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«En Suisse, on ne veut pas de moi»
©Carole Alkabes

«En Suisse, on ne veut pas de moi»

21 décembre 2017 | Edition N°2150

Football – International – Actuel sélectionneur de la Centreafrique et multipliant les réussites en Afrique depuis quinze ans, Raoul Savoy aimerait être davantage pris au sérieux dans son pays, où il n’attend qu’un banc pour prouver ses qualités de meneur d’hommes.

La plupart du temps, Raoul Savoy dirige l’équipe nationale de Centreafrique directement depuis son village de Sainte-Croix. ©Carole Alkabes

La plupart du temps, Raoul Savoy dirige l’équipe nationale de Centreafrique directement depuis son village de Sainte-Croix.

Lorsqu’il veut obtenir sa carte d’entraîneur en Suisse pour pouvoir entrer au stade gratuitement et rejoindre le bord de la pelouse sans trop être embêté, comme n’importe lequel de ses collègues, Raoul Savoy a plutôt intérêt à prendre son mal en patience : «C’est souvent un combat. Je finis toujours par l’obtenir, mais on me fait bien comprendre que c’est à titre exceptionnel.» Où la situation devient cocasse, c’est que l’homme n’est pas vraiment le dernier venu. Entraîneur sur le continent africain depuis 2002, le Sainte-Crix est actuellement le seul sélectionneur national helvétique en activité -celui de la Centreafrique-, depuis le départ de Marcel Koller du banc de l’Autriche. Sauf que celui qui a débuté sa carrière de coach au Tonnerre de Yaoundé n’a pas vraiment suivi le cursus de diplômes habituel pour un technicien suisse. Une anecdote avec laquelle le Nord-Vaudois ne se formalise pas, mais qui en dit long sur le manque de reconnaissance dont il souffre dans sa patrie.

Lorsqu’il est contacté par un club du championnat suisse, Raoul Savoy a pourtant plus d’un atout à faire valoir. Outre un CV long comme le bras, il a prouvé être capable de relever à peu près tous les défis qui se sont offerts à lui. En Afrique, il a été surnommé «le sauveur», après avoir évité à plus d’un club une relégation qui leur semblait promise. Avec toutes les conséquences politiques qu’auraient pu représenter ces culbutes.

 

Toujours s’adapter

 

«A ce niveau, le football africain n’a rien à voir avec celui pratiqué en Europe. Les gens vivent pour ce sport. Lorsqu’on a obtenu notre maintien avec le MC Oran (ndlr : un club algérien, en 2012), 800 policiers avaient été mandatés. C’était l’avant-dernier match, qu’on disputait à l’extérieur. Lors du trajet, on a croisé des centaines de flics qui faisaient le chemin inverse. En fait, ils se rendaient à Oran, dans notre propre ville, pour éviter les débordements qu’aurait engendré une défaite. Si on perdait, on était morts !»

Autant dire que la pression, l’homme a appris à la gérer. «J’adore ça, c’est mon moteur.» Un courage nécessaire pour mener à bien les barques qu’il dirige depuis seize ans. Si le climat s’est un peu adouci en République centreafricaine depuis son retour, au début de l’année, sa première expérience (2014-15) n’avait pas tout à fait été du même ressort. «Le pays était en pleine guerre civile. C’était impossible de jouer un match. Les conflits continuent aujourd’hui, mais la capitale, Bangui, est épargnée. C’est ici, d’ailleurs, qu’on reçoit toutes nos rencontres.»

 

La Suisse, maintenant

 

Reste que, de ces expériences mouvementées, Raoul Savoy en a tiré plus d’une leçon lorsqu’il s’agit de diriger un groupe. «J’ai dû apprendre l’arabe, ainsi que très bien m’informer sur l’Islam. Il a fallu que je m’adapte. Là-bas, c’est impossible d’axer son discours uniquement sur le foot. Il faut faire le lien avec le Coran quand c’est approprié, la situation actuelle du pays, etc… Un mot de travers et tout est fini, vous perdez l’autorité sur vos joueurs définitivement.»

Ce qu’il a appris en Afrique, le Sainte-Crix a toujours rêvé de pouvoir le transposer en Suisse. Il l’a fait, d’ailleurs. D’abord en tant qu’adjoint à Neuchâtel Xamax (2011-12) où il s’était fréquemment opposé à Bulat Chagaev. Malgré la situation plus que délicate, le club avait terminé le premier tour au 5e rang. «Tous les joueurs avaient ainsi pu immédiatement retrouver un contrat lorsque le club a coulé.» Puis comme entraîneur principal des M21 à Sion, deux ans plus tard. Sous les ordres de Christian Constantin, le Nord-Vaudois avait alors réalisé une saison admirable.

Oui mais voilà. A 44 ans, Raoul Savoy commence à ronger son frein. «Je n’ai jamais eu peur d’aller en Afrique, malgré tout ce qu’il peut s’y passer. Dans les journaux, combien de fois ai-je vu des articles mensongers, avec des citations de ma part inventées de toute part ? Peu importe, franchement. Sauf que j’ai de plus en plus le sentiment de mettre ma famille en danger. Mes filles et ma femme sont bien installées ici et les multiples voyages vont commencer à peser. Si j’avais 30 ans, j’irais n’importe où. Mais ce n’est plus le cas.»

Le technicien n’hésite donc pas à le dire : «S’il faut que je quitte mon poste de sélectionneur de la Centreafrique pour entraîner en Suisse, à bon niveau, je suis prêt à le faire ! Même en Promotion League. L’idéal serait de pouvoir conjuguer les deux, étant donné que la majeure partie de mon travail pour l’équipe nationale se fait à distance. Je supervise, je dois tout connaître de mes joueurs et des potentiels internationaux, mais je me déplace peu. Faute de moyens, bien sûr, puisque la question n’est pas uniquement de me faire venir, mais de convoquer toute l’équipe, en plus de lui prévoir un véritable stage de préparation, histoire que cela ait un sens. Bref, je serais capable d’assumer les deux casquettes. Mais s’il faut effectuer des sacrifices, je suis prêt à les faire.»

Clair, franc et sans détour. Reste à voir si le message de Raoul Savoy sera entendu.

 

La France comme réservoir principal

 

Un joueur en Ligue 1 (Dylan Mboumbouni, Lyon), deux en Ligue 2 et une bonne dizaine en National : la moitié du contingent de Raoul Savoy évolue dans le championnat de France. «Cela va de pair avec le fait que beaucoup sont nés dans l’Hexagone. D’ailleurs, ça pose souvent le même problème : un joueur né en France et qui ne connaît que peu son pays d’origine risque d’avoir peur d’y mettre les pieds, au vu de la situation actuelle de la Centreafrique.»

Autre souci, parvenir à donner à ses double nationaux l’envie de porter le maillot de la RCA, lorsque les Bleus leur font les yeux doux. «Beaucoup se sont brûlés les ailes comme ça. On leur promet monts et merveilles avec l’équipe de France, ils entrent en jeu une seule minute et leur carrière internationale s’arrête là, parce qu’ils deviennent indésirables en France et qu’ils ne peuvent plus opter pour l’autre deuxième nation.

 

Coupe d’Afrique des nations

 

Lorsque la Centreafrique parvient à réunir ses joueurs et son staff, notamment à l’occasion de rencontres officielles, cela ne passe jamais inaperçu. «Environ 15 000 personnes étaient venues nous voir rien que pour un match interne, en semaine, quelques jours avant de recevoir le Rwanda, lâche Raoul Savoy. Et ces spectateurs attendent de voir des joueurs en forme. Pas question qu’ils trottinent ou qu’ils manquent l’entraînement !»

Le dimanche (en juin dernier), ils étaient 60 000 à assister à la victoire de leurs couleurs, lors de la première confrontation de la phase de qualifications en vue de la Coupe d’Afrique des nations 2019. «C’était complètement fou ! Les Rwandais ont égalisé à la 89e… et on a inscrit le 2-1 dans la foulée. Tout le monde est descendu, le terrain a été envahi en un rien de temps. Après la partie, il nous a fallu trois heures pour rejoindre notre hôtel, les supporters étaient amassés autour du bus par milliers.» Pour se qualifier, la République centrafricaine devra sortir parmi les deux meilleurs d’un groupe également composé de la Côte d’Ivoire et de la Guinée.

Florian Vaney