Trafic de drogue: des solutions profondément divergentes
17 septembre 2024 | Textes: Jérôme ChristenEdition N°3789
Malgré quelques banderilles, le débat très attendu sur le trafic de rue de drogue a été d’assez haute tenue jeudi soir à Yverdon. Si les parties en présence se sont entendues sur le diagnostic d’une situation qui ne cesse de s’aggraver avec des actes de violence toujours plus fréquents, les avis divergent profondément sur les méthodes permettant d’enrayer cette spirale. Une large majorité emmenée par la Verte Maria Gallardo a décidé de soutenir la politique des quatre piliers défendue par la Municipalité plutôt que la méthode répressive pronée par l’indépendant Ruben Ramchurn.
Le menu de cette séance était copieux. Plutôt à l’aise dans son rôle et bien préparée, la présidente Verte Anita Rokitowska n’avait toutefois pas estimé nécessaire d’avancer l’horaire de la séance ou d’en fixer une supplémentaire. La proposition de l’indépendant Jean-François Cand de consacrer une séance exclusivement au débat sur la drogue a été balayée par le Conseil communal déjà agacé par les interventions de l’aiguillon Ruben Ramchurn sur ce thème et dont les propos sans détour exaspèrent à tel point certains de ses détracteurs qu’ils en perdent toute lucidité. Résultat, les interpellations sur les difficultés du commerce yverdonnois n’ont pas pu être traitées, ni même les reliquats des séances précédentes.
Ecole de cuisine du crack
Le postulat de la Verte Maria Gallardo qui demandait un renforcement de l’action sociale sur le terrain en faveur des toxicomanes sur les sites d’accueil Zone Bleue et Kipole a suscité la critique incisive de Ruben Ramchurm qui y voit un nouvel appel d’air. A propos de ces sites, l’ancien élu UDC a parlé «d’incubateurs » à toxicomanes, «de lieux où les gens apprennent de nouvelles façons de se droguer» évoquant un affichage sur le site de Zone Bleue qui explique «comment cuisiner le crack» ainsi que le nouveau local d’injection de la Riponne à Lausanne qui est devenu une «sorte d’école de la cuisine du crack» dont il craint qu’elle essaime à Yverdon.
Pour imager la souffrance physique provoquée par le crack, il n’a pas hésité à dire que «faciliter leur consommation ne les aide pas et que ce serait peut-être moins cruel de les euthanasier, parce qu’indirectement c’est ce qu’on fait en les tuant de la pire des manières». Pour lui, ces lieux sont au service «des industriels de la drogue».
Agents de sécurité engagés
La Municipalité, de son coté, entend continuer de défendre la politique fédérale des quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques et répression) mais admet que la situation s’est dégradée, raison pour laquelle, face au cocktail explosif des cas sociaux, alcooliques, toxicomanes et trafiquants, des agents de sécurité ont été engagés pour éloigner les trafiquants de Kipole. Admettant que la localisation de ce site n’est pas idéale, elle réfléchit désormais à d’autres lieux et mesures à prendre à moyen terme.
A gauche, le socialiste Julien Wicki a admis que la situation n’était pas tolérable et devait être traitée prioritairement par la Municipalité qui a mis en place un «dispositif convaincant qui doit être renforcé sous tous ses angles, répressif comme préventif». Il a rappelé que «toutes les études sérieuses concluent que l’approche transversale et pluridisciplinaire est la seule qui peut apporter des effets tangibles à ce poison».
Les craintes du PLR
Le PLR est divisé sur ce postulat, partagé entre son soutien à son municipal Christian Weiler en charge de la Sécurité et «des lois insuffisamment répressives dès lors que les trafiquants arrêtés sont relâchés quelques heures plus tard» selon les propos de sa porte-parole, Apolline Carrard, qui «craint que la demande sous-jacente de la gauche avec son postulat soit la création d’un local d’injection auquel la droite modérée est plutôt opposée». Au vote, le postulat est accepté à une large majorité par la gauche, les Vert’libéraux et quelques PLR.
Crainte d’une perte de maîtrise
Sans surprise, le postulat de Ruben Ramchurn est largement contesté. Sa demande de déplacer la scène de la drogue fait craindre à gauche une dispersion et une situation encore plus difficile à maîtriser. Fait rédhibitoire, sa deuxième proposition qui vise à limiter l’offre de prise en charge des toxicomanes va à l’inverse du postulat de gauche accepté auparavant.
Agents de sécurité, une réussite
Pour la Municipalité, limiter l’accès des prestations du site d’accueil Zone Bleue aux seuls Yverdonnois n’est pas réaliste dans la mesure où cette structure d’accueil est financée en grande partie par l’Etat de Vaud. Quant au recours à des agents de sécurité privés pour soulager la police, cela dérange le PLR. Ruben Ramchurn n’a pas manqué de relever que c’est pourtant un processus déjà amorcé avec succès par la Municipalité avec des agents sur le site de Zone Bleue pour faire suite à des échauffourées et sur le site de Kipole pour éloigner les trafiquants. Des mesures qui lui font dire que son postulat portait déjà ses fruits.
Vote plombé
Pour rallier la droite modérée, il a renoncé à cette partie du texte. Mais cela n’a pas suffi, loin de là: il n’a été suivi que par 16 élus (UDC, PLR et indépendants) contre 50 et 8 absentions. Un vote plombé par les réactions épidermiques que ses propositions ont tendance à provoquer de manière générale.
Agressions en hausse, amalgames racistes
Ruben Ramchurn a évoqué plusieurs agressions de femmes ces derniers mois à Yverdon avec ou sans vol, avec ou sans agressions sexuelles, ainsi que du harcèlement dans le secteur de la gare, de la part des trafiquants présumés de la «mafia nigérianne». Le conseiller communal a fait état d’un témoignage d’une femme ressortie «tremblante et terrorisée» après un simple passage près de la Coop Pronto, de deux agressions violentes en août dernier, de situations d’attouchements et de vols. Il évoque également la mise en place d’un réseau de prostitution de toxicomanes par des trafiquants devenus proxénètes. Dans une interpellation, il demande à la Municipalité quelles mesures seront prises pour protéger ces femmes toxicomanes des griffes des trafiquants. Il propose à la Municipalité de mettre sur pied un fichier des trafiquants présumés pour mieux identifier les agresseurs. De manière générale, il demande si la Municipalité compte agir.
Confrontations régulières
Christian Weiler a admis que des confrontations avaient lieu entre trafiquants, entre toxicomanes et entre trafiquants et toxicomanes. Les personnes victimes de harcèlement peuvent s’annoncer à un travailleur social de proximité. Elles sont ensuite dirigées si nécessaire vers des associations qui prennent en charge les victimes. Selon le municipal PLR, cette année, il y a eu 17 cas d’agressions communiquées, un chiffre stable, similaire à celui de l’an dernier ou 16 agressions avaient été recensées. Sur ce total, 7 sont liées à des problématiques de drogue. Plus d’informations seront données à la prochaine séance.
Le conseiller communal Abdelmalek Saiah a lui interrogé la Municipalité sur les amalgames provoqués par les trafiquants dont les comportements affectent la perception de la population étrangère qui finit par leur être associés. L’élu socialiste a demandé à la Municipalité comment elle entendait renforcer sa lutte contre le racisme. Le municipal Jean-Claude Ruchet a rappelé ce qui se faisait déjà et a fait état d’un projet de permanence sociale dans les quartiers.
Caméras, débat reporté
Le débat sur une résolution consécutive à une interpellation du PLR Laurent Roquier sur l’usage des caméras de surveillance n’a pas pu être mené à terme, la majorité du Conseil communal ayant décidé de ne pas siéger au-delà de minuit. Il sera repris lors de la prochaine séance.
Transition numérique humaine
Le Conseil communal a adopté jeudi soir plusieurs demandes de crédit. Notamment un montant de 1,6 million pour la transformation numérique de l’administration communale. Le syndic Pierre Dessemontet a rassuré le conseiller communal Daniel Cochand: «Aucun citoyen, quel que soit son niveau de formation, quel que soit son équipement ou pour quelque raison que ce soit, ne sera exclu de quelque démarche que ce soit. Le but du guichet unique est aussi d’améliorer le service physique rendu par une personne humaine dans tous les domaines de l’administration. Et d’avoir des plages d’ouverture plus importantes et des collaborateurs plus à même de pouvoir diriger les demandes des administrés qui seront traités à égalité que l’on maîtrise les outils numériques ou non.» Il a aussi pris acte de «l’injonction à la sobriété numérique du conseiller communal Yoann Meyer, soit de chaque fois se poser la question si la numérisation a une utilité, de l’importance de la sécurité informatique et de la localisation des données sur le territoire helvétique». Les élus ont également encore adopté un crédit de 70 000 francs pour établir un plan de marketing urbain, donné leur feu vert à une dépense de près de 5 millions pour financer la dernière phase du projet Smart Metering pour une gestion efficiente de la consommation d’énergie par des compteurs intelligents avec notamment la constitution de communautés d’autoconsomation. Et enfin, accepté de maintenir le taux d’imposition à son niveau actuel.