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Un demi-siècle dans les airs

18 février 2025 | Textes: Lena Vulliamy
Edition N°3894

Voilà cinquante ans qu’un groupe de jeunes Urbigènes s’est lancé dans les airs nord-vaudois en deltaplane. Et l’histoire continue.

C’est après avoir vu une émission à la télévision sur le deltaplane que quatre passionnés de spéléologie décident de passer de la terre au ciel. Nous sommes en février 1975 quand Philippe Briod et les frères Michel, Thierry et Laurent Guignard achètent une aile et font leurs premiers essais derrière le Suchet, à skis. En mai, ils voient les choses en grand et s’élancent depuis Mauborget. «à cette époque-là, beaucoup de gens commençaient à voler, mais la plupart finissaient par avoir un accident et revendaient leur deltaplane. On a donc pu acheter une aile en copropriété», raconte Laurent Guignard, aujourd’hui âgé de 69 ans.

D’autres deltistes d’Yverdon les rejoignent et l’Anarchic Delta Club est lancé. Présidé pendant une vingtaine d’années par Jean-Claude Aubert, il sera renommé Vol Libre Suchet trois ans après sa création.  Aujourd’hui, Philippe Briod gère toujours son école vol libre fondée en 1984, à Orbe l’été et à Zinal l’hiver. L’émergence du parapente y a pris une place prépondérante. Après un gros accident, Michel a préféré en rester là avec la pratique de l’aile delta. Quant à ses cadets Thierry et Laurent, la passion de l’aile delta ne les a jamais quittés.

Le goût du risque

Revenons à l’hiver 1975. «On n’y connaissait rien, on a tout appris par nous-mêmes», se remémore Laurent Guignard. Mais la pratique de l’aile delta n’est donc pas sans risque. «L’Office fédéral de l’air voulait l’interdire, il y avait trop de morts.» Parmi les victimes, le champion de hockey sur glace et de géant Roger Staub, qui se tue dans le val de Bagnes à 37 ans. «La raison était toujours la même: la chute en drapeau.» Lors d’un vol nocturne depuis La Côtelette, Thierry subit aussi un accident de ce type, mais s’en sort malgré ses multiples blessures. à la suite de cet événement, ce dernier, mécanicien à l’EPFL et Philippe Briod, qui est ingénieur, mettent au point un système permettant de redresser l’aéronef en cas de chute en drapeau.

Du savoir-faire

Très bricoleurs, les deux hommes créent aussi en 1979 un treuil dévidoir, sur le principe du cerf-volant. «On tirait l’aile delta derrière un véhicule. ça permettait de nous faire voler depuis le plat sur des chemins en béton, explique Laurent Guignard. Comme Philippe avait ouvert une école à ce moment-là, on pouvait apprendre aux gens.» Peu à peu, Orbe devient l’épicentre européen du vol tracté delta. «Nous avions des clients en Belgique, aux Pays-Bas, même en Côte d’Ivoire.»

Si notre équipe d’Urbigènes a longtemps utilisé l’ULM (ultra-léger motorisé), malgré son interdiction en Suisse, son autorisation avec modèle électrique a passionné Thierry, qui a fabriqué son propre système il y a quelques années. «Il n’arrête pas de l’améliorer, c’est le professeur Tournesol», s’amuse Laurent.


De nombreux voyages

Leur passion pour le delta plane a mené Philippe Briod et les frères Guignard à faire de nombreuses expéditions. «Tout de suite, on a voulu beaucoup voyager.» Il y a notamment l’Algérie en 1984, avec les massifs montagneux Tassili et Hoggar. Ce voyage est relaté dans le film Sandbirds Expedition de Jean-Daniel Carrard. à l’automne 1986, direction le Kurdistan turc, avec le Mont Ararat. En 2010, Thierry Guignard part en Namibie. Il y a aussi l’Andalousie, l’Etna. Aujourd’hui Thierry et Laurent Guignard ont un nouveau plan, celui de traverser la Manche. «C’est plus ou moins planifié pour septembre, mais ça reste un projet.»


Sur les traces de leur aïeul dans PAJU

Dans les années 30, Donat Guignard, père d’Olivier et oncle de Laurent, Michel et Thierry, pionnier de l’aviation, fabriquait des petits avions appelés «poux du ciel». Pendant 138 jours, il peaufine son aéronef sur le pâturage des Cluds. «Un beau jour, son engin était prêt, un gendarme le surveillait – il n’avait pas obtenu les autorisations pour voler –, mais il est monté dans son pou du ciel, a mis les gaz, a décollé, largué des messages au-dessus de Sainte-Croix, passé sur Echallens, la cathédrale de Lausanne, traversé le Léman et est arrivé à Thonon-les-Bains, où il a décidé de se poser dans le parc du château de Ripaille. «C’était un Robin des Bois, le hors-la-loi sympathique.» En 2023, Thierry et Laurent Guignard font le pari un peu fou de proposer à Passe-moi les jumelles de refaire le même trajet, mais en électrique. «C’était un gros truc, il ne fallait pas se louper, il y avait des gros moyens.»