La question cantonale de la saturation des EMS refait surface alors que les hôpitaux sont encombrés. Est notamment mise en cause l’occupation de lits hospitaliers par des seniors en attente d’être placés. Mais le Nord vaudois est moins sous pression.
Alors que les virus et accidents hivernaux engorgent les urgences et les hôpitaux du canton de Vaud, la question de la saturation des EMS (Etablissements médico-sociaux) fait son retour sur la table des préoccupations. En effet, de nombreuses personnes occupent des lits C, c’est-à-dire des lits médicalisés, alors qu’elles n’ont plus besoin de soins aigus ou continus, sans pour autant être en état de rentrer chez elles. Bien souvent, ces personnes attendent d’être placées en EMS, comme le relève l’enquête de nos confrères de la RTS dans La Matinale du 14 janvier dernier. De plus, selon leur enquête, près de 600 personnes attendraient d’obtenir une place en EMS dans le canton. Une situation qui, avec le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques, ne devrait pas s’améliorer.
Situation septentrionale maîtrisée
Si les hôpitaux du Nord vaudois sont également touchés par la conjoncture de saison, il semble que les EMS ne soient pas mis sous pression, comme le confirme Yves Kühne, directeur du Réseau Santé Nord-Broye (RSNB). Cependant, il précise que la situation est fluctuante et que des changements peuvent subvenir à tout moment. «La prévisibilité est difficile.» Une appréciation qui fait écho au témoignage de Luis Villa, directeur de la Fondation Saphir, qui possède plusieurs établissements dans le Nord vaudois: «Je dirais même que l’on est dans une situation plutôt calme. Il faut dire que nous avons eu de nombreux décès dernièrement, libérant plusieurs places. Mais nous avons déjà connu des périodes sous tension par le passé.»
EMS vraiment «saturés»?
«Les EMS sont pleins depuis vingt ans», explique Laurent Exquis, directeur de l’EMS du Château de Corcelles-près-Concise. Une situation qui n’est pas problématique en soi, puisque le but d’un EMS, c’est que ses lits soient occupés. En effet, le système de financement des EMS leur demande un taux d’occupation proche de 100%.
Dans le Nord vaudois, les besoins en lits sont plutôt mesurés grâce au système de liste d’attente géré par le Bureau régional d’orientation et d’information (BRIO) du RSNB – qui sert de relais entre les secteurs communautaires, hospitaliers et résidentiels –, comme nous l’explique Laurent Exquis.
À partir de cette liste d’attente, le BRIO est en mesure de placer les demandes le plus justement possible en fonction de leur priorité. «En fonction des périodes, la liste est plus ou moins longue. Actuellement, la longueur de la liste n’est pas alarmante», conclut le directeur du Château de Corcelles.
De plus, comme l’explique Yves Kühne, toutes les demandes n’aboutissent pas toujours à des hébergements en fonction de l’état de santé du patient. Certains peuvent être aiguillés vers les différents types d’accueil intermédiaire aujourd’hui développés.
Une offre de plus en plus diversifiée
L’accueil dans un format long séjour en EMS n’est plus la seule solution pour les seniors qui ne seraient plus suffisamment autonomes pour rester dans leur domicile. D’autre options existent désormais. «Il s’agit notamment des courts-séjours qui peuvent offrir aux proches aidants des moments de répit pendant l’accompagnement à domicile ou, dans certains cas, assurer une transition post-hospitalière, expose Yves Kühne. Il y a aussi le développement des logements adaptés avec accompagnement, mais qui sont plutôt des réponses structurelles. Comme autres types de soutien, il y a les accueils de jour et les prestations assurées par l’aide et des soins à domicile. Des moments de présence peuvent aussi être demandés.»
Au moment de la construction ou de l’extension d’un établissement, ces paramètres sont désormais pris en compte et intégrés pour offrir des possibilités diverses et variées.
Attendre le dernier moment?
«La durée du séjour à l’EMS est de plus en plus courte. Il faut dire que les entrées se font aussi plus tard», explique Luis Villa. Cela peut s’expliquer parce que les individus sont en meilleure santé plus longtemps et sont en mesure de rester chez eux, grâce aux soins à domicile notamment. Mais cela peut aussi s’expliquer par une réticence à prendre les décisions qui s’imposent au bon moment, entraînant des hébergements d’urgence.
«Entre les personnes atteintes dans leur santé, les soins à domicile, les médecins et le BRIO, le travail se fait autour de l’anticipation des projets d’orientation, justement dans le but d’éviter des hébergements urgents ou qui surviennent à la suite d’une hospitalisation, présente Yves Kühne. Cependant, l’entrée en EMS est une décision difficile, un moment de vie délicat et souvent « une crise » est nécessaire pour franchir le pas. C’est assez humain comme comportement: la crise est souvent attendue pour susciter le changement.»
Il faut dire que l’EMS fait souvent office de dernière demeure pour les bénéficiaires. Pour les familles, cela peut être considéré comme un premier deuil difficile à vivre. Sans oublier que les placements en EMS ne sont pas gratuits.
«Les EMS sont souvent dépeints comme des mouroirs. En réalité, cela peut aussi être une source de joie, souligne Laurent Exquis. Beaucoup d’activités sont organisées et ce sont évidemment des lieux de socialisation à ne pas sous-estimer pour ces seniors qui sont parfois esseulés. Nous avons beaucoup de très bons retours en ce sens.»
Un calme pas si plat
Ombre au tableau de l’ordre apparent du Nord vaudois: la situation dans les hébergements psycho-sociaux médicalisés (EPSM). Dans ces établissements, la situation est beaucoup plus tendue.
Les établissements psychosociaux du canton de Vaud regroupent tous les lieux d’hébergement psychiatriques, comme les EPSM qui ont une mission de psychiatrie pour adultes. Sous régime cantonal, les EPSM du Nord vaudois ne sont pas chapeautés par le RSNB. Sous pression, le Canton fait face à une forte demande, avec des missions toujours plus complexes en fonction des patients, de leur pathologie et de leurs besoins. Il faut des espaces adéquats et du personnel formé pour répondre aux bonnes missions.
Ici aussi, de nombreux projets sont donc en cours, mais cela prend du temps.
«Le Canton a besoin de créer des lits»
Si la situation dans le Nord vaudois est plutôt calme, elle peut ne pas durer. Le Canton, lui, est sous pression. En 2023, le Conseil d’état vaudois annonçait le lancement de 49 projets visant à créer ou à moderniser plus de 2300 lits, afin d’éviter une pénurie de places dans les EMS et EPSM à l’horizon 2030.
Or, de tels projets prennent du temps, en moyenne dix ans pour la construction ou l’extension d’un établissement , et sont de plus en plus complexes. «Il s’agit donc de bien anticiper les projets pour couvrir les besoins», explique Yves Kühne. Il faut trouver une localisation optimale tout en s’assurant que le terrain soit suffisamment grand pour accueillir des établissements aux dimensions toujours plus importantes, d’autant plus que les résidents souhaitent être seuls en chambre. Une donnée désormais non négociable pour des raisons aussi bien éthiques que sociétales, mais qui s’inscrit dans un contexte où l’utilisation du territoire est davantage surveillée.
Une fois l’EMS construit, il faut aussi pouvoir trouver du personnel de soins pour y travailler. Or, le secteur souffre d’une importante pénurie en ce sens.