée de petits décrochements, le large avant-toit reposant sur des consoles de bois, la présence d’éléments saillants tels que les balcons conférent aux façades une touche pittoresque rappelant l’architecture vernaculaire. Le bâtiment conserve, outre sa volumétrie, une grande partie de ses dispositions d’origine.
Sa construction s’inscrit dans le contexte du fort développement industriel, urbanistique et démographique que connaît Orbe autour de 1900. A cette époque, de nombreuses villas sont établies en périphérie et divers bâtiments industriels sont implantés le long de la rive gauche de l’Orbe (moulins Rod, fabrique de chocolats Peter dès 1899). Cela aboutit à la création d’une véritable petite cité ouvrière, au pied de la colline, composée de huit immeubles et de onze villas. D’un bourg au caractère mi-urbain mi-agricole, entouré de vignes, Orbe devient une agglomération industrielle importante.
Ainsi, la propriété de la famille Cerf fait partie du «Quartier neuf», implanté à l’est du bourg ancien, lequel présente un intérêt urbanistique indéniable. A ce titre, il figure dans l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS) avec un objectif de sauvegarde maximal (A).