Transmettre son amour des feux bleus
6 juin 2025 | Texte: Maude Benoit | Photo: Michel DuperrexEdition N°3955
Le SDIS régional du Nord vaudois compte une instructrice dans ses rangs. Une première ! Rencontre avec Fabienne Manzi qui nous parle de sa passion pour le monde des sapeurs-pompiers et de son expérience en tant que femme dans ce milieu.
Elle est la première femme du SDIS Nord vaudois à avoir passé le brevet d’instructeur fédéral. Au terme d’un long processus de deux ans avec trois phases de sélection et une phase finale de formation, la lieutenante Fabienne Manzi a obtenu son certificat début mai. Le 1er janvier 2026, elle obtiendra officiellement le grade de lieutenant instructeur. La Tapa-Sabllia est donc désormais habilitée à former les nouvelles recrues et sapeurs-pompiers dans leurs missions au niveau cantonal.
Une nouvelle étape dans son parcours qui vient confirmer sa passion pour ce métier. Un amour qui ne date pas d’hier. «Enfant du bord du lac», comme elle le dit elle-même, puisqu’elle a grandi à Grandson, elle est arrivée à Yvonand il y a 24 ans. Rapidement, l’enseignante de 47 ans décide de s’investir chez les sapeurs-pompiers.
Fabienne Manzi, pourquoi avoir choisi le monde des sapeurs-pompiers?
Je voulais m’intégrer à la vie du village et m’impliquer dans le service à la collectivité. De plus, le monde des feux bleus, les secours et le service à la population m’attiraient. J’avais déjà envie de m’investir et ce déménagement était une bonne occasion de le faire.
Parlez-nous de votre parcours dans ce monde justement.
Je crois que j’ai bientôt fait toutes les étapes possibles, depuis le recrutement. Je me suis vraiment prise de passion pour ce métier. Mais ma trajectoire n’a pas été linéaire. Comme j’ai fondé une famille à côté, mon parcours de sapeur-pompier a été freiné pendant une dizaine d’années. Mais je n’ai jamais arrêté. J’ai toujours maintenu mon activité. Maintenant que mes enfants sont plus grands, j’ai repris ma progression dans ce milieu et ai effectué plusieurs spécialisations. Aujourd’hui, le brevet d’instructrice, c’est déjà un aboutissement pour moi.
Parlons du brevet. Pourquoi l’avoir fait?
Ce n’était pas mon objectif quand j’ai commencé. C’est une envie que j’ai développée avec les années en étant toujours plus à l’aise dans le domaine des sapeurs-pompiers. Et après avoir progressé et progressé dans ce milieu, mon but est maintenant de transmettre. Je fais déjà de la formation au sein du SDIS Nord vaudois. Avec le brevet fédéral d’instructeur, j’ai obtenu des compétences supplémentaires et une reconnaissance du parcours effectué. Maintenant, je vais pouvoir transmettre ces compétences dans le canton.
Y a-t-il un lien entre votre activité professionnelle et le brevet d’instructeur fédéral?
Oui, tout à fait. Même si ce sont deux mondes différents. J’enseigne pour les tout-petits, mais je retrouve dans l’instruction des sapeurs-pompiers le côté pédagogique, méthodologique et surtout créatif qui permet de faire passer de la matière de manière ludique. J’aime former les gens dès le début pour leur donner les bases. J’ai aussi envie de transmettre ma passion pour les sapeurs-pompiers, de montrer tout ce que ce milieu peut apporter, que ce soit l’esprit de camaraderie ou les diverses compétences du métier. Et l’amour, l’amour pour l’effort collectif. Quelque chose qui se perd selon moi. Je veux montrer à quel point c’est enrichissant personnellement de s’investir pour les autres.
Que vous a apporté votre expérience dans le monde des feux bleus?
Beaucoup. Avec 24 ans de ma vie passés dans ce milieu, je peux dire qu’il m’a construite. Cela m’a permis de toujours repousser mes limites, de me fixer de nouveaux objectifs et d’aborder les problèmes de la vie de manière différente, de relativiser, de vivre des échecs, de me relever et de repartir.
Avez-vous eu envie d’abandonner durant le brevet?
Le brevet est un défi en soi. Durant la formation, on est mis à l’épreuve. Notamment lors de la troisième phase de sélection où l’on est testés pendant trois jours sur nos compétences d’instruction, notre comportement, nos connaissances techniques et notre gestion du stress. Il y a eu des moments difficiles. Mais je voulais essayer jusqu’au bout et être sûre que je m’étais donné toutes les chances d’y arriver.
Avez-vous été soutenue durant tout ce processus?
Oui, par ma famille. Elle est nécessaire dans un parcours de sapeur-pompier, surtout en tant que femme et mère de famille. Avec mon mari, on a vraiment tout partagé à la maison et fait des concessions pour tout concilier. J’ai également été énormément soutenue par mes collègues et l’état-major du SDIS Nord vaudois qui nous donne la possibilité de progresser, qui valorise nos compétences et nous pousse à les développer.
Cela fait quoi d’être la première femme du SDIS Nord vaudois à obtenir ce titre?
C’est quand même une fierté. C’est autant une fierté qu’une motivation. Je voulais aussi montrer qu’en tant que femme, on a les mêmes ressources et compétences pour aller aussi loin que les hommes. Mais je tiens à dire que je ne me suis jamais sentie discriminée dans mon parcours et que je n’ai pas dû me battre pour accéder à la formation.
Que pensez-vous de la représentation des femmes dans le monde des sapeurs-pompiers?
Je remarque que, durant tout mon parcours, peu de femmes dépassent les dix, quinze ans de carrière. Malgré la motivation, c’est difficile de concilier vie de famille et vie de sapeur-pompier. Surtout avec les permanences les week-ends. Et comme beaucoup de couples se forment au sein des sapeurs-pompiers… C’est souvent les femmes qui se mettent en retrait. Mais il faut dire qu’il s’agit aussi de choix de famille. Aujourd’hui, dans la caserne d’Yvonand, pour une vingtaine d’hommes, nous sommes deux femmes.
Comment évoluer en tant que femme dans ce milieu?
Je sens une appréhension des femmes à aller dans ce monde d’hommes qui reste difficile, à se dépasser et une tendance à avoir peur de ne pas être à la hauteur. Je pense que ce sont des barrières qu’on se met nous-mêmes. Il y a des comportements qui ne sont pas adaptés parfois, mais de la part de personnes isolées et pas du corps des sapeurs-pompiers. Ainsi, même si je me bats contre les inégalités – comme les inégalités de salaire –, il y a aussi dans nos fonctionnements des stéréotypes ancrés. En tant que femme, on n’ose souvent pas se dire qu’on a les ressources et la force d’arriver où on veut.
Encore un dernier mot?
Je suis fière d’être la première femme à obtenir ce titre. Mais je voudrais tout de même féliciter mes collègues hommes qui sont passés par là avant moi, et notamment le lieutenant instructeur Jérémy Brand et le sergent instructeur Michaël Monney qui ont suivi ce parcours en même temps que moi. Ce sont aussi de vrais exemples.