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«Si les épiceries ferment, les clients ont une part de responsabilité»
Martial Barrière, devant son ancien local, en train d’être démoli. © Michel Duperrex

«Si les épiceries ferment, les clients ont une part de responsabilité»

9 novembre 2023

Sainte-Croix - Martial Barrière, qui a repris l’épicerie de ses parents il y a 20 ans, a choisi de fermer son commerce, faute de clients. L’entrepreneur, désormais à la retraite, dis le fond de sa pensée avec sa franchise caractéristique.

Se balader à Sainte-Croix avec Martial Barrière, c’est plonger dans l’histoire commerciale de la ville. Et celle-ci n’est pas sur une pente ascendante, du moins pour les petits entrepreneurs. À chaque coin de rue, l’homme qui fêtera ses 63 ans en début d’année prochaine pointe du doigt un local, parfois vide, et nomme les nombreux commerces qui s’y sont succédés, avant de faire faillite. Puis arrive la Place du Marché 10, l’adresse qui abritait il y a quelques jours encore son épicerie. Martial Barrière a lui aussi choisi de fermer son commerce. Il y a deux ans, l’épicerie abandonnait déjà son enseigne de la rue Neuve, faute de clients pour le commerce de détail. Pour continuer l’activité il a fallu se diversifier et servir au mieux les restaurateurs, chalets d’alpage, centre de soins avec des produits de 4e gamme, tout prêts à cuisiner.

«Le problème de l’épicerie, c’est que les clients de mes parents n’ont pas été remplacés par des clients plus jeunes. Petit à petit, il y avait moins de monde à l’épicerie. Et à la fin, il n’y avait presque plus personne… C’est pour ça qu’on a décidé de quitter le local de la rue Neuve. Payer une employée pour tenir le magasin n’avait plus de sens.»

Une fatalité

Et ce constat, Martial Barrière ne se l’applique pas qu’à lui-même. «Je pense que c’est une fatalité, oui. Les petites épiceries ne tournent plus, on le voit partout d’ailleurs, pas qu’à Sainte-Croix. Les grandes surfaces prennent toute la clientèle. Durant le Covid, pendant des mois nous avons livré des clients alors que le confinement limitait les déplacements. Mais dès que tout a rouvert, une partie de ces clients ont repris leurs habitudes et on ne les a jamais revus…»

De nombreux arguments existent pour expliquer ce report de la clientèle des petites épiceries aux grandes surfaces. Prix parfois plus bas, plus grande diversité d’articles… Mais le Sainte-Crix les réfute, précisant d’ailleurs qu’il était souvent moins cher que Coop et Migros, puisqu’il se fournissait directement chez les producteurs. «Je pense que si les épiceries ferment, les clients ont évidemment une part de responsabilité. Si vous avez le temps d’aller à la Coop ou à la Migros, vous avez le temps d’aller chez le primeur, puis chez le boucher, lance le néo-retraité. Je prends un exemple: le CPNV. On a des centaines de jeunes qui mangent à midi ici. Nombreux sont ceux qui vont s’acheter un sandwich à la Coop plutôt que d’aller dans une des boulangeries de la ville! On promeut l’écologie, mais on se rue sur les grandes surfaces et on ne soutient pas les commerces indépendants, qui proposent des produits locaux. On va à contresens.»

Pour l’entrepreneur, il est désormais trop difficile pour des petites épiceries de régater contre les grandes surfaces. «Ces enseignes veulent tout vendre à tout le monde. Regardez les publicités, regardez les millions dépensés. C’est clair qu’on ne peut pas rivaliser. Et quand, dans une commune d’environ 4000 habitants, vous avez trois grandes surfaces… vous voulez faire quoi? Ajoutez à cela la concurrence des enseignes françaises et vous avez la fin annoncée des petits commerces.»

Déçu pour ses clients

Pour Martial Barrière, la fin de carrière est triste. Le Sainte-Crix quitte-t-il la vie active en colère? «Plus que fâché, je suis déçu. Déçu pour mes clients restés fidèles qui n’auront plus le même service qu’auparavant, indique le commerçant. Vous savez, sur le long terme, ces clients deviennent des amis. Ça me fait de la peine de savoir qu’ils devront faire leurs courses dans un supermarché, ou pour les restaurateurs, faire appel à des grossistes qui ne proposent pas forcément les produits de la région. Mais c’est un phénomène de société: vous rentrez dans une grande surface et vous avez tout. Enfin… Tout, sauf le contact humain. Mais la plupart des gens n’en ont visiblement plus besoin. Personnellement, je vis mal cette situation. Je suis content d’avoir terminé ma carrière. J’ai 63 ans bientôt, j’ai travaillé durant 47 ans. C’est le bon moment de prendre ma retraite. Je n’ai pas de regrets. J’ai fait ce que je pouvais faire.»

Massimo Greco