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Un jour et une nuit avec la Police Nord vaudois

26 avril 2013

Durant plus de quatorze heures, La Région Nord vaudois a suivi l’unité cinq de la Police Nord vaudois. L’occasion de découvrir le quotidien de ces agents garants de notre sécurité.

Contrairement à bien des idées reçues, l’une des principales activités des agents de police consiste souvent à écouter, rassurer, concilier et calmer. Une mission qui nécessite une bonne dose de psychologie.

Impossible de se tromper; le nouveau visuel -un cercle bleu au centre duquel, dans une typographie stylisée, l’on devine un «p», un «n» et un «v» verts s’enlacer- trône au beau milieu de l’imposante porte d’entrée: Police Nord vaudois. Et comme on s’apprête à la pousser, notre reflet, dans la grande baie vitrée, a le talent de nous rappeler qu’une fois encore, on a oublié de se coiffer. Tant pis. Là, debout, derrière un mur de verre qui lui sert de guichet, une jeune femme qui, pense-t-on a dû, au cours de sa carrière, voir d’autres gaillards à l’apparence suspecte, après avoir pris soin de nous identifier, de s’enquérir de ce qui peut bien nous amener, nous prie alors de bien vouloir patienter sur l’une des chaises bleues. Des meubles en plastique rigoureusement alignés le long d’un des cinq murs à la patine «blanche cassée» de cette pièce sobrement décorée de mises en garde contre les voleurs, les pickpockets et autres brochures de conseils, éditées dans le dessein d’éviter à tout un chacun de se retrouver, un jour, assis à notre place. A celle de ce trentenaire qui, à l’instant où une alerte sur notre téléphone portable nous informe que près 9 000 agents de police, à l’autre bout du monde, sont engagés dans la traque du suspect numéro deux dans les attentats du Marathon de Boston, vient annoncer que, faute de se l’être fait voler, son téléphone, à lui, ne se mettra plus jamais à vibrer.

Depuis la salle d’audition dans laquelle le sergent-major Finger, nous a demandé de bien vouloir nous installer, soudain, l’écho de douze coups, tout juste échappés des entrailles du clocher, planté, à quelques pas d’ici, au beau milieu de la place Pestalozzi, parvient à nos oreilles. Il est tout juste midi et les quatre hommes qui, sous la direction du sergent-major, constituent l’effectif présent de l’unité cinq, revêtent l’uniforme qu’ils avaient abandonné à quatre heures du matin. Reprise de service oblige.

«C’est l’horreur»

Un exercice qui, comme toujours, débute par une séance de transmission d’informations de la part des collègues qu’ils s’apprêtent à relayer. Une réunion dont la durée varie au gré de l’actualité du terrain. Celle-ci sera courte. Non pas que la matinée a été calme sur le territoire de 47 kilomètres carrés qui incombe aux hommes de la Police Nord vaudois -soit d’Yverdon-les-Bains à Orbe, en passant par Montcherand, Corcelles-sur-Chavornay, Suchy, Essert-Pittet et Ependes-, mais que déjà, à Orbe, la population a besoin d’eux. Une dame âgée, plus précisément.

Une aînée qui, lorsqu’elle quitta son domicile, dans la matinée, afin d’aller effectuer quelques achats, au supermarché du village, «à pied, parce que, voyez-vous, à mon âge ça fait du bien», était bien loin de s’imaginer qu’à son retour, elle retrouverait les armoires et les tiroirs de sa maison entièrement retournés par des voleurs. Alors, sitôt arrivés sur place, le sergent-major et l’agent qui l’accompagne commencent par s’enquérir de l’état aussi bien physique que psychique de la victime, qui a été rejointe par sa fille. Une attitude cruciale. Tant, à peine franchit le seuil de cette porte, dont le montant est couvert des stigmates de l’effraction, il suffit de plonger le regard dans celui de cette grand-maman, de lui prendre cette main qu’elle n’a de cesse de tendre, en répétant «c’est l’horreur», pour comprendre qu’il s’agira là du rôle le plus important qu’auront désormais à endosser les policiers: celui d’écouter, celui de tenter de rassurer. Ainsi, pour réaliser que souvent, la violence d’un tel acte réside bien moins dans le montant du butin que dans la brutalité que représente, pour la victime, la violation de sa sphère intime.

Le produit d’un vol minime, dans ce cas précis, qui n’empêchera pas les policiers de prendre toutes les mesures possibles, afin de tenter d’identifier les auteurs: recherche d’indices, prise d’empreintes et questionnement du voisinage. Un travail non négligeable qui finira par porter ses fruits, puisqu’un témoin sera en mesure de signaler la présence, en fin de matinée, de trois individus suspects dans le quartier, ainsi que celle de ce qui pourrait être leur véhicule. Autant d’informations qui seront communiquées aux autres patrouilles et qui conduiront le sergent-major Finger et l’agent Ruprecht, à effectuer une recherche de voiture pouvant correspondre au signalement. D’abord dans la commune d’Orbe, puis dans toutes les communes partenaires de la police intercommunale, situées sur le chemin du retour vers Yverdon-les-Bains. Mais hélas sans succès. Une mission qui aura occupé les deux policiers une bonne partie de l’après-midi, puisqu’il est près de 15h lorsque ces derniers sont de retour au poste.

Des hommes pressés

Lors du contrôle d’un bâtiment souvent occupé par des squateurs, les agents vérifient toutes les pièces qui pourraient permettre d’identifier des individus. Ils confisquent également tout ce qui peut être dangereux.

Les pastilles, signalant les photographies et autres vidéos de la traque du second terroriste de Boston, postées, depuis midi, sur les différents réseaux sociaux par des anonymes, occupent désormais une grande partie de l’écran d’accueil de notre téléphone. Sur l’une d’entres-elles, baptisée par son auteur «Bon appétit les gars!», on distingue une dizaine d’agents du FBI, l’assiette à la main, en train de patienter, en file indienne, devant une alignée de tables, au sommet desquelles reposent des pommes de terre, divers morceaux de viande et des légumes. Un vrai repas de fête, en comparaison aux quelques tranches de viandes séchées, des quelques morceaux de pain, des pâtes réchauffées et de la barre chocolatée qui constituent le repas de nos deux membres de la Police Nord vaudois de retour d’Orbe. «Des repas que l’on prend lorsqu’on a le temps et que l’on peut facilement interrompre et pour les remettre à plus tard, en cas d’urgence», explique le sergent-major. Cela sera 20 minutes, aujourd’hui. Car la barre chocolatée à peine entamée, déjà, la radio se met à grésiller: «On nous signale des individus qui font un feu dans une zone naturelle au bord du lac.»

D’abord la sécurité

Sérieux? On se demande alors si l’importance de l’infraction justifie que l’on sacrifie notre sandwich au thon. Mais s’était ignorer que la Police, souvent et à l’encontre de bien des certitudes populaires, ne pense pas en termes de répression, mais bel et bien en termes de sécurité. «Ce qui justifie l’urgence dans ce cas, c’est surtout le danger d’incendie que représente le fait de faire un feu au milieu des roseaux», explique le sergent-major Finger. Arrivés rapidement sur place, les policiers de l’unité cinq, répartis en deux patrouilles, pourront finalement intercepter les auteurs de «cette grillade improvisée» qui seront, par la suite, dénoncés, entres autres, pour infraction au règlement communal.

Il est alors près de 16h et la journée est loin d’être terminée. Puisque, jusqu’à 19h30, les membres de l’unité interviendront encore pour sécuriser la chaussée, au milieu de laquelle un automobiliste en fuite, après avoir endommagé du mobilier urbain, a abandonné son parechoc avant, pour visiter un squat au centre-ville, dans le but de s’assurer que personne ne s’y trouve et que, surtout, aucune bougie n’y soit restée allumée ou que des substances illégales y aient été abandonnées -des médicaments seront trouvés et confisqués- et encore, par deux fois, pour effectuer de la médiation. Dans un conflit de voisinage et un différend familial, respectivement.

Des nuits agitées

Depuis que nous les avons quittés, la veille, peu après 19h30, les agents de l’unité cinq ont déjà effectué un service, entre 4h du matin et midi, lorsque nous les rejoignons au poste de police d’Yverdon-les-Bains, sur le coup des 19h. Nous sommes vendredi soir, le début de l’un de ces week-ends qui, souvent, sont synonymes de nuits agitées pour les policiers. Une tradition qui ne sera pas démentie, puisqu’à peine arrivés, les agents sont déjà appelés sur une affaire de vol par effraction. Une patrouille part alors immédiatement sur les lieux. Quant à la deuxième patrouille, celle constituée du sergent-major Finger et de l’agent Ruprecht, suite à une enquête menée chez les garagistes et les commerçants voisins du lieu de la découverte du parechoc abandonné sur la chaussée, le jour d’avant, ils sont maintenant en possession du nom de tous les propriétaires d’un véhicule similaire dans la région.

Il est alors décidé de leur rendre visite, afin de s’assurer qu’aucun de ces véhicules n’est impliqué. Cela ne sera pas le cas, mais grâce aux numéros de série trouvés sur le parechoc, le bureau des accidents sera en mesure de fournir, de manière encore plus précise, la marque et le modèle de la voiture qui sera ensuite signalée comme véhicule recherché dans les bases informatiques communes à toutes les polices du pays. «Une sortie» peu fructueuse qui, cependant, n’aura pas été vaine. D’abord parce que, en se rendant aux différentes adresses, la patrouille circule en ville est assure ainsi une visibilité qui, souvent, suffit à calmer les esprits et rassure la population. Et deuxièmement, parce que sur le chemin du retour, elle a permis d’identifier un individu suspect.

Un homme dont la fouille permettra de mettre la main sur environ 8 grammes de marijuana. Ce dernier est alors emmené au poste, où après avoir pris soin de retirer son arme pour des raisons de sécurité, l’un des deux agents procède à une seconde fouille des vêtements et du sac du suspect. Débute alors une audition, dont le but est à la fois de signifier son infraction à la personne interpellée, mais également, par le biais d’un interrogatoire, de tenter d’obtenir l’identité du vendeur. Un exercice pas toujours simple qui consiste à faire à la fois preuve d’empathie, pour tenter de mettre l’individu à l’aise, et de fermeté pour qu’il prenne conscience de l’illégalité de son comportement. Un jeu de patience, aussi, lorsque, après plus d’une heure de pourparlers, l’individu refuse de signer le procès-verbal de son audition.

Montée d’adrénaline

Suite à l’alerte, donnée par la Gendarmerie, en raison d’un vol dans un commerce, le chien Thilk du sergent Paillard est mobilisé pour prêter main forte à la brigade canine de la Police cantonale. 

Il est alors environ 23h lorsque la soirée, bien remplie, mais «assez calme jusqu’ici», au regard de l’expérience du sergent Paillard et de l’agent Ruprecht que l’on accompagne désormais, s’anime.

Alors que les deux hommes sont occupés à vérifier l’identité d’un groupe de jeunes qui consomment de l’alcool, dissimulés dans un coin sombre et peu fréquenté, une alerte tombe sur la radio. La Gendarmerie signale un vol par effraction dans un commerce des Tuileries. Les auteurs viennent tout juste d’être mis en fuite. Les deux agents abandonnent alors le contrôle, se mettent à courir à leur véhicule, et, gyrophares allumés, foncent à l’entrée de la ville. «Ils viennent dans notre direction! Le but est de boucler les différents accès à la ville», explique le sergent Paillard. Une seconde voiture de la Police Nord vaudois, nous rejoint rapidement. Le sergent s’y engouffre et part sans tarder. Il s’agit du véhicule dans lequel se trouve Thilk, le berger allemand du sergent Paillard qui officie également comme maître chien. Plusieurs patrouilles sont maintenant dans le périmètre et, à l’écoute de la radio, qui ne cesse de crépiter, on comprend que le sergent Paillard et Thilk, secondés par la brigade canine de la Gendarmerie, sont sur la trace des voleurs. Dans la nuit, il est même possible de suivre leur progression, grâce aux mouvements de leurs lampes de poche. Ils se rapprochent. L’adrénaline monte. Au fur et à mesure de leurs indications, les patrouilles de la Police Nord vaudois et de la Gendarmerie se déplacent en différents lieux stratégiques, afin de limiter, au maximum, le risque de fuite des voleurs. Ça court. Ça crie. Et puis… plus rien!

Au pied d’un immeuble, Thilk a perdu la trace des deux fugitifs qui, il y a peu encore, étaient à quelques centaines de mètres des policiers. On enrage. «Ça fait partie du jeu, une fois on gagne, une fois on perd», analysera, philosophe, l’un des agents amusé de nous voir pris «au jeu», après avoir fouillé tous les environs. Il n’empêche, c’est frustrant. Mais les membres de l’unité cinq, eux, n’ont pas le temps de s’apitoyer sur leur sort. La nuit et le travail continuent. Jusqu’à 4h du matin. Une heure à laquelle, après avoir patrouillé en ville, s’être assuré, auprès des agents de sécurité privés présents devant les divers lieux publics de la ville, que tout est en ordre, effectué un contrôle d’alcoolémie et signifié à un automobiliste que son véhicule n’est pas en règle, enfin, ils pourront, tous ensemble, s’asseoir autour d’une table. «Une tradition» en fin de nuit. Histoire de se retrouver tous ensemble. Histoire de décompresser un peu, avant de rentrer, chacun de son côté.

L’occasion, pour nous, de discrètement consulter, sur notre téléphone, les dernières nouvelles en provenance de Boston. Le suspect numéro deux venait, enfin, d’être arrêté. Une nouvelle saluée par les applaudissements d’une population fière de l’engagement de ses policiers. Et nous, c’est à ceux de la Police Nord vaudois que l’on a alors pensé.

 

Raphaël Muriset