Trafic de drogue: pas de solution miracle
28 mai 2025 | Texte: Robin Badoux | Photos: Michel DuperrexEdition N°La Région Hebdo No 13
La Ville a fait le point lundi sur la problématique de la drogue dans les rues lors d’une conférence et table ronde publique rassemblant un large panel d’experts et d’acteurs.
Le ton était posé, respectueux et calme. De ce point de vue, Yverdon a gagné son pari en parvenant à rassembler experts, autorités et acteurs – des pointures – pour aborder le sujet hautement sensible de la drogue et du deal de rue face au public sans que les discussions ne dégénèrent lundi soir à l’aula de la HEIG-VD. En revanche, la rencontre, intitulée «Toxicomanies, entre prohibition et légalisation, les défis de la régulation», en cherchant à mettre les points sur les i concernant le fléau que constitue le trafic de rue, s’est montrée plutôt alarmiste dans les discours. En somme, le pire est à venir, les modèles actuels ont fait leur temps et la solution miracle n’existe pas.
Une situation inédite
«Les mesures actuelles ne sont pas suffisantes», a ainsi martelé le conseiller d’État Vassilis Venizelos, en charge du Département de la sécurité, en ouverture de conférence. Il a toutefois tenu à marquer son optimisme en mentionnant les essais de ventes légales de cannabis qui ont permis de contourner certains marchés noirs.
Outre le cas du cannabis, c’est surtout l’explosion de la consommation de cocaïne et de son dérivé dévastateur, le crack, qui inquiète. «La situation est critique. Il y a beaucoup d’éléments externes que nous ne contrôlons pas. Tout va dans la mauvaise direction et personne ne comprend à 100% ce qui se passe», remarque ainsi Frank Zobel, directeur adjoint d’Addiction Suisse. Il souligne la surproduction de cocaïne, venant notamment d’Amérique latine – de 1000 à 3000 tonnes entre 2015 et 2025 –, la hausse de sa pureté sur les marchés européens et la chute de son prix. Une substance qui se retrouve dans de nombreuses villes européennes, dont les agglomérations helvétiques occupent le haut du classement. A Yverdon, l’étude des eaux usées révèle une grande augmentation de la consommation de cocaïne entre 2018 et 2024. «La Suisse est un pays où on consomme beaucoup de cocaïne», appuie Frank Zobel.
Les quatre piliers, la panacée?
D’un autre côté, si le trafic de rue constitue la face visible de l’iceberg, la plupart des transactions demeurent invisibles, révélant par là les limites de la répression dans l’espace public. «Sans nouvelle recette, nous ne ferions que déplacer le deal dans les appartements», a insisté Vassilis Venizelos.
D’où un des enjeux de la conférence consistant à rappeler l’importance de la stratégie dite des quatre piliers, mise en place dans les années 1990 et toujours d’actualité: prévention, réduction des risques, répression et thérapie. «Chaque pilier agit comme les maillons d’une même chaîne. Il faut travailler ensemble. On ne peut faire fi de la prévention ou de la réduction des risques et tout miser sur la répression», a affirmé Sylvie Bula, commandante de la Police cantonale vaudoise.
Une manière de souligner que, dans le cas yverdonnois par exemple, la répression policière à la place d’Armes ne peut à elle seule éradiquer ce fléau. «En 2024, nous avons renforcé notre présence de 76% dans le secteur de la gare, a d’ailleurs indiqué Marc Dumartheray, commandant de Police Nord vaudois. Mais les effectifs ne sont pas à rallonge. Il n’est pas possible d’être 24h/24 à la gare.» Sans compter que, appuie encore le commandant, il faut composer avec la lassitude des effectifs après des années de lutte contre des réseaux bien organisés et implantés.
Les experts ont alors rappelé l’importance de la lutte en dehors de la répression, contre la précarité notamment. «Il faut aider les populations vulnérables, mettre des toits sur les têtes, fournir des occupations et de l’aide sociale», soutient Frank Zobel. «Il faut aller vers les gens. Favoriser l’accompagnement actif», a de son côté affirmé Ahmed Berzig, adjoint au médecin cantonal vaudois.
Pas sortis de l’auberge
Reste à se demander si l’événement en lui-même, en tirant la sonnette d’alarme et en rappelant que les solutions restent à trouver, était réellement pertinent. En gros, est-ce que tout ça fait avancer le schmilblick? «Absolument, répond Vassilis Venizelos. C’est une façon constructive d’aborder un sujet hautement émotionnel. Il est important de rappeler qu’il n’y a pas que la répression pour lutter contre le trafic et que les modèles de lutte actuels ont atteint leurs limites. La population attend des actions, que nous sommes en train de déployer sur le terrain depuis quelques mois.» L’élu Vert rappelle par exemple la création d’une task force dans le canton pour lutter contre le deal ainsi que le durcissement des sanctions contre les dealers.
Au final, la conférence aura au moins rappelé que la route est encore très longue jusqu’à l’éradication du trafic de drogue dans nos rues.