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Travail sur les influences de HR Giger
Morena Fais sera présente au Comptoir du Nord vaudois le 28 mars prochain et au Gothic Romandie à Lausanne le 5 avril. Hélène Millasson / DR

Travail sur les influences de HR Giger

26 mars 2025 | Texte: Kévin Ramirez
Edition N°3917

Morena Fais présente sa première publication, HR Giger lecteur de Lautréamont?, fruit de sa thèse centrée sur l’influence du poète franco-uruguayen méconnu sur l’œuvre de l’artiste suisse. Rencontre avec cette enseignante yverdonnoise.

Morena Fais, qu’est-ce qui vous attire dans l’œuvre du comte de Lautréamont et vous a décidée à en faire le sujet de votre thèse initialement?

Lautréamont est un auteur qui est passé inaperçu le long de mes études, il n’y avait que quelques lignes à son sujet dans les livres de littérature. C’est quand je suis tombée sur Les chants de Maldoror, à l’âge de 21 ans, que je suis restée foudroyée par le nom du héros. Maldoror représente à mes yeux l’incarnation du héros romantique: sombre, solitaire, aux marges de la société et surtout un rebelle qui représente à la perfection le concept de liberté miltonien «mieux vaut régner en enfer qu’être esclave au paradis».

Etant considéré comme un auteur «mineur» qui a finalement laissé un héritage d’une certaine profondeur, lui consacrer un espace dans le monde académique était plus que légitime. C’était, en même temps, une opportunité personnelle d’acquérir plus de connaissances, d’en devenir une experte et de sortir du cadre des poètes maudits conventionnels. HR Giger lecteur de Lautréamont? rend hommage aux outsiders.

Et la réorientation de votre thèse sur l’influence de ce poète sur HR Giger?

Ma première visite au Giger Museum de Gruyères, en 2001, a été le tournant de cette réorientation mais cela n’a pas été immédiat. C’est à une énième lecture des Chants de Maldoror que les œuvres de HR Giger ont commencé à défiler dans ma tête. J’ai hésité en me disant que j’allais peut-être un peu loin, que ce n’était qu’une fantaisie audacieuse, puis j’ai décidé de faire une comparaison analytique entre texte et images. C’est à ce moment que j’ai réellement constaté les analogies présentes dans l’esthétique de HR Giger et l’empyrée lautréamontien. Carmen Lecis, le professeur qui suivait la rédaction de ma thèse à l’Université de Cagliari, en Sardaigne, a accepté ma proposition de dévier le sujet de départ sur la comparaison des deux univers.

Comment en êtes-vous venue à la publication de ce livre?

Après avoir défendu ma thèse, en décembre 2002, l’idée de la publier s’est installée dans mon esprit mais sans alimenter réellement cette possibilité. Dix ans plus tard environ, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Belinda Sallin, la réalisatrice du documentaire Dark Star, ce qui a donné un nouvel élan : j’ai repris contact avec Bijan Aalam (ami et agent parisien de HR Giger) et Philippe Carini (directeur artistique, ami de Bijan et HR Giger). Et finalement, en 2024, à dix ans de la disparition de HR Giger, c’est avec le mécénat de la Fondation ABPi et la précieuse collaboration de cinq amis, dont Philippe Carini pour la conception graphique, que le projet de publication en autoédition s’est concrétisé.

Bien qu’HR Giger n’ait jamais admis l’influence du comte sur son œuvre, les similitudes sont nombreuses. Par exemple l’horreur, la monstruosité, l’ambiguïté biologique et sexuelle et l’ironie. A ce propos, vous parlez de «rencontre fortuite» pour reprendre l’expression du comte. Qu’entendez-vous par là?

S’il n’a jamais admis cette influence, il ne l’a jamais niée non plus. HR Giger a lu Les chants de Maldoror dans sa jeunesse et rien n’empêche une influence inconsciente de Lautréamont. Mon acharnement a triomphé et j’ai pu avoir mon interview avec HR Giger: il était tellement intrigué qu’il avait suggéré de comparer ses œuvres aux Chants, ce qui était déjà la matrice de ma thèse.

La «rencontre fortuite» représente la magie du hasard, la beauté improbable, ce fil rouge invisible et souterrain qui rejaillit plus d’un siècle après l’édition des Chants dans l’univers biomécanique de HR Giger, par exemple. Apparemment sans aucun lien, l’écrivain et l’artiste partagent finalement cette vision cauchemardesque où l’amplification des corps par le métal rend les créatures envoûtantes et magnétiques, invulnérables et sacrées: un amalgame de perfection. La «rencontre fortuite» est comme un coup de foudre inattendu et auquel on ne peut que succomber afin d’engendrer la fusion de deux entités distinctes.

Paru en autoédition et imprimé par Cavin-Baudat (Grandson), décembre 2024.

Disponible à la librairie Payot d’Yverdon-les-Bains ou sur le site de l’autrice à l’adresse suivante : https://www.morenafais.com/