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Travys en panne de personnel roulant
Yverdon, 2 novembre 2018. TRAVYS, Raphaël Gerbex et Daniel Reymond. © Michel Duperrex

Travys en panne de personnel roulant

7 novembre 2018 | Edition N°2369

Nord vaudois – L’entreprise de transports publics a annoncé, à deux reprises en un mois, devoir remplacer ses trains par des bus, faute de conducteurs. Un problème qui touche toute la Suisse.

Quelques minutes de retard par-ci, une correspondance manquée par-là: les modifications d’horaires impromptues sont le lot des pendulaires. Mais quand l’entreprise de transports publics Travys annonce, par-dessus le marché, qu’elle remplace ses trains par des bus durant les deux semaines de vacances scolaires d’octobre sur la ligne La Vallée – Vallorbe, puis cette semaine entre Orbe et Chavornay, cela soulève des questions. Des changements de programme que les chefs d’exploitation expliquent par un manque de conducteurs de trains.

Forte de 213 employés, la société Travys a besoin de quelque 60 personnes pour conduire ses bus et 30 pour ses trains, dont une dizaine quotidiennement à la vallée de Joux. Or, dans cette partie du district, ils n’étaient plus que quatre à être disponibles et formés sur ces lignes régionales. «Cela relève d’un problème non planifié et non planifiable du personnel roulant, précise Daniel Reymond, directeur de Travys. On a engagé deux personnes supplémentaires mais, malheureusement, en cours d’année, il y a eu une série d’absences pour cause de maladie. D’un accident de voiture, à un mal de dos prolongé, en passant par un collaborateur agressé au Sentier: ce ne sont que des situations imprévisibles.»

Un appel à l’aide national

Pour tenter de pallier ce manque, Travys a lancé un appel à l’aide auprès de toutes les entreprises de transports publics de Suisse. «Certains nous ont dit: On aimerait tellement vous aider mais nous aussi on a besoin de monde. Vous n’auriez pas quelqu’un à nous envoyer?», rapporte Daniel Reymond. «C’est là qu’on s’est rendu compte que le manque de personnel roulant pour les trains était une problématique bien plus vaste.»

Le directeur de Travys, Daniel Reymond, et le chef du Trafic, Raphaël Gerbex, ont décidé de lever le voile sur un problème que peu d’entreprises avouent clairement: le manque de personnel ferroviaire.

Le directeur de Travys, Daniel Reymond, et le chef du Trafic, Raphaël Gerbex, ont décidé de lever le voile sur un problème que peu d’entreprises avouent clairement: le manque de personnel ferroviaire. © Michel Duperrex

Finalement, deux sociétés romandes ont «loué» les services de deux de leurs mécaniciens. «Et entre-temps, deux de nos employés ont été arrêtés, l’un pour un accident durant ses répétitions de théâtre et l’autre pour une maladie», renchérit le directeur de Travys. Et d’ajouter, sur le ton de la plaisanterie: «Je ne sais pas ce qu’on a fait au Bon Dieu, mais on est dans l’œil du cyclone!» Daniel Reymond sait que la situation sera tendue jusqu’à la fin de l’année, au minimum.

Quid des conditions de travail?

S’il existe une part aléatoire, voire de malchance, n’y aurait-il pas aussi un problème lié aux conditions de travail offertes aux collaborateurs de l’entreprise? «Je ne crois pas. Je pense que les gens sont plutôt bien chez nous. Après, c’est sûr que l’on a aussi parfois dû licencier des gens et ceux-ci ne sont pas contents, considère le directeur. Le taux de rotation du personnel tourne autour de 1% par année, ce qui est tout à fait acceptable.» Un avis partagé par le chef du Département gestion du trafic, Raphaël Gerbex. «En plus, on vient tout juste d’être certifiés ISO 9001, se félicite-t-il, précisant que cette certification garantit aussi le processus de gestion du personnel. Si quelque chose n’allait pas, l’audit l’aurait signalé.» A noter aussi que Travys est la seule société romande jugée «très bonne», selon une enquête de l’Office fédéral des transports.

Alors, comment expliquer cette pénurie de conducteurs mécaniciens? «Avant, le métier faisait rêver, mais maintenant ce n’est plus le cas. Je pense que c’est parce qu’on travaille 20 heures sur 24, y compris les jours fériés», avance Daniel Reymond. «Mais c’est un joli métier où le personnel est indépendant et voit de beaux paysages, souligne Raphaël Gerbex. Et on offre la possibilité à nos collaborateurs de travailler sur plusieurs lignes, afin de diversifier les tâches.»

Ce que les responsables omettent de mentionner, c’est le stress inhérent au métier. Ce devoir de courir après le temps pour être à l’heure. «Effectivement, cette contrainte existe. On est à vingt secondes près, note le directeur de Travys, en précisant que les CFF donnent une marge de 120 secondes aux trains régionaux pour assurer les correspondances. Mais très peu d’employés ont quitté le métier, donc il faut croire que ce n’est pas insurmontable.»

De longues études pour un besoin urgent

Faute de personnel, Travys s’apprête à lancer une nouvelle campagne de recrutement, à la Vallée et au-delà de la frontière, notamment. «Mais on sait que parmi les gens motivés, seule une personne sur deux passera le test psychotechnique. Et ensuite, il faudra encore un an de formation payé (ndlr: salaire versé en sus du coût du cursus qui s’élève à environ 80 000 francs) avant qu’elle puisse regonfler nos rangs», explique le directeur. Autre inconvénient face à l’urgence du besoin: l’apprentissage mobilise, en plus, un professionnel. Les sociétés de transports publics ont donc décidé de se réunir prochainement pour discuter de cet enjeu majeur avec le Canton qui, lui, veut développer le train au détriment du bus. «C’est le premier point à l’ordre du jour. Il faut sérieusement qu’on réfléchisse à créer un centre de formation et de compétences commun», suggère Daniel Reymond.


Le réseau de bus se développe

La Ville d’Yverdon-les-Bains a annoncé la création d’une nouvelle ligne de bus pour desservir le futur Collège des Rives. Une décision  qui signifie du travail supplémentaire pour Travys. «De façon générale, l’offre augmente, commente le directeur Daniel Reymond. Mais ça reste bien plus facile de trouver du personnel roulant pour les bus que pour les trains.» La situation se tend gentiment malgré tout, car Travys – en partenariat avec les Transports publics fribourgeois, CarPostal et les Transports de la région Morges-Bière-Cossonay – a décroché en janvier dernier un mandat de trois ans pour assurer le remplacement de toutes les interruptions de trains CFF. «Ce qui s’est traduit, jusqu’à présent, par la création de deux postes de travail et une hausse de 5% des kilomètres parcourus, confie Raphaël Gerbex. Par exemple, le consortium a dû trouver 80 bus et 200 chauffeurs pour fin novembre.»

Christelle Maillard