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Le tumultueux périple de Marguerite de Mérey

2 mars 2017 | Edition N°1946

Yverdon-les-Bains – La doyenne de la ville fêtera ses 107 ans ce samedi. Portrait d’une femme admirée, qui a traversé l’Europe sous les bombes pour s’installer en Suisse.

L’année de ses 52 ans, un peintre norvégien a peint Marguerite de Mérey. Cette oeuvre trône désormais fièrement sur les murs du salon de la bâtisse de la rue du Four. ©Carole Alkabes

L’année de ses 52 ans, un peintre norvégien a peint Marguerite de Mérey. Cette oeuvre trône désormais fièrement sur les murs du salon de la bâtisse de la rue du Four.

Sur la table du salon trône le livre d’or de la famille de Mérey. «A chaque anniversaire organisé pour ma mère, je demande aux amis et à la famille de noter un petit mot, que j’accompagne d’une photo de l’événement, raconte sa fille Désirée Lobkowicz. Samedi prochain, je pourrais remplir une nouvelle page, celle qui célébrera ses 107 ans.»

Marguerite de Mérey vit à Yverdon-les-Bains depuis 1963. Dans sa demeure de la rue du Four datant du 17ème siècle, les portraits de la noblesse d’Europe de l’Est et les meubles cossus d’un autre temps témoignent d’un passé riche en aventures. «Le père de ma mère était officier dans l’armée autrichienne, explique Désirée Lobkowicz. Il est mort pendant la Première guerre mondiale. Ma mère a grandi en Slovaquie puis est partie étudier en Autriche. Pour parvenir à s’installer en Suisse, elle dit souvent qu’elle a dû traverser une véritable odyssée.»

Née le 4 mars 1910 à Vienne, Marguerite Spiess von Braccioforte, de son nom de jeune fille, grandit dans le milieu aristocratique autrichien. En 1938, elle se marie avec le hongrois Tibor de Mérey, alors directeur d’une fabrique de verre. Le couple s’installe à Budapest. «C’est dans ces années-là que nous sommes nés mon frère Pierre et moi-même», sourit Désirée Lobkowicz.

Une véritable odyssée

En novembre 1944, la Seconde Guerre mondiale vient briser leur tranquillité. A l’approche des troupes russes sur Budapest, la famille décide de déménager. Leur point de mire : la Suisse. «Le frère de mon père était un diplomate hongrois à Berne. Il pouvait nous obtenir des visas d’entrée dans le pays», souligne sa fille.

Bloqué en Hongrie pour des raisons administratives, Tibor de Mérey est obligé de se séparer de sa famille. Pour Marguerite de Mérey et ses deux enfants, c’est un périple de onze mois qui commence. A bord de multiples taxis et trains, parfois obligé de faire du stop, la famille fait escale à Brastislava puis à Prague. «Nous avons même été emprisonnés durant quelque jours, s’émeut Désirée Lobkowicz. Ma mère a été extrêmement courageuse.»

Après une période de repos au Tessin et à Berne, la famille s’établit finalement à Lausanne. «Mon père était censé nous rejoindre au plus vite, se rappelle Désirée Lobkowicz. Ma mère l’attendait patiemment. Mais la vie en a décidé autrement.» Un an plus tard, Marguerite de Mérey apprend la mort de son mari, piégé dans une embuscade durant sa fuite.

Yverdon, sa patrie

Pendant quelques années, elle donne des cours d’allemand à l’école Lemania à Lausanne. «Ses élèves l’appréciaient beaucoup, raconte sa fille. Aucun d’eux n’a jamais raté ses examens d’allemand, grâce à elle. D’ailleurs, à l’occasion de son centième anniversaire, certains de ses anciens élèves l’ont appelé pour lui souhaiter une bonne fête.»

Au début des années 1960, Marguerite de Mérey fait la rencontre de Louis Servien, notaire à Yverdon-les-Bains. Ils s’installent ensemble dans la bâtisse de la rue du Four. «Ma mère se plaît beaucoup ici. C’est devenu sa patrie. Pendant longtemps, elle allait boire le café à 11 heures pétantes en ville pour lire le journal local», explique Désirée Lobkowicz.

Passionnés d’équitation, Marguerite de Mérey et Louis Servien se promenaient souvent le long de la Thièle à dos de cheval. «Tout le monde les remarquait quand ils sortaient de leur écurie, sourit sa fille. Ma mère adore les animaux. Pendant des années, elle s’est levée régulièrement à quatre heures du matin pour promener ses chiens. Mais surtout, c’est une femme de lettres. Elle sait choisir les beaux mots pour toutes les occasions.»

En 1985, Louis Servien décède des suites d’une longue maladie. «Ma mère s’est toujours occupé de lui avec amour et dévouement, précise Désirée Lobkowicz. Depuis une vingtaine d’années, j’ai décidé de rejoindre ma mère pour, à mon tour, prendre soin d’elle.»

Positivisme permanent

Grand-mère de deux petits enfants, Marguerite de Mérey reçoit sa famille régulièrement dans la Cité thermale, notamment à l’occasion de ses nombreux anniversaires. Le secret de sa longévité ? «Un positivisme permanent», affirme sa fille. «Ma mère voit ce qu’il y a de plus beau chez chacun de nous. Elle est d’une extrême générosité. L’admiration des gens à son égard me touche beaucoup», confie-t-elle.

Béatrice Champod, voisine et amie de longue date de la centenaire, se rappelle les «magnifiques» réceptions que Marguerite de Mérey organisait avec Louis Servien dans son jardin, de nombreuses années auparavant. «J’en ai un souvenir formidable. Nous sommes très proche, elle et moi. Vous savez, c’est une femme extrêmement forte. Peu d’êtres humains peuvent supporter autant de drames et en ressortir si vaillants.»

Visite officielle

A l’occasion de ses 107 ans, Marguerite de Mérey va recevoir la visite de Jean-Claude Ruchet, municipal du service jeunesse et cohésion sociale de la Ville d’Yverdon-les-Bains, accompagné d’un huissier, demain après-midi.

«A chaque fois, c’est très sympathique. Ma mère reçoit un bouquet de fleurs, des chocolats et un gâteau inscrit de son âge», explique sa fille, Désirée Lobkowicz. Il y a sept ans, lorsqu’elle a soufflé sa centième bougie, Marguerite de Mérey était entourée du municipal Paul-Arthur Treyvaud, dont elle avait été le professeur d’allemand de nombreuses années auparavant, et de l’ancienne préfète Pierrette Roulet- Grin.

Cent ans ? Marguerite de Mérey, personnage emblématique de la Cité thermale, avoue ne s’être rendue compte de cette nouvelle étape franchie que grâce à l’allusion faite par ses proches.

Lila Erard