Logo

Un drame paysan tourne à la tragédie

25 octobre 2018 | Edition N°2360

Nord vaudois – Quelques mois après son père, un agriculteur s’est donné la mort. Ses proc hes sont partagés entre colère et incompréhension.

Dans la cuisine de la ferme située au cœur d’un village de la région, trois femmes – la maman et ses deux filles – font face à l’adversité. En l’espace de quelques mois, elles ont perdu leur mari et père, puis leur fils et frère. Rien ne laissait pourtant présager qu’un contrôle, en début d’  année, sur les conditions de détention du bétail allait entraîner pareille tragédie. Et s’il est difficile d’expliquer la disparition violente de l’agriculteur de 79 ans et de son fils de 50 ans, il est indéniable que l’intervention du contrôleur a été ressentie comme une grave dénonciation dans une vie d’éleveurs sans tache.

Sans horizon?

Le printemps dernier, quelques jours après le décès du septuagenaire, nous avions rencontré, dans cette même cuisine, son épouse, et ses trois enfants. Tous avaient été profondément choqués par le geste de leur époux et père, décédé au CHUV quelques heures après son acte désespéré.

Le reproche qui a été fait à ces deux éleveurs paraît anodin en regard des conséquences. En période hivernale, les vaches et génisses de cette petite exploitation familiale ne sortaient pas assez. Les contrôleurs avaient préconisé qu’ils créent un enclos devant la ferme, sur la surface bétonnée bordant la route principale…

Faute d’avoir agi, ils ont été sanctionnés. Une broutille pour la plupart des gens, ressentie comme une véritable offense par les deux hommes. Depuis ce contrôle de février, le père était sur ses gardes à l’arrivée de la moindre voiture.

Après son départ, son fils n’a vu d’autre issue que de se séparer de son bétail. Ce qui a été fait en plusieurs phases, jusqu’à mi-mai. Depuis ce moment-là, il a commencé à changer. «Cet été, il me disait qu’il s’ennuyait. Il tournait en rond. Lorsqu’il a vendu ses génisses à Grange-Verney, il pleurait», témoigne sa maman.

Le voyant dépérir – «il s’est abruti dans le travail» –, ses proches ont proposé au jeune paysan de se faire hospitaliser. Ce qu’il a accepté, début septembre. Mais l’ambiance de l’hôpital psychiatrique lui pesait. Il craignait par ailleurs d’être taxé de fou. Certaines déclarations laissent penser qu’il n’avait pas digéré le départ subit de son papa: «Il disait qu’il ne pouvait plus voir cette maison et exprimait de la colère envers son père.» Et s’il n’y avait pas d’urgence matériellement parlant, il ne se voyait pas d’avenir. C’est lors d’un retour de quelques heures à la maison, fin septembre, qu’il a commis le geste fatal.

Aujourd’hui, ses proches sont révoltés. S’ils rendent hommage au travail de la gendarmerie et de sa cellule d’accompagnement, qui est intervenue avec beaucoup de sensibilité, ils estiment que le risque de passage à l’acte a été sous-estimé par les psychiatres. La rencontre entre médecins et membres de la famille n’a pas permis de trouver l’apaisement.

«Tout ce désastre est parti du contrôle», déplore la maman, bien entourée de ses deux filles. Un soutien que la communauté a aussi manifesté à l’initiative du pasteur, qui a inscrit cette thématique à une réunion dominicale. Elle s’est traduite par un arbre de vie composé de 140 feuilles comportant des messages de soutien. Et comme la vie triomphe toujours, deux petits hommes s’apprêtent à voir le jour dans cette famille en ce début d’automne.

 

Isidore Raposo