Logo
Tisseur de toiles
. © Michel Duperrex

Tisseur de toiles

10 février 2022

En quelques collages, Mr Garcin est devenu l’un des artistes les plus reconnus du milieu du comic book. Le garçon qui ne savait pas dessiner a même fait la couverture du dernier numéro de Spider-Man. Une histoire digne des personnages qu’il anime.

«On me demande souvent si j’ai réalisé un rêve… Bah non, en fait. Je n’ai jamais ne serait-ce qu’imaginé qu’un jour je pourrais travailler avec Marvel. Je ne sais pas dessiner et je ne sais pas créer des histoires. Donc comment j’aurais pu rêver de travailler avec eux? C’était juste trop gros pour y penser.» Et pourtant, Mr Garcin, qui a appris à lire en suivant les aventures de Spider-Man, est aujourd’hui une sommité dans le milieu du comic book. Un parcours aussi inattendu qu’inspirant.

Il faut dire que le Montpelliérain a longtemps été un fan de super-héros «comme les autres». «Et encore! J’ai lu Spider-Man gamin, mais je suis loin d’être un gros passionné. C’est marrant, quand ça a décollé, je me sentais presque illégitime d’avoir cette chance.»

L’éveil de l’artiste, ces couvertures des Marvel les plus iconiques, on les doit peut-être… au Virgin Mega Store de Montpellier, chaîne de magasins de produits culturels et électroniques. Passionné de jeux vidéo, de cinéma et de musique, Mr Garcin est tout naturellement vendeur dans l’enseigne. «Après quelques années, je me sentais coincé dans mon travail. Je n’avais pas envie de regarder en arrière à 50 ans et avoir des regrets. Un jour, j’ai quitté mon poste et je ne suis jamais revenu.»

L’artiste profite de ses années de chômage pour se lancer… dans la musique. «À la base, je voulais réussir dans ce milieu, pas du tout dans le collage! D’ailleurs, c’est assez ironique que je sois aujourd’hui associé au monde des super-héros parce que dans mes premiers collages, je voulais surtout ne pas les mettre en avant! Je découpais des vieux comics, pour valoriser les détails, comme un policier qui brandit son arme, ou les célèbres onomatopées du genre. C’était surtout le côté graphique qui m’attirait, l’aspérité du papier.»

Et après une année de collages, le Montpelliérain a l’idée qui va changer sa vie: réaliser une mosaïque de l’homme-araignée. «Grâce à Venom, qui est noir, je pouvais faire l’intérieur de l’œil de Spider-Man. Sans lui, peut-être que je n’aurais jamais réalisé cette œuvre!» Les semaines passent et le travail du colleur avance lentement: «Au début, je me disais que j’en avais pour une semaine. Puis une autre, et la troisième semaine, j’avais chaque jour l’impression que j’allais terminer la mosaïque. Au final, ça m’a pris un mois.» Un long travail qui vaut chaque minute que le Montpelliérain y a consacré. «En le voyant, je me suis dit: Là il y a un truc… Je voulais que les gens le voient, alors j’ai proposé au site geekart.fr de le publier. C’était en 2011 et ça a fait un buzz.»

Quatre jours plus tard, la compagnie qui détient les droits de Spidey contacte l’artiste. «Marvel a adoré! Ils voulaient l’utiliser pour des couvertures. J’ai appris à lire avec Spider-Man et je fais la couverture du numéro 700, qui marque la fin de la première aventure de Spider-Man à l’occasion de son 50e anniversaire! Waouh, c’était une grosse charge émotionnelle.» Il devient alors un habitué des couvertures de Marvel, qui fait régulièrement appel à son talent pour des numéros spéciaux. Capturer l’essence de toute l’histoire d’un personnage pour la condenser en un collage: c’est ça le super-pouvoir de Mr Garcin.

 

Le colleur masqué

 

Mr Garcin, c’est déjà une dégaine. Basket, veste en jean aux multiples tacons et, surtout, ce masque de luchador sur la tête, qu’il n’enlève jamais. «Pourquoi je porte ce masque? Oh, c’est pas très important, répond l’artiste avec la simplicité qui le caractérise. Déjà, je suis fan des Daft Punk, et puis, surtout, ça m’amuse. C’est un bon choix d’ailleurs, ça m’a permis de créer un personnage loufoque et drôle.» Et puis ça empêche d’être importuné dans la rue, non? «Non, pas du tout! Je ne le mets pas pour me cacher. D’ailleurs, je le portais déjà au tout début, quand personne ne me connaissait. Je n’ai pas peur de la grande star que je ne suis pas… Je ne le porte pas par subversion non plus. C’est vraiment juste pour m’amuser. À l’école j’étais déjà celui qui faisait rire la classe.»

Et on le croit sur parole. Avec son accent chantant, Mr Garcin a égayé la journée de la quinzaine de journalistes venus découvrir les deux expositions de la Maison d’Ailleurs. «Comme dans Fort Boyard, c’est parti!», s’écrie-t-il au moment de s’élancer au deuxième étage du musée. L’artiste est aussi un moulin à paroles, mais de ceux que l’on regarde tourner sans s’en lasser. Lorsque Marc Atallah le lance sur une de ses œuvres, difficile de l’arrêter.

Avec générosité, il donne tout ce que lui rappelle le collage, enchaînant les détails passionnants. Le plus beau, c’est que cette volonté de s’exprimer, de tout dire, on la retrouve dans les collages du Montpelliérain. Bien plus que des simples mosaïques, les œuvres de Mr Garcin sont pour lui l’occasion de faire découvrir l’histoire des thématiques qu’il aborde. Le premier Super-Man côtoie le dernier en date… et des centaines d’autres. Ce n’est sûrement pas un hasard si ces œuvres, adulées par les passionnés de comic, ressemblent autant à leur créateur.

 

Marc Atallah: «L’artiste parfait pour l’exposition»

 

Directeur de la Maison d’Ailleurs, Marc Atallah connaissait évidemment le travail de Mr Garcin. Mieux, son œuvre collait parfaitement à l’exposition qui a été vernie samedi dernier, Transformations!, et qui vaut la peine d’être visitée. «Dans ses collages, il mélange plusieurs designs différents de super-héros. Son travail illustre bien la capacité de ces personnages à être réinvestis par des artistes différents. C’est à la fois un hommage et la démonstration du statut particulier de ces super-héros. Ces collages sont une sorte de mythologie en acte. Et puis il y a aussi ces mises en abîme, où plusieurs Spider-Man, par exemple, forment un autre Spider-Man. Ce côté méta colle bien à Transformations!.»

Comment Mr Garcin, un artiste largement reconnu, a-t-il réagi à la proposition de l’Yverdonnois d’apparaître à la Maison d’Ailleurs? «Quand je l’ai rencontré, je lui ai expliqué qu’il était l’artiste idéal pour l’exposition, que son travail mettait en valeur le phénomène des multivers qui existe dans le comic. Il a tout de suite accepté, il était très enthousiaste.»

Mais la première venue en Suisse de l’artiste a aussi connu ses défis: «Il a fallu contacter les collectionneurs qui possèdent les originaux pour pouvoir les exposer. Au final, la collaboration avec Mr Garcin a été très facile. C’est quelqu’un de très drôle, avec qui on adore parler. Mais il est en même temps très pro. Il a un parcours exceptionnel, rien ne le prédestinait à ça, et il a gardé ce côté très humble, avec le cœur sur la main.»

Tim Guillemin