Nord vaudois – C’est le désastre sur les crêtes du Jura. René Guex, garde forestier du triage de Bullet, a dû entreprendre deux années de coupe en l’espace d’un été, la faute à la sécheresse et au bostryche.
Il faut un siècle pour renouveler un patrimoine boisé, alors qu’il ne faut que quatre semaines à un petit insecte d’environ 5 mm pour tuer un arbre majestueux. Un fléau qui se nomme bostryche. «Une fois qu’il est entré dans l’écorce de l’arbre, il crée des petites galeries. Une femelle peut pondre jusqu’à 200 œufs par semaine. Et une fois que cela pullule, c’est trop tard. C’est comme avec une pandémie, sur ces 200 œufs, il y a une centaine de femelles qui vont répéter l’opération. Je vous laisse faire le calcul… Ça va très vite!»
René Guex est bien placé pour le savoir. Le garde forestier du triage de Bullet a dû affronter ce petit insecte durant tout l’été et, surtout, il a été confronté aux dégâts qu’il a provoqué. «On a dû couper 2500 m3 de bois cette année, ce qui représente environ deux années de coupe», déplore-t-il. Et le problème avec ce nuisible, c’est qu’il n’enlève pas que l’écorce et les forces des arbres, il réduit les possibilités de valoriser le bois de nos régions. «On n’a pu préparer que 300 m3 pour la scierie. Le reste est parti en copeaux pour du chauffage et de la cogénération (ndlr: transformation des copeaux en gaz de bois)», précise-t-il. «Cela va se ressentir dans les comptes», assure la municipale grandsonnoise Nathalie Gigandet. Car le Bourg d’Othon possède des forêts à la Grandsonnaz.
La situation s’avère inquiétante. Et elle commence sérieusement à se voir, même pour des néophytes. «Si vous êtes montés sur les alpages à la fin de l’été, sans doute vous êtes-vous demandés quelle mouche avait piqué le forestier, avait indiqué l’édile lors du dernier Conseil communal de Grandson. à la vue des grandes quantités d’arbres et des troncs éparpillés sur les pâturages, on pouvait se demander ce qu’il s’était passé. C’est une recrudescence des activités des bostryches causant d’importants dégâts.»
Le hic, c’est que dès que les traces du passage des bostryches s’aperçoivent à l’œil nu, c’est qu’il est déjà trop tard. «Ce n’est pas si facile de voir qu’un arbre est attaqué par le bostryche. Et comme on ne peut pas marquer tous les troncs, il est important que le bûcheron soit formé. Il faut avoir l’œil», assure René Guex. Avec le temps, le garde forestier repère les signes de présence du petit insecte. «D’abord, l’arbre change de couleur, il jaunit puis il rougit. Et quand on regarde le tronc avec des jumelles, on peut voir des petits trous, ce sont les trous de sortie des insectes.» Et de préciser: «Parfois, on voit aussi que l’épicéa est vert en haut et, en bas, il commence à perdre son écorce.»
Qu’est-ce que l’on peut faire pour lutter contre ce dévoreur de bois? Eh bien rien. «Traiter? On n’a pas le droit et heureusement! La forêt est un des derniers endroits où il n’y a pas de chimie, affirme le passionné de nature. Non, la seule chose que l’on peut faire est d’enlever les arbres dépérissant car ce sont ceux-ci qui sont attaqués. Il existe un bostryche des jeunes pousses, mais il n’est pas très virulent à nos altitudes (ndlr: plus de 1300 m).» Et si l’arbre est déjà mort, mieux vaut le laisser sur place, tant qu’il ne risque pas de tomber sur des promeneurs ou des vaches, car il peut permettre à une nouvelle génération de prendre racine. Le Nord-Vaudois félicite d’ailleurs les propriétaires de forêts et les autorités pour mettre la main au porte-monnaie afin d’entretenir ces lieux qui lui tiennent tant à cœur.
Un sombre avenir en perspective
«La pérennité de la forêt n’est pas en jeu, mais celle des pâturages boisés l’est vraiment», relève René Guex, précisant que la principale différence entre les deux est que le second abrite des vaches et des génisses. Aussi, il possède moins de variétés d’essences. «On voit bien qu’il y a de la repousse dans la forêt, mais rien du côté des pâturages boisés. On a envie des les sauver parce qu’ils sont utiles pour nos vaches, pour la biodiversité et pour la beauté de nos paysages, mais cela va être difficile, souligne le garde forestier. Notre seule et unique chance qu’un renouvellement se fasse naturellement est de laisser les troncs morts sur place pour que de petites bêtes viennent recréer un écosystème.»
La source du problème: de gros coups de soleil sur les arbres
Selon René Guex, le bostryche n’est pas la cause primaire du dépérissement du patrimoine boisé de nos alpages. «Il vient quand un arbre est déjà affaibli. Il ne s’attaque pas à un tronc sain, explique le garde forestier. Celui que l’on trouve aujourd’hui est venu avec la sécheresse que l’on subit depuis 2017. L’épicéa est fait pour résister aux températures à nos altitudes, il n’est pas fait pour subir des 35 degrés, comme on a eu ces dernières années. C’est comme mettre un Inuit en Afrique, ça ne va pas!»
Le Nord-Vaudois constate d’ailleurs un réchauffement constant depuis 2003 environ, mais jamais autant que ces derniers temps. «La sécheresse atteint un arbre qui se défend en perdant ses aiguilles, c’est son moyen de réguler sa température. Par contre, la sève ne passe plus dans les cellules qui finissent par s’atrophier. Et quand elles devraient repartir, elles n’arrivent plus. L’arbre peut tenir trois ou quatre ans mais après il meurt.» C’est pour cela que cette année est si catastrophique, c’est parce qu’il s’agit du quatrième été chaud de suite. «On a carrément vu des arbres devenir rouges d’un seul côté, comme s’ils avaient eu un coup de soleil!»
L’Etat surveille la situation
La Direction générale de l’environnement (DGE) connaît bien le problème du bostryche. En 2019, environ 50 000 m3 de bois ont été touchés par ce fléau dans le canton. Les dégâts en 2020 devraient se situer dans le même ordre de grandeur, ou légèrement au-dessus. Il n’y a donc pas d’inquiétude particulière à avoir cette année, selon la DGE, même si des risques demeurent: «Ce sont des ravageurs indigènes qui font partie de l’écosystème forestier. Toutefois, en période de pullulation, une infestation peut provoquer des dégâts importants au niveau local ou régional et changer l’aspect de la forêt (coupes forcées ou arbres secs), ainsi qu’impacter les fonctions et prestations de la forêt. à cela s’ajoute la problématique du changement climatique qui modifie progressivement la composition des forêts.» Et de préciser: «A terme, les forêts vaudoises, y compris en altitude, seront certainement plus mélangées et feuillues qu’aujourd’hui.» Afin de soutenir les propriétaires de forêts dans l’entretien de leurs biens, des aides financières fédérales et cantonales existent. Au total, les subventions dévolues au patrimoine boisé vaudois s’élèvent à 18 millions de francs par an.